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L’automassage ou la découverte du trésor caché entre nos mains
«Je vais maintenant vous montrer la technique de l’effleurage. Avec la paume de votre main, vous allez venir masser l’épaule doucement, passer par l’omoplate, descendre le long du bras, jusqu’à la main. Prenez le temps de respirer et de voir comment vous vous sentez. L’autre bras est jaloux, non?»
Un mercredi midi, j’ai pris part à un atelier d’automassage virtuel, en compagnie d’étudiant.e.s et de membres du personnel du Collège de Rosemont. Après seulement 30 minutes de respiration, d’effleurage, de pétrissage et d’automassage des muscles de la mâchoire, je peux vous confirmer que je me sentais déjà détendue.
Cette initiative de Raphaël Lavoie-Brand, massothérapeute agréé depuis 2018, fait mouche dans huit cégeps de la province. Sa mission? Réduire l’anxiété, briser l’isolement des étudiant.e.s en temps de pandémie, favoriser le sommeil et contrer les tensions musculaires dues au travail prolongé à l’ordinateur.
De l’importance du toucher
«Au début de la pandémie, j’ai réalisé que j’avais une vidéo d’automassage qui traînait sur YouTube depuis plus de deux ans. Au fil du temps, les vues sur cette vidéo n’arrêtaient pas d’augmenter, jusqu’à atteindre 5000 vues pendant le premier confinement. J’ai pris conscience que les gens en confinement cherchaient ce genre de contenu en ligne. Ça m’a mis la puce à l’oreille», raconte Raphaël Lavoie-Brand, rejoint sur Zoom après l’atelier auquel j’ai eu la chance d’assister.
«Une des choses que la pandémie nous a montrées, surtout chez les personnes confinées seules, c’est l’importance du toucher comme besoin essentiel.»
Selon le massothérapeute, la plupart des gens pratiquent déjà l’automassage sans même s’en rendre compte, puisqu’on masse instinctivement notre cou ou nos trapèzes s’ils sont endoloris, on serre un muscle tendu, on appuie plus ou moins fort sur un nœud. «Une des choses que la pandémie nous a montrées, surtout chez les personnes confinées seules, c’est l’importance du toucher comme besoin essentiel», croit Raphaël, qui rappelle que l’automassage, tout comme le massage professionnel, sécrète des hormones positives comme la dopamine, l’ocytocine, l’endorphine et la sérotonine.
«Les récepteurs nerveux sur notre corps sont faits pour ressentir et aimer les bienfaits du toucher bienveillant. C’est sûr que nos propres mains ne peuvent pas atteindre toutes les zones du corps, donc l’automassage ne remplacera pas un massage professionnel. Ceci dit, au niveau des bienfaits sur le système nerveux, l’automassage est très bénéfique. On est fait pour aimer ça, c’est inscrit dans nos gènes», m’explique-t-il.
ateliers Zoom sur l’automassage
L’été dernier, Raphaël a une idée. «Avec un groupe de massos, on a eu l’idée de lancer un challenge d’automassage sur Instagram, qu’on a appelé le #ChallengeAutomassage», explique le professionnel. Il a réagi en réponse à son bouleversement face à l’ampleur de la détresse psychologique des jeunes et des personnes seules, causée par la pandémie. «On s’est demandé ce qu’on pouvait faire, nous, les massos. Nous sommes des professionnel.le.s du toucher bienveillant donc on a eu envie de donner des outils concrets aux gens, particulièrement aux jeunes, pour leur montrer comment se détendre, favoriser leur sommeil et aussi, briser l’isolement. On a fait une centaine de capsules sur Instagram.»
Après plusieurs mois, Raphaël décide de pousser son initiative encore plus loin. «Je me suis proposé pour offrir des ateliers d’automassage virtuels gratuits au cégep de Saint-Laurent, pendant la fin de session, auprès de l’association étudiante, raconte-t-il. Ça a été tellement bien reçu que la direction m’a proposé de renouveler l’expérience, puis d’autres cégeps ont embarqué. À ce jour, j’ai donné une douzaine d’ateliers virtuels dans huit établissements collégiaux».
«Alors que la détresse psychologique côtoie les chaises inconfortables et les bureaux trop bas, toutes les bulles de self-care sont les bienvenues en ce moment.»
Raphaël m’explique que la technique qu’il développe est à la croisée des chemins entre l’automassage et la méditation pleine conscience, la respiration et l’attention portée aux sensations et aux émotions occupant une place prépondérante dans son approche. Les épaules un peu plus détendues et le dos moins courbé qu’avant l’atelier, je me permets de dire à Raphaël à quel point je trouve son idée excellente et particulièrement pertinente dans un contexte où les étudiant.e.s vivent un degré d’isolement jamais vu. Alors que l’anxiété et la détresse psychologique côtoient les chaises inconfortables et les bureaux trop bas, toutes les bulles de self-care sont les bienvenues en ce moment.
Se réinventer, un muscle tendu à la fois
«On est vraiment content.e.s de pouvoir offrir cette activité à la communauté étudiante, déclare Dounia Saboori, technicienne en loisirs au Collège de Rosemont, également présente dans notre discussion zoom post atelier, auquel elle a également participé. Depuis un an et demi, on a souvent entendu qu’il fallait se réinventer et s’adapter, donc c’est exactement ce qu’on a voulu faire. C’était vraiment important pour moi de continuer à offrir des activités ludiques aux étudiant.e.s parce qu’on voit qu’ils et elles ont besoin de se raccrocher à quelque chose».
«Les jeunes disent souvent “Wow je ne pensais pas que ça me ferait autant de bien, et aussi rapidement!”»
Pour Dounia Saboori, en plus de faire la promotion de la santé et des saines habitudes de vie, les ateliers d’automassage cherchent à briser l’isolement, diminuer le stress et l’anxiété tout en favorisant la réussite scolaire. «Comme tout le monde est à la maison, tant les jeunes que les employé.e.s du collège, on veut vraiment essayer de créer des liens, explique la technicienne en loisirs. Cette année, on a mis sur pied une programmation très variée, artistique, sportive, culturelle, culinaire, etc. qui permet aux étudiant.e.s et aux employé.e.s de se rencontrer et d’échanger de manière informelle. C’est un volet très important de la vie étudiante et ça a un immense impact sur le succès académique», ajoute-t-elle, en mentionnant que l’association étudiante est toujours très impliquée dans la création d’activités.
Dounia et Raphaël sont sans équivoque: les ateliers d’automassage sont très bien reçus par les communautés étudiantes des différents cégeps impliqués. «Les étudiant.e.s apprécient particulièrement que les ateliers leur donnent des outils qu’ils et elles peuvent garder et utiliser au quotidien, indique Raphaël, qui propose également des vidéos pour ceux et celles qui ne sont pas disponibles pour y assister en direct. Les jeunes nous disent souvent: “Wow je ne pensais pas que ça me ferait autant de bien, et aussi rapidement!” Je trouve ça super qu’ils et elles ressentent les effets si vite, sentent que leur activité mentale ralentit et que leur système nerveux se calme. D’autres se sentent énergisés, et c’est vraiment super. En fait, les étudiant.e.s découvrent une sorte de trésor caché dans leurs propres mains.»
«Même après la pandémie, il va falloir continuer à prendre soin de nous.»
Dounia, qui participe elle-même aux ateliers avec beaucoup d’enthousiasme, considère que les outils proposés par Raphaël aident grandement les participant.e.s à développer une certaine autonomie sur le plan de la gestion du stress, l’autorégulation des émotions et la prise en charge des douleurs physiques liées au télétravail. «On aimerait poursuivre sur cette lancée, même quand les élèves seront de retour en présentiel. Il va falloir réfléchir à la formule, mais je vois que l’intérêt est grand. Même après la pandémie, il va falloir continuer à prendre soin de nous», affirme la technicienne en loisirs, visiblement aussi détendue que moi.
L’automassage comme outil d’intervention
Du côté de Raphaël Lavoie-Brand, un projet n’attend pas l’autre. «Je perçois de plus en plus l’automassage comme un outil d’intervention, et je pense que le potentiel est immense, dans plein de contextes différents, croit-il. Dans quelques semaines, je donne un atelier d’automassage dans le cadre d’un projet pilote avec un organisme qui intervient auprès d’hommes en situation de violence conjugale. Je suis persuadé que les hommes en proie à des comportements violents gagneraient à acquérir des outils concrets en gestion des émotions. On verra où ça mène, mais je suis très enthousiaste.»
Raphaël souligne également l’intérêt d’une sexologue, qui croit que l’automassage pourrait avoir des vertus auprès des personnes victimes de violence sexuelle. En effet, le toucher bienveillant pourrait être un outil d’apaisement et de reprise de pouvoir sur son propre corps après un traumatisme. «Je le répète, dans un contexte bienveillant, nos mains sont de véritables trésors.»