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L’ascenseur et ses malaises silencieux

Par
Kéven Breton
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Avez-vous pris l’ascenseur aujourd’hui? Moi oui. L’apesanteur mécanique fait partie intégrante de mon quotidien. Il passe rarement une journée sans que je n’appuie frénétiquement sur l’un des deux boutons dans l’irrationnel espoir que mon geste accélère son arrivée. Je prends l’ascenseur dans mon bloc appartement. Au métro. À mon travail. Partout.

Tellement que je suis devenu un témoin privilégié de ce que j’appelle affectueusement “les moments d’ascenseurs”; ces insoutenables secondes où l’on partage silencieusement notre intimité avec des inconnus, le temps de gravir quelques étages.

Ce que je peux déduire de mon expérience c’est que le vieil adage qui veut que “l’être humain s’habitue à tout” est faux. L’humain ne s’est JAMAIS habitué à utiliser l’ascenseur qui est encore pour lui sources de petits malaises et grandes détresses émotionnelles.

Je ne blague pas. Depuis son invention par Archimède (LUI-MÊME) l’ascenseur laisse ses usagers perplexes et songeurs – il confronte les voyageurs à l’ineptie de leur existence en les forcant à contempler silencieusement le vide et à ignorer leur semblable.

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L’être humain, dans l’ascenseur, est laissé à lui-même. Il ne sait pas comment se comporter. Comment se positionner. Quoi faire de ses dix doigts.

Il y a un code de la route. Des règles dans le métro. Mais l’ascenseur est ce territoire barbare dépourvu de tout décorum; le dernier terra nullius de notre modernité.

Pour preuve, visionnez cette expérimentation qui démontre bien que l’humain est complètement vulnérable dans ces situations.

À défaut de savoir quoi faire, on se tait. Suspendu dans le temps, on reste silencieux. Pourtant, c’est pas naturel. On vient au monde en criant. On évite à tout prix la sourdine dans n’importe quel autre contexte. Mais dans l’ascenseur, c’est une fatalité qu’on accepte.

Pourtant.

Pourtant l’ascenseur a cette formidable particularité de mêler le public et le privé; c’est le lieu public de nos aventures privées. C’est un théâtre huis-clos sur le quotidien d’illustres inconnus qui disparaissent fatalement tour à tour; ces électrons libres qui mènent individuellement leur propre quête vers un quelque part que l’on ne connaîtra jamais. Pour chacune d’entre elle : je ne peux pas m’empêcher de me demander QUI ES-TU ET OÙ VAS-TU MON FORMIDABLE JE SUIS CURIEUX.

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Des fois, je tente un rapprochement par le truchement de la simple politesse qui se traduit en «cinquième étage s’il vous plait» (quand je suis trop loin des boutons). Mais autrement, moi qui aime donc la jasette, je reste comme la majorité d’entre nous étrangement silencieux. Parce que ces cages mécaniques capturent toute mon incapacité à contacter l’autre.

Si je rencontre un inconnu dans un train ou dans un lift Amigo Express, nécessairement, je vais entreprendre la conversation éventuellement. Parce que ça deviendrait un trop gros malaise que de laisser le silence se prolonger trop longtemps. Mais dans le cas de l’ascenseur, le périple est trop court pour entamer une conversation. Même si un «bonjour» ou une «bonne soirée» peut aisément se glisser à l’intérieur d’une balade de trois étages. Mais trop souvent je ne le fais pas.

Je sais pas pourquoi. C’est peut-être parce que, dans un si petit endroit, nos bulles ne sont pas respectées et on se sent menacé. Sans compter ce danger constant qui nous guette qu’une défaillance technique mènera à une chute mortelle.

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Mais en attendant, il y a cette théorie intéressante qui existe : un simple sourire servirait déjà à désamorcer le malaise et rendrait plus agréable la promenade. C’est à essayer je pense.