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Laurent Dagenais : au sommet de la vidéo culinaire

L’étoile du foodporn nous livre ses secrets.

Par
Jean Bourbeau
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C’est autour d’une table au Brésil que je rencontre Xing, un Chinois rondelet en voyage autour du monde « pour manger, surtout », dit-il avec nonchalance, alors qu’une gigantesque moqueca de camarão se dépose devant nous. Avec le même ton lent dans la voix, il ajoute, en filmant le plat bouillant, que l’humain n’a besoin que de trois choses pour assurer sa survie : manger, dormir et se reproduire. Il poursuit en affirmant que grâce aux possibilités du web, « nous assistons à la pornification toute naturelle de la scène culinaire, car filmer les dormeurs est ennuyant ».

Selon Xing, le contenu gastronomique en ligne vient combler des désirs aussi fondamentaux que la sexualité. Il m’avoue regarder des heures de contenu chaque jour et saute parfois des repas, préférant les remplacer par de longues séances de foodporn sur son cell.

Un pétoncle au beurre plutôt qu’une levrette.

Si la thèse que soumet Xing sous le chaud soleil de Bahia peut sembler farfelue aux premiers abords, il faut admettre que l’offrande gastronomique a explosé en un véritable phénomène culturel capable de faire saliver un immense marché. Les scientifiques du MIT viennent d’ailleurs tout juste de publier une étude sur l’activité neuronale devant le spectacle d’un cheese-pull d’une pointe de pizza.

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L’industrie du succulent n’est peut-être pas aussi développée que celle du sans vêtement, mais charme de plus en plus les masses à grands coups de céleri-rave et de polenta crémeuse.

Et des acteurs et actrices de la coquinerie alimentaire, on en retrouve un nombre incalculable, mais au Québec, bien peu ont atteint les hautes collines de la pornosphère culinaire. Avec ses images explicites de morelles fourrées à la ricotta et de risotto dégoulinant de burrata, le délicieux Laurent Dagenais est l’un des rares d’ici à avoir su conquérir les fines bouches de la planète gourmande.

@laurent.dagenais

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♬ Rockin’ Around the Christmas Tree (Rerecorded Version) – Brenda Lee

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Il a eu la gentillesse de m’inviter à son domicile-studio le temps d’un bœuf en croûte pour qu’on jase gravlax, viralité et futur de sa petite entreprise.

Tout a commencé il y a environ cinq ans, à la suite d’une blessure qui l’oblige à s’éloigner des fourneaux. Le cuisinier commence à produire des saynètes seul chez lui sur la Rive-Sud de Montréal. Sa rencontre avec sa copine, Amandine Francoeur, lui donne un précieux un coup de main. C’est en effet en unifiant leurs efforts qu’ils connaissent depuis un succès inattendu.

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Pour le jeune couple, l’aventure a soudainement pris son envol avec la publication d’une recette de gravlax de saumon en avril 2021. « Amandine a cru que TikTok pouvait être une avenue pleine de potentiel, raconte Laurent. Notre troisième vidéo [le gravlax] a été la bougie d’allumage. On l’a mise en ligne vers 23 h et on s’est réveillés le lendemain inondés de notifications. Ça avait généré la controverse parce que je m’étais permis quelques libertés et les Scandinaves capotaient. »

Comme chez les Italiens, où la pureté des recettes est sacrée, la vidéo a créé l’ire des contrées nordiques. « Ce sont des puristes et ils ne se gênent pas pour le dire. Mais je ne suis pas leur grand-mère! », raconte Laurent avec le sourire, lui qui possède une solide expérience en cuisine à Montréal et en Colombie-Britannique.

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Outre la petite moustache qui trahit les contours de sa profession, je note à la blague que son nom n’est pas très pornographique. « Non, c’est vrai, mais je veux conserver mon nom, même si c’est souvent un massacre, lance Laurent. Je veux mettre de l’avant que je suis Québécois. Avec le choix de mes ingrédients, j’ai une plus grande complicité avec des créateurs européens comme Xavier Pincemin ou Whoogys que les gros steaks américains. Mais on parle tous la langue universelle de la bouffe. »

Et là réside la beauté de son projet : c’est qu’il s’adresse aux frontières imprécises du web plutôt qu’à un marché en particulier. Peu importe où se trouve Xing dans le monde, il peut s’émerveiller devant la cuisine du Montréalais.

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Le chef TikTok avoue que sa plus grande influence est le coloré chef torontois Matty Matheson, dont la carrière stratosphérique s’est construite une vidéo à la fois. « Avec son look alternatif et son charisme, il a intéressé toute une génération à mieux cuisiner », mentionne-t-il en sabrant la carotte.

Loin d’être 18 ans et plus, les mets raffinés que Laurent propose sont ceux d’un chef à l’exécution maîtrisée avec des produits frais. Les vidéos durent une minute, une minute trente, présentées sous la forme de convulsions comestibles. Impossible de ne pas vouloir voir le produit final. Un format bien plus débauché que les pages de Jehane Benoît.

« Le message, c’est le médium », disait McLuhan.

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Laurent et Amandine sont conscients que leur pratique peut provoquer les risques d’une gratification instantanée. Un fix continuellement nécessaire inculqué par la Sainte-Trinité : likes, views, followers. Surtout lorsque les statistiques affichent autant de zéros.

Après les partages de Tasty en août 2021, un acteur majeur de la communauté foodie, le travail de Laurent et Amandine a connu un succès vertigineux : tartare de boeuf (4 M de vues), lapin à la moutarde (12 M), et tacos & tequila (27 M), pour cumuler plus de 75 millions de vues sur la plateforme préférée du moment.

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La polyvalence de DJ Amandine est la force méconnue du duo. L’opticienne de profession fait office de directrice artistique. « Je m’occupe de la caméra (tout est tourné avec un iPhone), et on monte à deux selon nos horaires, dit-elle. Ça prend environ quatre, cinq heures à faire par capsule. En essayant toujours d’offrir un mélange d’humour, de beau et de sa petite face. »

Close up sur l’asperge spectacle.

« Selon moi, le succès de Laurent vient de son style qui le démarque, poursuit-elle. Avec son look cool, c’est comme un ami auquel tu peux t’identifier, mais qui cuisine toujours de la bouffe élégante! »

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Fort de 1,4 million d’abonné.e.s et de zillions de vues, Laurent n’a pas tardé à être contacté par de grandes entreprises, enthousiastes à sa nouvelle notoriété. Laurent admet qu’avant de signer avec l’agence de gestion Dulcedo, il n’avait pas la moindre idée des tarifs à charger. Le défi, maintenant, est de bien choisir ses collaborations. « Il faut rester propre à son identité, surtout rester cohérent », estime-t-il.

Laurent vient tout juste de mettre la touche finale à son premier livre de recettes, Toujours Faim, un ouvrage léché de 70 recettes aux éditions de l’Homme. Le jeune homme désirait exprimer sa passion en laissant une marque physique. Avec un poids.

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Le couple accepte que les attentes aient changé avec le temps. « J’essaie de ne pas trop regarder les statistiques et simplement ajouter du contenu de qualité sur une base régulière, souligne Laurent. On mange tous les jours, alors on filme environ quatre vidéos par semaine. On essaie de ne pas suivre de trop près les modes, question de ne pas se perdre. Il va y avoir des coups de circuit et des prises au bâton. »

Dans le ventre de cet incessant buffet chaud qu’est la porno culinaire, la saveur du mois peut rapidement sombrer dans l’oubli. Mais le couple dévoile une constance qui lui promet un bel avenir. Il compte continuer à rouler sa bosse tout en se permettant « de voyager, de rencontrer des passionnés, de continuer à faire de la bonne bouffe, et qui sait, peut-être ouvrir un restaurant », conclut Laurent, au moment de tourner la macreuse rôtie.

Cumshot d’huile d’olive signature.

Lancer de fourchette.

C’est un wrap.

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