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L’Barouf, ou comment faire de son bar un repaire de Français

Ça va vous prendre une bonne équipe sportive et ben du Pastis.

Par
Lucie Piqueur
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15 juillet 2018. L’équipe de France de soccer remporte la coupe du monde à Moscou. À l’autre bout de la planète, des milliers de Français en liesse se réunissent spontanément pour célébrer la victoire…à Montréal. Coin Saint-Denis et Rachel. Devant L’Barouf. Comment ce beau grand bar, ouvert il y a 26 ans par un immigré algérien fan de soccer, que sa page Facebook décrit comme «The Best Belgian Style Beer Bar in Canada», est devenu le QG des Français à Montréal? J’ai rencontré Mehdi Bekri, le fils du propriétaire, pour lui demander sa recette.

Une histoire d’amour qui commence par Montréal

En fait, tout a commencé quand le père et la mère de Mehdi, chacun au beau milieu de leur propre voyage autour du monde, se sont rencontrés à Montréal. Il est algérien, elle est française. Amoureux, ils quittent chacun leur pays natal pour s’installer sur les lieux de leur coup de foudre.

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En fait, tout a commencé quand le père et la mère de Mehdi, chacun au beau milieu de leur propre voyage autour du monde, se sont rencontrés à Montréal. Il est algérien, elle est française. («Pas française! BRETONNE!», me corrige-t-il, à la semi-blague). Amoureux, ils quittent chacun leur pays natal pour s’installer sur les lieux de leur coup de foudre. Monsieur Bekri travaille d’abord comme machiniste dans le nord de Montréal, puis décide d’inaugurer son premier café sur Saint-Denis, le fameux Auprès de ma blonde. Il ouvre ensuite un bistro sur Rachel, un bar sur Saint-Laurent, puis un autre sur Saint-Denis… Tout ça sur le Plateau. «Je suis né coin Mentana et Rachel! On a toujours resté là. Il faut dire que c’était vraiment pauvre à l’époque. Les locaux étaient beaucoup moins chers car personne ne voulait de ces petites bâtisses-là. Les permis d’alcool étaient faciles à avoir. C’était très différent de ce que c’est maintenant.»

Des débuts bien différents

Mehdi a toujours travaillé dans les établissements de sa famille. Et pour lui, les années se comptent en événements sportifs. «L’Barouf, ça date d’au moins deux coupes du monde avant la première victoire des Bleus en 98.» Dès l’ouverture, son père y diffuse les matchs importants, surtout par intérêt personnel. Au cas où vous n’étiez pas au courant, presque toute la planète tripe sur le soccer en dehors de l’Amérique du Nord. À l’époque, les Italiens et les Portugais de Montréal écoutent déjà les matchs, mais ce sont des communautés tricotées serrées. Pas évident, alors, d’aller prendre pour l’Argentine, le Maroc ou la France dans leurs bars! Mais le mot se passe, et les fans de foot «orphelins» d’un peu partout commencent à se réunir au Barouf. Parmi eux, des Français. Sauf que selon Mehdi, l’immigration française était alors très différente. Au lieu des nombreux étudiants et voyageurs en permis Vacances-Travail qu’on a aujourd’hui, c’étaient plutôt quelques trentenaires venus refaire leur vie en Amérique faute de trouver du travail en France.

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En 1998, donc, la France arrache pour la première fois la coupe du monde au Brésil. Et à Montréal, les Français sont déjà au Barouf. «Je travaillais au bar, mais j’avais juste envie de faire la fête sur Saint-Denis avec mes chums. La police avait déjà dû fermer la rue. Ils pensaient qu’il y aurait des bagarres parce que les Italiens et les Brésiliens étaient aussi descendus nous voir, mais l’ambiance était vraiment juste festive. On était pleins à craquer : il n’y avait plus de Pastis, plus de champagne, plus rien! Ça a pris trois jours pour nettoyer tellement c’était le bordel, et on a dû jeter tous les meubles!»

«Les Québécois adorent gagner! Quand la France performe bien, ils prennent pour elle!»

Depuis le temps, le Plateau-Mont-Royal n’est plus le quartier populaire où a grandi Mehdi. Selon l’Express, c’est là que 28% des 100 000 Français installés à Montréal demeuraient en 2014. Le prix de l’immobilier a largement augmenté à cause des moyens financiers élevés des nouveaux arrivants français, mais surtout à cause de la position très centrale du quartier. Mehdi, lui, trouve que la réputation de QG des Français est un peu surfaite en ce qui concerne l’Barouf. Selon lui, ils et elles représentent «seulement» 10% de sa clientèle. S’il passe les chansons de Renaud plusieurs fois par heure, c’est juste parce qu’il trouve qu’il ne s’est jamais rien fait d’aussi bon depuis. Ce qu’il a bien remarqué, par contre, c’est que les Québécois s’intéressent de plus en plus au soccer et au rugby. «Les Québécois adorent gagner! Quand la France performe bien, ils prennent pour elle!»

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Que Mehdi le veuille ou non, l’établissement a bel et bien aujourd’hui la réputation d’un bar de Français. C’est d’ailleurs souvent là qu’on peut croiser Catherine Ringer ou Arthur H s’ils sont de passage en ville. Lui qui a déjà vu le Plateau se transformer, pense qu’il ne restera pas le quartier des Français pour toujours. «C’est cyclique. Même moi, maintenant, j’ai déménagé près du Marché Jean-Talon…et j’ai 5 voisins français autour de moi!»

Qui sait? Dans 20 ans, peut-être, l’équipe de France remportera peut-être à nouveau la coupe du monde, et le Plateau n’appartiendra plus aux Français. L’Barouf, quant à lui, sera sans doute encore là.