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Le 12 août, j’achète un livre québécois : l’année de l’achat éthique

Dénonciations, #blm, COVID, est-ce qu'on achètera différemment cette année?

Par
Hugo Meunier
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Si l’engouement envers la journée J’achète un livre québécois ne s’essouffle pas (du moins sur mon fil FB), la vague de dénonciations d’inconduites sexuelles, le mouvement Black Lives Matter, la curiosité accrue envers la littérature autochtone et la COVID teinteront certainement l’édition 2020.

Un bon moment pour faire des achats éthiques.

« C’est sûr que ce sera plus féminin, même féministe. Les libraires semblent faire leur possible pour mettre ces livres de l’avant », observe Catherine Sardi, une cliente croisée hier à la librairie Paulines de Rosemont. « Je vais y retourner demain et je compte venir trois jours de suite », affirme l’étudiante en littérature, qui encourage vivement l’initiative, une tradition mise en place il y a six ans par deux auteurs. Suivant les recommandations de son amie libraire, Catherine a notamment mis la main sur École pour filles, d’Ariane Lessard (La Mèche).

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À l’intérieur de chez Paulines, on remarque d’emblée les efforts pour mettre le livre québécois en lumière à la veille du grand jour. La directrice de la librairie indépendante, Jeanne Lemire, témoigne de l’effervescence du 12 août, qui va bien au-delà d’un engouement virtuel. « Il y a un impact évident. Les gens du quartier viennent. On a une large proportion d’habitués, mais on va chercher de nouveaux lecteurs chaque année, des gens qui reviennent », souligne Mme Lemire, pointant la popularité des titres adultes mais aussi jeunesses. « On a beaucoup d’auteurs dans le quartier, dont de très connus comme Élise Gravel. C’est une de nos bonnes journées de l’année », admet sans détour Mme Lemire, qui se demande toutefois si la COVID influencera l’achalandage à la baisse. « Les gens appellent beaucoup et vérifient si on a les livres en stock avant de se déplacer. Moins de gens viennent bouquiner », constate-t-elle.

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Les livres chouchous de l’édition 2020 risquent selon elle d’être La trajectoire des confettis (Marie-Ève Thuot, Herbes rouges), les romans de David Goudreault (Trilogie de la bête, Ta mort à moi, Stanké), les ouvrages jeunesse (Élise Gravel, Marianne Dubuc) et les récits de Fanny Britt, dont les «ventes sont très régulières».

À la librairie Le Port de tête, on assure aussi que l’effet « 12 août » est bien palpable.

À la librairie Le Port de tête, on assure aussi que l’effet « 12 août » est bien palpable.

Les livres québécois se méritent d’ailleurs une place en vitrine pour l’occasion. « Ce matin (hier), une dame est venue en avance parce qu’elle ne pourra pas demain et m’a demandé si son achat pouvait être compilé dans les ventes de demain », raconte le libraire Antoine Peuchmaurd, d’avis que les livres Les Falaises (Virginie DeChamplain, La Peuplade), Jenny Sauro (Marc Séguin, Leméac) et Les crépuscules de la Yellowstone (Louis Hamelin, Boréal) trouveront preneurs cette année.

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Tout près dans les rayons, Arnaud Lapierre faisait le plein de livres québécois à la veille de prendre la route pour retourner chez lui en Gaspésie, où 99% de la population a pris ses vacances cet été. « J’ai grandi ici et je venais souvent à cette librairie », explique l’enseignant en littérature au Cégep de Gaspé, venu acheter cinq livres québécois, dont deux recueils de poésie. « Tous mes livres ont été écrits par des femmes et je ne m’en étais même pas rendu compte ! », réalise Arnaud en abordant le sujet de l’achat éthique qui semble avoir la cote cette année, même de manière inconsciente.

Le libraire Antoine Peuchmaurd confirme que les choix de lecture reflètent le pouls ambiant. « Depuis deux ans, on vend davantage de livres publiés par des femmes. On voit des prises de conscience, un éveil de curiosité envers la littérature autochtone », explique le jeune homme, louangeant entre autres le travail de la romancière innue Naomi Fontaine (Shuni, Manikanetish, Mémoire d’encrier).

Comment faire un choix éthique?

En marge de la vague de dénonciations qui frappe le Québec, environ 450 femmes du milieu littéraire se sont regroupées dans un espace virtuel afin d’échanger de manière sécuritaire sur les abus, inconduites sexuelles, agressions et autres situations déplorées dans leur environnement de travail.

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C’est dans ce contexte que l’organisatrice d’évènements littéraires et membre du groupe de soutien Hélène Bughin invite les gens à faire leurs devoirs avant d’encourager un auteur québécois. « On ne dit pas de condamner les livres d’hommes blancs, mais de réfléchir, questionner la présence médiatique de l’auteur et chercher des points de vue différents », explique Hélène Bughin, suggérant au passage Chasse à l’homme ( Sophie Létourneau, La Peuplade), Shuni, Des femmes savantes (Chloé Savoie-Bernard, Triptyque) et Formes subtiles de la fuite (Virginie Savard, Triptyque).

Sur sa page Facebook, Hélène demande à ses abonnés « d’enrichir leur esprit critique en se tournant vers des récits de femmes, de personnes racisées, personnes non-binaires et trans. »

«On ne dit pas de condamner les livres d’hommes blancs, mais de réfléchir, questionner la présence médiatique de l’auteur et chercher des points de vue différents», explique Hélène Bughin

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Contrairement à d’autres mouvements, le groupe de soutien dans le milieu littéraire a choisi de ne pas dénoncer publiquement les auteurs mis au ban pour leurs inconduites. Un paradoxe qui enrage Hélène Bughin. « Si on les outait, on se ferait dire qu’on fait perdre des revenus, qu’il faut séparer l’homme de l’oeuvre. L’idéal serait que ces gens aient eux-mêmes une prise de conscience sur leurs comportements et se retirent », souligne-t-elle, ajoutant que plusieurs dénonciations dans le milieu littéraire concernent des abus de pouvoir.

Pour la vice-présidente Édition chez Librex Johanne Guay, il faudra toutefois attendre quelques mois avant de mesurer l’impact du climat social ambiant dans les ventes de livres. « C’est sûr qu’il y a une collision frontale qui est arrivée et tout le monde est frappé dans l’industrie. J’ai hâte de voir les prochains manuscrits », souligne Johanne, qui achète chaque 12 août des livres pour elle, ses enfants et ses petits-enfants. « J’ai prévu acheter Autopsie d’une femme plate (Marie-Renée Lavoie, XYZ) et Ouvrir son coeur (Alexie Morin, Le Quartanier). Ma littérature est plus féminine ces temps-ci », note-t-elle.

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Le Noël des libraires

Mais au-delà des convictions, le 12 août est vraiment Noël pour l’industrie du livre. Tous les acteurs mettent la main à la pâte. « L’intérêt pour la fiction a augmenté durant le confinement et je suis convaincu que le 12 août y a contribué », croit la patronne de Librex.

«L’intérêt pour la fiction a augmenté durant le confinement et je suis convaincu que le 12 août y a contribué», croit la patronne de Librex.

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La journaliste et écrivaine Claudia Larochelle souligne aussi à quel point le livre a été salvateur en temps de COVID. Elle estime pour sa part que le 12 août est la journée idéale pour découvrir notre savoir-faire littéraire. « On ne sait pas à quel point nos auteurs sont dotés d’un immense talent et d’un haut calibre novateur. On a rien à envier aux livres internationaux », explique Claudia, citant cette année elle aussi La trajectoire des confettis, Ténèbre (Paul Kawczak, La Peuplade), les valeurs sûres comme David Goudreault, les classiques comme Anne Hébert, Félix Leclerc ou Nègres blancs d’Amérique (Pierre Vallières), sans oublier les essais de Martine Delvaux, bien ancrés dans l’actualité.

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Bref, le livre d’ici est en santé. La seule ombre au tableau – et non la moindre – sera de voir si la pandémie freinera les ardeurs des lecteurs. « On est un peu nerveux je ne le cacherai pas. C’est une grosse grosse journée et on a d’habitude des activités avec des auteurs sur place, mais ça sera un peu moins la fête cette année. Les gens ont aussi le réflexe de commander en ligne », constate le chroniqueur, auteur et libraire à la Librairie de Verdun Billy Robinson, qui revient de vacances chaque année à temps pour le 12 août. « Cette année, on risque de vendre La trajectoire des confettis, du David Goudreault, La mariée de Corail ( Roxanne Bouchard, Libre Expression) et je vais pousser pour Rose-Aimée Automne T-Morin (Il préférait les brûler, Stanké) et le nouveau James Hyndman », énumère le libraire.

Tant qu’à être payé pour faire le tour des librairies, j’en ai pour ma part profité pour repartir avec Manikanetish de Naomi Fontaine et la réédition de L’inspecteur Specteur et le doigt mort de mon ami Ghislain Taschereau (aux toutes nouvelles éditions de l’Individu).

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Bon 12 août à tous! N’oubliez pas votre masque… et pourquoi pas vos convictions.