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L’Ayahuasca, quand la science et la religion sont d’accord

Ou comment être « high » dans tous les sens du terme.

Par
Zacharie Routhier
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« En 2000, un officier de la GRC est venu me voir et m’a dit : il y a un problème avec le thé que vous importez du Brésil », lance mi-sourire Jessica Rochester, la Madrinha (marraine) de Céu do Montréal, une église qu’elle a fondée en 1997.

Rire dans l’audience, qui devine de quel genre de « thé » il s’agit. La centaine de personnes assise dans l’Église Saint-James, au centre-ville de la métropole, est venue assister au premier colloque canadien sur les dimensions religieuses et scientifique de l’Ayahuasca, un breuvage provenant des Andes.

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La boisson, controversée, contient de l’écorce de Banisteriopsis caapi souvent mélangée à des feuilles de Psychotria viridis. Ces dernières permettent d’activer deux ingrédients psychoactifs puissants : le dimethyltryptamine et l’harmaline. Le hic? Ces molécules sont illégales au Canada.

6h pour passer de l’autre bord

Dans l’église, l’ambiance rappelle une peu celle d’une procession religieuse. Une dizaine de personnes portant le même chandail (conçus pour l’occasion) sont postées dans les coins. On ressent une bienveillance… rigide. Il faut dire que le discours de ceux et celles consommant des substances psychédéliques à des fins spirituelles a souvent été déformé par le passé.

Devant nous, la Madrinha avertit la foule : oui, elle a vu District 31.

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Devant nous, la Madrinha avertit la foule : oui, elle a vu District 31. Cette saison, les policiers préférés des Québécois.e.s enquêtent sur un meurtre ayant été commis sous l’influence de… l’Ayahuasca. « Aujourd’hui, nous voulons informer et contrebalancer le discours négatif véhiculé dans les médias », se contente-t-elle de commenter.

L’Ayahuasca aide, selon Mme Rochester, à « réveiller sa conscience». Pour elle, c’est un outil de transformation : un sacrement qui permet de ressentir la connexion qui nous lie au reste de l’univers. « La plante a un message : celui de respecter et de prendre soin de la nature ».

Mais sentir les caresses de mère Nature, c’est pas toujours fun, et elle est la première à le reconnaitre. L’Ayahuasca n’a rien d’une drogue récréative. Pour voir la lumière, il faut parfois passer par des phases sombres, voire terrifiantes. Des vomissements, des diarrhées. Des sueurs, aussi. L’expérience, qui détruirait l’égo à coup de « voici tout ce que tu as déjà refoulé dans ta vie », dure en moyenne 6h.

Comme un tel voyage peut faire perdre contact avec la réalité, la cérémonie est supervisée par des personnes d’expérience – une formation de 14 ans est nécessaire pour devenir chaman. « C’est comme faire de la plongée sous-marine. Tu ne plonges pas sans être préparé, sans être encadré par des gens certifiés », expose-t-elle.

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Et cette plongée-là, elle est maintenant légale dans certaines Églises.

Altérer son esprit, un droit religieux?

Pour retracer les origines de cette religion, il faut descendre à quelque 5800 km au sud de Montréal. Dans l’ouest du Brésil, l’usage de l’Ayahuasca à des fins spirituelles est ancré dans les traditions chamaniques depuis… pas mal toujours.

Mais aujourd’hui, leurs croyances s’exportent peu à peu autour de la planète à un rythme assez rapide. Et si ça plait aux principaux concernés – qui militent un peu pour ça, au final – ça signifie aussi devoir redoubler de vigilance pour ne pas que ça dérape.

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Dans l’église Saint-James, un écran s’allume. Sur celui-ci, une vidéo apparaît, dans laquelle des enfants heureux rigolent dans la forêt amazonienne et nous parlent de Jésus. Puis, c’est au tour de Jeffrey Bronfman, qui s’occupe du volet américain d’une autre église, l’União de Vegetal, de prendre place.

Si les pratiques diffèrent légèrement du Céo, quand il est question d’Ayahuasca, ils se serrent les coudes. « C’est un effort légal et concerté pour protéger les droits des gens souhaitant utiliser le remède avec une vocation religieuse », explique-t-il.

Avec une vocation religieuse.

C’est que le mestre, ou guide, ne veut pas, au même titre que Santé Canada, voir la plante infiltrer (davantage) le marché noir. De la même manière qu’il ne souhaite pas voir des resorts douteux proposer des trips d’Ayahuasca mal encadrés ou irrespectueux.

Et pour limiter ce genre « d’écarts de conduite », il estime que la religion, si elle offre un cadre clair et précis, peut constituer une partie de la réponse.

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Jeffrey Bronfman peut également compter sur d’autres alliés inusités pour appuyer ses dires…

La nouvelle ère des psychédéliques

« On arrive à un des rares moments dans l’histoire où la religion et la science s’entendent », lance le directeur du Centre des troubles de l’humeur d’Ottawa, Paul Grof, à son arrivée sur scène.

C’est en effet assez spécial, et rare, de voir un scientifique de sa trempe donner une présentation après deux organisations religieuses. Et il n’est pas seul : les deux tiers des invités au colloque sont issus du milieu académique.

«On arrive à un des rares moments dans l’histoire où la religion et la science s’entendent.»

Il faut dire qu’après une bonne trentaine d’années de break, certains psychotropes font un retour dans la littérature scientifique, avec des effets thérapeutiques observés sur l’anxiété, la dépression et la dépendance. C’est que la loi n’a pas toujours rendu les recherches faciles.

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1943. Le chimiste suisse Albert Hoffman découvre par erreur les propriétés hallucinogènes d’une molécule qu’il avait synthétisée avec l’espoir de développer un stimulant circulatoire.

C’était du LSD. Ouais, disons que ça l’a pris par surprise.

C’est la bougie d’allumage d’une petite révolution : pendant plus de deux décennies, les molécules psychoactives fascinent les scientifiques! Mais à partir de 1971, les recherches sont freinées par la Convention sur les substances psychotropes, qui rend l’accès à ces drogues difficiles. Puis… pouet. Vous connaissez la suite.

« Je suis choqué de constater à quel point nous n’avons vu que l’aspect négatif de ces substances dans les dernières décennies », se surprend M. Grof. Ça, ça vient quand même d’un gars qui a siégé à la World Health Organization (et qui a milité pour une reconnaissance des vertus thérapeutiques de la MDMA).

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OK, mais…

Concrètement, comment les psychotropes agissent-ils sur notre cerveau? Et en quoi cela peut-il être « thérapeutique »? Parce qu’à ce moment-ci du colloque, on s’est surtout fait dire que l’Ayahuasca était un hotline avec l’au-delà.

Pour sa part, le chercheur avance que les vertus de ces substances résident notamment dans leur pouvoir de perturber le « mode par défaut » de notre cerveau.

Au quotidien, ce dernier est confronté à des milliards de stimulations par seconde. C’est pourquoi il les filtre de manière à n’en garder que quelques milliers à la fois, selon M. Grof.

Certaines drogues permettraient cependant l’ouverture de ces portes et, ce faisant, laisseraient le cerveau recevoir un flot d’informations et de connexions qui sont normalement réprimées. Pour le meilleur et pour le pire!

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Cela pourrait expliquer pourquoi votre pote, qui a fait de l’acide dans l’Ouest, vous répète sans cesse avoir eu une « perspective vraiment différente sur la vie, man ». Et il n’a peut-être pas tort, en fin de compte.

Mais la science et la religion peuvent-elles travailler ensemble?

Eh bien, pour Brian Rush, chercheur émérite au Centre sur la dépendance et la santé mentale de Toronto, les pratiques cérémoniales de l’Ayahuasca constituent une mine d’or d’informations pour les scientifiques et les décideurs publics.

« Certains consomment le breuvage deux, trois fois par mois depuis trente ans. Et ils continuent! », s’exclame M. Rush. Ça démontrerait que l’Ayahuasca, aussi intense soit-elle, n’est ni toxique, ni addictive.

L’Ayahuasca, aussi intense soit-elle, n’est ni toxique, ni addictive.

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Lui-même travaille actuellement à un projet s’intéressant à l’usage ancestral de l’Ayahuasca et à ses bénéfices sur la dépendance et sur la santé mentale. « Je crois que le monde spirituel, pharmacologique et psychologique peuvent travailler ensemble. »

Que la « médecine » nous soit servie par thérapie assistée ou via une cérémonie religieuse n’est pas ce qui devrait nous tourmenter, selon lui. Mais plutôt : qui y aura accès?

Si l’Ayahuasca se révèle être un outil efficace, sera-t-elle réellement accessible à toutes et à tous?

« Ce n’est pas tout le monde qui peut se payer un voyage au Pérou pour consommer de l’Ayahuasca », expose-t-il. Ou encore une « retraite spirituelle » privée semi-legit à quelques milliers de dollars.

« L’arbre ancre actuellement ses racines, mais vers où poussera-t-il? » Selon lui, ce sera à nous de le décider.

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