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L’autodéconstruction de Corey Hart : petit guide d’utilisation de lunettes de soleil

Analyse d’un personnage discret, mais néanmoins fascinant.

Par
Benoît Lelièvre
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Corey Hart a eu soixante ans cette semaine. Pas cinquante. Pas cinquante-cinq. Soixante. L’âge où non seulement c’est socialement acceptable d’être grand-père, mais où c’est plutôt normal. Corey Hart est un papi! Peut-être pas officiellement encore (sa plus vieille a juste 26 ans), mais spirituellement en tout cas. Alors que Sunglasses at Night joue encore à la radio et qu’on s’extasie encore devant le miracle génético-romantique que représente son mariage à l’ex-reine de la pop québécoise Julie Masse, c’est difficile de s’imaginer qu’on est déjà rendus là.

Si Hart a traversé les époques sans jamais tomber dans l’oubli, c’est parce qu’il a transgressé à peu près toutes les règles du vedettariat à sa manière. L’histoire de Corey Hart en est une de rébellion douce et d’authenticité.

Comment un jeune prince de la pop new wave dont la carrière date d’avant ma naissance (et j’ai 39 ans) a-t-il pu frayer son chemin à travers le terrain miné de l’industrie du spectacle pour y faire sa place? Comment a-t-il épousé une des plus talentueuses femmes du Québec pour fonder une famille avec elle AUX BAHAMAS (tsé)? Analyse d’un personnage discret, mais néanmoins fascinant.

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Du bon usage des lunettes fumées

Corey Hart a débuté sa carrière au top avec son premier album First Offense, en 1983. Il avait 21 ans et venait de signer un contrat de disque avec l’étiquette américaine EMI. Sunglasses at Night en était le tout premier extrait. Les mauvaises langues diront que c’était aussi le plus grand moment de sa carrière, mais ce serait faire preuve de mauvaise foi. Disons que c’était son moment le plus important.

Produite par Jon Astley (aucun lien de parenté avec l’autre) et Phil Chapman (qui ont également travaillé avec The Who, ABBA et Debbie Harry, pas exactement n’importe qui), Sunglasses at Night met en scène Corey Hart en James Dean des temps modernes. Un jeune rebelle pourchassé par la police de la mode dans un état totalitaire rappelant le roman de George Orwell 1984.

Comme c’était souvent le cas à l’époque, ce personnage était une fabrication complète de sa compagnie de disques. On n’a qu’à regarder ses premières entrevues pour le voir – visiblement mal à l’aise – jouer le rôle du jeune frondeur cool devant les caméras. Il n’avait pas du tout le profil qu’on essayait de lui coller. Cette stratégie fonctionne parfois, on a en tête le jeune William Bruce Bailey, fils mal aimé d’une famille fondamentaliste religieuse en Indiana, relooké en prédateur urbain et renommé Axl Rose pour les besoins de la cause. Le personnage est devenu plus grand que l’homme qui l’incarnait. Ça n’a pas été le cas pour Corey Hart.

À partir de son deuxième album, Hart amorce un processus de quête identitaire qui l’éloignera graduellement de la musique new wave et l’orientera vers une pop plus adulte et introspective.

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À partir de son deuxième album Boy in the Box en 1985, Hart amorce un processus de quête identitaire qui l’éloignera graduellement de la musique new wave et l’orientera vers une pop plus adulte et introspective. La ballade Never Surrender en sera le moment fort, une chanson qui traduisait ses angoisses par rapport à son besoin d’authenticité: And nobody wants to know you now/And nobody wants to show you how/So if you’re lost and on your own/You can never surrender (Plus personne ne veut te connaitre/plus personne ne veut t’aider/alors si tu es seul et perdu, tu ne dois jamais abandonner). La chanson et l’album seront ses plus gros succès en termes de ventes et de positionnement dans les palmarès, mais c’est aussi le début de son étonnante transformation personnelle et médiatique.

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De l’artificiel au naturel

Après s’être effondré sur scène lors d’un concert en 1987, Corey Hart prend sa première pause professionnelle. Bien que son impitoyable horaire d’enregistrement et de tournée continue de dicter ses moindres faits et gestes pendant les quatre années suivantes, le matériel est affecté. Hart est moins inspiré. Les albums se suivent et se ressemblent. Il décide alors de prendre une vraie de vraie pause créative en 1992.

C’est à ce moment qu’il rencontre Julie Masse à la cérémonie des Junos en 1993 et qu’un nouveau chemin s’offre à lui. Le pays entier est immédiatement fasciné par cette union entre ces deux magnifiques personnes et Hart se rend compte que sa vraie vie est beaucoup plus passionnante que n’importe quel personnage imaginé par une compagnie de disques. Il revient graduellement à la musique, mais sous un jour beaucoup plus naturel et spontané. Avec la sortie de son album éponyme en 1996, le clivage entre le Corey public et le vrai Corey commence à disparaître.

Le Corey Hart qui nous a été présenté à la suite de sa pause créative de quatre ans, c’est (à peu de choses près) encore le Corey Hart qu’on connaît aujourd’hui.

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C’est ça qui est fascinant avec l’histoire de Corey Hart. Cette autodéconstruction menée par un désir d’authenticité. Il faut dire que c’était la mode à l’époque, mais peu d’artistes ont fait la transition entre les années 80 et les années 90 avec le même charme et la même facilité. Dans son cas, ce n’était pas un changement d’image, mais bien une évolution et une affirmation personnelle. Le Corey Hart qui nous a été présenté à la suite de sa pause créative de quatre ans, c’est (à peu de choses près) encore le Corey Hart qu’on connaît aujourd’hui.

S’il y a quelque chose à apprendre de son histoire, c’est qu’il est important de vivre créativement toutes les époques de sa vie. On a pas les mêmes désirs à 20, 30 ou même 60 ans. On ne s’intéresse pas aux mêmes choses et on ne parle pas de la même façon. À travers les années, il deviendra aussi écrivain pour d’autres artistes, préférant travailler et s’exprimer dans l’ombre. Il écrira d’ailleurs plusieurs chansons pour une autre immortelle de la musique canadienne: notre Céline nationale!

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Aujourd’hui, Corey Hart vit sa meilleure vie et fait de la musique quand ça lui tente. Quand l’inspiration lui vient. Il met aussi ses lunettes fumées le jour. Bonne fête Corey Hart! Continue de ne pas suivre les règles. C’est la preuve que ce n’est pas juste pour les bums.