Le nom de Lary Kidd n’est plus à faire sur la scène hip-hop québécoise. De ses débuts à gratter ses premières lignes dans ses cahiers de notes à l’adolescence, le rappeur d’Ahuntsic s’est forgé un persona fidèle à sa nature désinvolte et baller, influencé par les Jay Z et Cam’ron de ce monde, résonnant un peu partout dans la province quelques années plus tard grâce aux bons coups de Loud Lary Ajust (LLA).
Mené par un amour de l’esthétisme qu’il va puiser dans les créations textiles et dans sa conception d’un bon morceau de hip-hop, Lary Kidd a toujours misé sur son souci de la facture stylistique attrayante pour façonner ses projets. Plus de deux ans après nous avoir plongés dans un délire dense et uniformément dark avec Contrôle (2017), le emcee revient avec Surhomme, un deuxième album solo méticuleusement plus concis et varié sur lequel il brosse un portrait un peu plus nuancé de sa personne.
Réalisé par le dream team de beatmakers Ruffsound et Ajust, le duo principal derrière les albums de Loud, ce nouveau projet se promène entre les codes east coast à l’ancienne et les formules sirupeuses de Houston et Atlanta pour mettre en valeur un Lary Kidd en meilleure possession de ses moyens.
On est allé à sa rencontre pour en savoir davantage sur la conception de ce projet, la lucidité de l’âge et cette appréciation des beaux-arts et de l’art contemporain qu’il met de l’avant dans tout ce qu’il fait.
Les deux côtés de la médaille
D’entrée de jeu, Lary Kidd a voulu frapper fort sur la pièce-titre de son album. Reconnu pour ses bangers faisant l’éloge de la déchéance, le jeune trentenaire y expose un regard plus multidimensionnel de la consommation, de notre mode de vie occidental et de ce rapport malsain à l’argent qu’on a tendance à entretenir.
« Je crois que ce qui était peut-être mal perçu, c’est que dans mon œuvre précédente au sein de LLA, ou même dans mon premier album Contrôle, je pense que si tu saisissais le ton, tu comprenais qu’on ne vante pas nécessairement ce qu’on dit. C’est comme une espèce d’hédonisme qui est comme un peu malgré nous », explique-t-il à propos de cette volonté plus explicite qu’il attribue notamment à la maturité qu’il a développée dans les dernières années. On le remarque sur des chansons comme Lifestyle et Lucidité.
« Je pense que ce commentaire a toujours été là, mais maintenant il est plus assumé. Et visiblement, je suis plus réfléchi maintenant. J’ai vieilli et tout ça. »
« C’est arrivé naturellement, constate-t-il, au sujet de cette douce transition vers quelque chose de plus nuancé. Je pense que j’ai maintenant de la misère à faire de la musique dans laquelle je fais juste me vanter. Il faut tout le temps qu’il y ait une espèce de commentaire qui envoie soit une flèche à une injustice sociale ou qui critique quelque chose. Il faut que ça montre l’autre côté de la médaille. C’est pas systématique, mais ça fait un peu partie de mon style maintenant. »
Les beaux-arts et le hip-hop
À cette signature particulière se mêle cette fascination pour les beaux-arts et les l’art contemporain; une réelle passion qu’il entretient et qui vient jouer un certain rôle dans la conception de son craft. En plus d’apparaître sur un monolithe sur sa pochette, le rappeur a notamment glorifié les artistes Pierre Paul Rubens et Marcel Duchamps dans ses chansons par le passé.
« Je trouve ça juste fascinant que l’art, c’est juste du recyclage perpétuel », relate l’ancien membre de LLA, parlant de la démarche qu’il réutilise à sa sauce lorsque vient le temps de monter une courtepointe hip-hop, remashant au passage des extraits de Sans Pression sur Mal Élevé et de Rainmen sur Coupe-vent Columbia, en collabo avec 20some.
« C’est comme un questionnement de la réinterprétation de quelque chose. En ce moment, l’art c’est comme une inception infinie. Genre. Même dans le rap, de réinventer comment se vanter de sa nouvelle voiture constamment, c’est fascinant tsé. C’est pas quelque chose que je reproche, c’est juste quelque chose que j’observe. C’est aussi quelque chose que je questionne énormément. »
« Edmund Alleyn, il a fait une série [Éphémérides] où c’est juste des objets peints sur un fond noir. Je sais pas, y’a comme une espèce de beauté sidérante là-dedans. »
Un processus réaligné
Si le premier album misait sur une certaine spontanéit é et de brefs ajustements aux beats provenant d’une poignée de producteurs divers, Surhomme a cherché à se coller à une formule plus uniformément collaborative et fignolée. Le processus est teinté par le input de Ajust et Ruffsound, qui ont agi à titre de principaux beatmakers et réalisateurs de l’album, ce qui a permis à Lary de mieux définir la vision artistique du projet.
« Ca me prenait des gars qui allaient m’encadrer, qui allaient me dire genre “bro réécris le refrain” ou “cette line-là, elle sert à rien”. Ils ont sorti le meilleur de moi-même. »
Musicalement, le produit final est allé puiser dans les influences et origines diverses du rappeur et designer, allant de la touche old school à la new-yorkaise jusqu’à la prod contemporaine à la Kanye West, en passant par le ruggedness de Madlib.
« On a conduit au chalet, installé les instruments et les ordis, pis go! On a passé cinq jours au chalet pis après c’était des sessions de tweaking à Montréal. Mais le core s’est fait en quatre jours. Les gars avaient genre 18 beats en tout. C’est qu’ils sont créatifs à ce moment-là. Je veux dire, tu vas prendre une marche, tu reviens, et y’a deux nouveaux beats de faits! C’était une nice expérience , confie-t-il. Mais sinon, on a quand même pris notre temps. Je me suis bien appliqué sur mes textes par après. »
« Au point de vue amical et créatif, c’était très le fun. Très challengeant, mais très le fun. Et pas dans le sens que je repartais à la maison frustré, c’était de se dire let’s step it up tout le temps. Mais ouais, je pense qu’on a un esti de bon album entre les mains. »
Par le biais de ses variétés d’ambiances, de flows, de productions et ses trois rares featurings (Loud, 20some et Tizzo), Surhomme propose l’expérience « Lary Kidd » plus complète, touchant un peu (plus) à tout.
« Je pense qu’un album de rap, ça se doit d’être varié. Je crois qu’au Québec, pour avoir notre petit discours radio-canadien, il faut souvent qu’on ait un album qui soit intellectualisable et explicable, cohésif et réfléchi, admet-il, un peu moqueur.
« Même moi, je me souviens quand je parlais de Contrôle, j’étais tout le temps en train de dire que je lisais Cioran, pis que telle phrase c’était parce que j’avais lu George Bataille, pis telle affaire ça voulait dire ça, etc. Mais le parallèle que je fais avec ça, c’est qu’un album de rap, ça peut être juste un album de rap là! »
S’il perdait le contrôle sur son premier opus solo, Lary Kidd semble le reprendre complètement sur ce nouveau projet. Se mettant même en scène de manière magistrale sur sa pochette et dans ses vidéoclips. Un artiste assurément dans une forme optimale qui ne cherche pas à se perdre dans des concepts surfaits.
« En fait, Surhomme, c’est un album qui se veut juste un bon album de rap. Le statement est là en ce sens où ce sont cinq gars qui se sont assis et qui ont essayé de faire le meilleur album avec les meilleurs beats, des featurings justes, pis les meilleures bars. That’s it. »
Surhomme est maintenant disponible en magasins et en streaming sur toutes les plateformes numériques.
Lary Kidd présentera le lancement sold-out de l’album le 15 novembre aux Foufounes Électriques de Montréal.
Il annonce une supplémentaire avec invités spéciaux le 6 mars 2020 au Club Soda.