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L’auteur le moins sympathique au monde (moi)
Même lorsqu’on est une personnalité de statut relativement publique, il faut s’attendre à se faire insulter régulièrement. Je n’ai pas la notoriété de Véronique Cloutier, mais ça n’empêche pas qu’il y aura chaque jour quelqu’un pour m’envoyer promener. On en vient à s’y habituer, surtout, je suppose, lorsque les insultes ne sont pas liées à la couleur de notre peau, genre ou orientation sexuelle. Je subis certainement les moins pires menaces du showbusiness. Quelques fans de Jeff Fillion avec un p’tit drapeau de pirate par-ci par-là, quelques personnes inquiètes pour les finances publiques puisque je suis payé avec leurs impôts et quelques-uns qui se moquent de mes cheveux blancs. De la petite bière à côté de ce que subissent plusieurs de mes collègues. En plus, la minorité des gens qui blanchissent précocement n’est pas ostracisée, contrairement à ce que pourraient en penser certains polémistes victimaires.
Il est toujours surprenant de voir à quel point les gens ressentent le besoin de prendre le temps d’écrire à des personnalités en espérant leur faire de la peine.
Des fois, ça se fait en public et on se dit que c’est pour faire un spectacle et recevoir de l’attention. D’autres fois, ils le font en privé et on réalise que ces personnes trouvaient juste pertinent de vous dire que vous êtes un trou d’cul au cas où vous n’étiez pas au courant. Un de ces cas m’a particulièrement marqué.
En tant qu’auteur à succès (le Québec est assez généreux du titre « à succès » lorsqu’il est question de livres), je parcours les salons du livre du monde entier (Québec, Sherbrooke et Rouyn). Vu ma nature introvertie, mes amis s’inquiètent généralement de savoir que je dois aller m’installer à un kiosque pendant de longues journées pour y multiplier les rencontres. Bizarrement, j’aime ça. Quoique ce n’est peut-être pas si bizarre, d’aimer que les gens viennent vous dire qu’ils aiment ce que vous faites.
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Le fait que j’aime ça ne veut toutefois pas dire que c’est une activité où j’excelle, même si je crois bien qu’au fil du temps, je me sois amélioré. Je me prépare toujours quelques lignes pour alléger l’atmosphère. « Vous venez souvent ici? », « avez-vous trouvé ce que vous cherchiez? » ou le classique « à part de t’ça? ». Je suis souriant et authentiquement intéressé par ce que les gens me racontent. Du moins, intérieurement. C’est juste que, si au-delà du « bonjour, comment ça va ? » d’usage, les gens ne me posent pas d’autres questions, ça reste comme ça. Lettre morte, comme on dit dans le milieu de la littérature.
N’avoir aucun talent pour alimenter une conversation est l’histoire de ma vie, et c’est aussi l’histoire de l’essai que je présente dans les salons du livre.
Tout ça pour dire qu’au retour du Salon du livre de Québec, en 2022, je reçois ce message privé sur Facebook de la part d’une personne qui désire probablement garder l’anonymat, mais qui s’appelle Andrée.
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« J’ai rencontré Olivier Niquet au salon du livre de Québec. Je ne savais pas qu’il était aussi froid que ça. Être introverti c’est quelque chose. Mais, honnêtement, je n’ai jamais rencontré un auteur aussi peu sympathique que lui. J’ai acheté son livre et je le lirai sans doute. Mais il m’a passé le goût d’écouter votre émission. Désolée. Je regrette d’être allée le voir car j’adorais vous écouter. »
Plusieurs choses, ici. D’abord, j’ai écrit que j’ai reçu ce message privé, mais c’est plutôt sur la page Facebook de La journée est encore jeune qu’il a été publié. C’est-à-dire que c’est toute l’équipe de l’émission qui l’a reçu. Ça me semble une coche un peu plus evil que de l’envoyer à une seule personne.
M’embarrasser auprès de mes collègues, c’est pas très gentil, Andrée.
En lisant ce brûlot, je me suis souvenu de cette dame au milieu d’un motton de personnes. De lui avoir dit « bonjour, comment ça va? », de lui avoir demandé à quel nom dédicacer le livre et de lui avoir dit bye. La procédure standard quand la personne n’a rien de plus à me dire. Il me semble qu’Andrée s’attendait à ce que je m’intéresse plus à sa personne. Il y a des personnalités publiques qui sont des as du small talk, et c’est tout à leur honneur. J’aimerais être comme eux. Mais, comme le dit Andrée, « être introverti, c’est quelque chose ». Je ne suis pas Gino Chouinard. S’il y a un seul kiosque de tout le Salon du livre où quelqu’un ne devrait pas être surpris de ne pas s’être fait un nouvel ami, c’est probablement celui du gars qui a écrit un livre sur le fait qu’il met en moyenne dix ans à devenir ami avec quelqu’un.
Au-delà de tout ça, ma froideur l’a tellement agressée qu’elle a décidé de ne plus écouter notre émission.
D’un côté, il y a des gens qui cessent de regarder les films de Roman Polanski parce qu’il est un agresseur, et de l’autre, il y a des gens qui arrêtent d’écouter La journée est encore jeune parce qu’ils ont trouvé un des animateurs bête, une fois au chalet.
Évidemment, pour rationaliser les commentaires qui nous déplaisent, nous, les semi-vedettes, allons voir le profil Facebook de la personne pour confirmer que c’est juste un tata et que ça ne vaut pas la peine de s’en faire. Dans le cas d’Andrée, malheureusement, il n’y avait que des photos de ses chats.
Tout ça m’a fait réfléchir. Est-ce que tous les gens qui m’ont rencontré se disent la même chose? Est-ce que même si je me sens heureux d’être là, content de voir les gens, ça ne paraît pas dans ma face? Même si je reçois plein de rétroactions positives, impossible d’éviter de me poser ces questions. Pourtant, même le « journaliste » de Radio X qui était venu me parler pour l’occasion m’avait trouvé assez sympathique à son endroit (trop sympathique, même, parce qu’après, j’avais l’impression qu’il voulait être mon ami, tellement il m’écrivait souvent). Andrée était la seule à avoir pris la peine de me dire mes quatre vérités.
Bref, ce message, plus que tous les autres que j’ai reçus, m’avait troublé. J’essaie depuis d’être plus expressif quand les gens viennent me parler. Probablement que ça ne paraît pas. Probablement que j’étais déjà correct, avant.
L’important, dans tout ça, c’est qu’il ne faut pas se laisser jouer dans la tête par ce genre de personne mal intentionnée. Par exemple, écrire une chronique à leur sujet serait leur donner raison. C’est pourquoi je vais m’arrêter ici.
Désolé, Andrée, tu l’auras pas mon attention!
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