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L’audacieux pari d’opérer une cabane à sucre végétalienne et responsable
Cette saison des sucres, j’ai troqué mon rendez-vous avec le sirop d’érable pour une alternative végane offerte par l’entrepreneur Simon Meloche-Goulet qui, en plus de ce chapeau, porte aussi la toque de chef et la salopette de maraîcher dans son entreprise familiale et coopérative située à un peu plus d’une heure de Montréal.
La cabane à tuque propose depuis trois ans une adaptation végétalienne des classiques de la cabane à sucre près de Mont-Tremblant dans sa maison pouvant accueillir 35 convives par service. En discutant avec lui avant notre repas, j’ai rapidement compris qu’apposer l’étiquette d’entreprise à cette aventure était un raccourci qui ne rendait pas service au réel esprit derrière cette cabane à sucre résolument différente de ce que la tradition nous a appris.
En effet, Meloche-Goulet gère les affaires de La cabane à tuque, mais il emprunte surtout à l’esprit des coopératives en s’entourant d’agriculteurs et d’artisans de sa région pour offrir une gamme de produits variés et complémentaires. Ainsi, son menu est presque complètement local, écologique, bio et responsable. Un défi qui semble de taille sur papier, mais qui dans les faits reflète ses choix de vie et ses décisions économiques, rendues possibles grâce à l’entraide au cœur de ce projet.
Malgré les moyens modestes, il est concevable de vivre de cette aventure, surtout qu’elle a été construite et conçue par le couple résidant qui élève aussi une petite famille de deux enfants dans cet environnement alternatif.
Le virage végane
«Je suis flabbergasté du monde qui font la route juste pour venir ici.»
C’est avec l’air amusé et pas peu fier que le chef me faisait cette confidence durant la préparation du service de l’après-midi. Ceci dit, il met le doigt sur quelque chose quand il constate que les gens sont de plus en plus conscients de ce qu’ils ont dans leur assiette. La montée du végétarisme et des alternatives végétales n’est pas qu’une phase populaire pour contredire les amoureux du bacon. Il y a, dans la démarche et son application au quotidien, un désir de revoir notre rapport à la consommation.
Forcément, ça peut devenir bon pour les affaires à qui sait le voir au bon moment. Pour Meloche-Goulet, il y avait un mariage naturel à faire entre ses convictions, ses choix de vie et sa fibre entrepreneuriale.
«Je suis flabbergasté du monde qui font la route juste pour venir ici.»
«Je suis végétarien depuis que j’ai 16 ans», m’explique-t-il en me parlant de la genèse de sa cabane. «Moi, j’ai construit la maison parce que de base je ne pouvais pas rester dans des maisons normales, j’étais toujours malade. Plus jeune j’avais des problèmes respiratoires. C’est de là que découlent de mon végétarisme et végétalisme. Plus j’allais vers des choix alternatifs, plus ça m’amenait du bien.»
Cette contrainte de jeunesse s’est transformée en mode de vie et ce «rejet» de la vie traditionnelle est plutôt une ouverture à des choix plus adaptés à ses besoins. Meloche-Goulet sait qu’il n’est pas le seul dans cette situation et, surtout, il est conscient qu’il ne peut pas imposer ses convictions aux gens s’il souhaite voir des changements s’appliquer à long terme.
«Si tu brag vraiment fort ton côté écologique, tu vas repousser les gens avec une approche plus traditionnelle.» En l’écoutant m’expliquer cette réalité, j’ai moi-même fait le pont avec ce qui m’agaçait des activistes plus agressifs qui, avec leurs discours, ne me rejoignent pas en tant qu’omnivore. D’ailleurs, le chef ajoutait ceci en parlant des visiteurs réticents à l’expérience: «Les gens se sentent le besoin de se justifier, comme si je les jugeais.»
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Faire les choses différemment
«Les gens arrivent ici et me disent qu’ils ne comprennent pas comment ils ont cette qualité-là pour ce prix-là.» Toujours avec l’œil bienveillant et fier, Meloche-Goulet ne cache pas son élément différenciateur dans l’offre des cabanes végé ou végane. «Au prix que j’fais, c’est vraiment gagnant. Je suis en dessous de la compétition. Même que je pourrais être végé traditionnel et dropper mes prix. Je préfère personnaliser et le faire avec de la bouffe bio.»
«Les gens arrivent ici et me disent qu’ils ne comprennent pas comment ils ont cette qualité-là pour ce prix-là.»
Cette association entre la qualité et le prix modeste n’est pas habituelle en restauration, elle fait même rare figure en raison des hauts coûts d’exploitations des lieux et d’importations des aliments. «Je fais tout moi-même. Si je me payais à l’heure, ça ne serait pas la même affaire.»
«Contrairement à d’autres restaurants, j’ai des facilitateurs. Je sais exactement combien de gens viennent et ça me donne moins de pertes.» Cette différence entre sa cabane et un restaurant traditionnel, Meloche-Goulet la chérie même s’il ne voit pas ici un canevas pour grossir son entreprise, ou pire, la franchiser.
«Toujours grossir, à un moment donné ça a une fin. Tout le monde veut que je grossisse, mais moi, je veux que ma gang grossisse.»
Cette approche différente est tout à l’honneur de Simon Meloche-Goulet qui a aussi bâti son projet avec l’aide d’une centaine de personnes, de près ou de loin. Si on dit que ça prend un village pour élever un enfant, c’est aussi le cas quand on parle d’un «bébé» entrepreneurial comme une cabane à sucre végane doublée d’un lot de terre où la passion maraîchère du chef s’impose quand ce n’est pas le temps des sucres.
Parce que la cabane, le cœur de l’aspect business de cette aventure, c’est trois mois par année. Le reste du temps, il faut planifier, peaufiner et donner de l’amour au projet. Pour Meloche-Goulet, ça veut dire se salir les mains dans la terre et se faire de la corne sur les paumes en maniant des outils.
«Je m’enlignais plus pour être maraîcher bio, je me voyais pas faire une cabane à sucre.» Comme quoi la force des choses s’explique difficilement.
Ouverture et tolérance
Sachant tout cela de l’entreprise familiale, difficile d’être fermé devant la proposition de changer les classiques de la cabane avec des ingrédients locaux et, surtout, végétaux.
Cependant, tout le monde n’a pas cette approche positive. «J’ai des messages de hate et c’est nouveau dans ma vie», m’avouait-il, tout de même zen devant la situation. «Cette année, c’est intense, mais je trouve ça drôle. C’est juste des gens que j’aimerais avoir ici pour jaser avec. Leur montrer que les véganes ne sont pas tous des radicaux qui pètent des boucheries.»
«J’ai des messages de hate et c’est nouveau dans ma vie.»
Il estime d’ailleurs que la majorité de ses clients sont des omnivores curieux ou accompagnés de personnes végétariennes ou véganes. L’ouverture est donc présente et ce petit lieu chaleureux peut convertir une poignée d’individus à la fois – ne serait-ce que par la force du réconfort et de l’ambiance.
Ça se reflète aussi dans les discussions qu’il a avec ses convives après les repas à propos de leurs préjugés négatifs par rapport à l’offre végétale. «C’est 99% positif pour 1% de négatif. Dès que les gens viennent ici, ça s’estompe. Les gens sont surpris.»
On peut donc se réjouir du modèle que sont en train d’établir Simon Meloche-Goulet et sa petite famille avec La cabane à tuque. Il n’a pas la prétention de réinventer la tire sur la neige, après tout c’est un classique déjà végane, mais il changera radicalement votre vision de la «bonne vieille» cabane à sucre de votre enfance.
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