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L’art de recartographier Montréal

Parcours avec l'équipe du Projet instantané/ Snapshot Project

Par
Eve Tagny
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Juin. Je me réveille. Méga soleil. Enfin! Je reçois un texto : « Oups, j’ai fait la grasse matinée. On se rencontre à 14h00. » J’enfourche mon vélo et je rejoins Cléo Sallis et Christyna Franklin, les filles du Projet instantané/Snapshot project, au magasin de disques l’Oblique sur Rivard au coin de Marie-Anne.

Depuis le printemps dernier, les filles portent ce projet d’art public. L’idée? Simple, efficace, adorable. Elles ont déposé dans des commerces locaux et lieux publics des appareils photos jetables dans quatre quartiers : le Plateau, le Mile-End, le Centre-Ville et Jean-Talon. Ceux-ci sont accompagnés d’une carte postale invitant les gens qui les trouvent à s’en emparer et à photographier un élément de leur quotidien qui leur semble d’intérêt, sans restriction, puis de rapporter l’appareil à son lieu d’origine. Les filles récupèrent alors les appareils et font développer les films. Le projet a culminé en une exposition à la boutique Citizen Vintage où les participants ont pu voir le fruit de leur collaboration anonyme exposé sous forme de « constellations »; une myriade de perspectives individuelles, recréant ainsi une carte de la ville de Montréal.

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« Oh mon Dieu! On porte des vêtements complémentaires! » remarque Christyna. Short en jeans, lunettes de soleil, bicyclette, Cléo et Christyna font la paire. Bilingues, jeunes, créatives, drôles et bien entendu, jolies. Être à côté de ces deux Montréalaises d’adoption fait presque pâlir.

Néanmoins, je les accompagne tout l’après-midi dans leur périple à travers les petites rues du Plateau pour récupérer les appareils photo qui sont remplis. Leur processus de travail est à l’image du projet lui-même : se balader à vélo ou à pied dans leur quartier, croiser des amis sur la route, visiter les commerces locaux, porter une attention aux beautés de la vie quotidienne et les photographier. En somme, s’extasier et capter la créativité de Montréal. Selon les deux comparses, c’est une ville qui, une fois les quelques mois d’adaptation passés, s’expérimente aisément, avec une certaine fluidité.

« À Montréal, il y a une telle qualité de vie! » s’exclament-elles à l’unisson.

Il y a moins d’un an, les deux amies vivaient encore à Ottawa, où elles se sont rencontrées. « C’est là-bas que l’idée a germé », se souvient Christyna. « Mais ce genre de projet est plus difficile à réaliser à Ottawa », enchaîne Cléo. « C’est une ville plus…fonctionnaire, officielle, espacée. Tandis qu’à Montréal, l’été, il y a une ouverture et une proximité qui facilite un tel type d’échange. »

Manque de bol (ou d’organisation), l’Oblique est fermé les lundis. Les filles sont un peu embêtées mais c’est vite oublié puisqu’en se dirigeant vers la deuxième destination, le Santropol roulant, on croise un des pianos de rue mis à la disposition du public au coin de la rue Saint-Denis. Cléo s’enthousiasme que le Projet instantané s’inscrive dans la continuité des installations et des projets d’art publics qui foisonnent à Montréal, tel que les balançoires de la Place-des-Arts, la Gift Box et les écriteaux « Je voudrais pas crever sans… ».

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La pause musicale terminée, on reprend la route. Des graines de pissenlits fanés virevoltent dans les airs. Elles se prennent dans mes cils et je peste intérieurement. Cléo elle, s’émerveille : « On dirait une tempête de neige version estivale! »

Arrivées au Santropol roulant, les filles discutent avec un des responsables, Julian, qui leur remet la caméra. Tout comme l’organisme, le projet instantané a pour mission de renforcer la communauté locale. « On voulait rappeler aux gens qu’ils vivent dans la même ville que des milliers d’autres personnes. On est tellement centré sur notre vie quotidienne qu’on a parfois tendance à l’oublier », observe Christyna. « C’est là la beauté de la photographie : les gens peuvent capturer absolument n’importe quoi qui leur semble d’intérêt. », poursuit Cléo. « Donc le fait de partager ces images permet de découvrir des aspects, des éléments de notre environnement qu’on avait jamais remarqué. » Elles admettent qu’à la base, le projet était pour elles-mêmes une façon de rencontrer des nouvelles personnes et de découvrir des endroits.

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Direction Nord-Ouest, cette fois-ci à pied, ce qui permet à Christyna de s’arrêter sentir les fleurs et de commenter l’architecture hétéroclite. Nous nous rendons à la librairie T. Westcott. Son propriétaire, Terry, est un de ces commerçants avec lequel les filles ont pu développer une relation autre que simplement commerciale. Snap! Une cliente prend une photo, mais il reste plusieurs poses sur l’appareil. Les filles décident donc de le laisser en place. «Bye Terry! See you next week.» Investir son quartier de par nos relations sociales.

Bien que, pour des raisons pratiques, les caméras ne soient pas dispersées à travers toute la ville, il était important pour le duo de rejoindre une démographie diverse, que les participants ne viennent pas d’un groupe trop homogène. L’utilisation des réseaux sociaux a été un des éléments clé dans l’atteinte de cet objectif puisqu’ils permettent de communiquer avec un maximum de personnes à la fois. « Ça permet aux gens de suivre les développements du projet, que ce soit sur notre Tumblr, Facebook ou encore Instragram, donc ça stimule leur participation. »

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L’autre aspect central est le bilinguisme. Toutes les informations véhiculées sont disponibles en anglais et en français. Pour Christyna, dont la première langue est l’anglais, il est primordial de savoir s’exprimer dans les deux langues quand on vit à Montréal, même si ce n’est pas toujours facile. « De façon générale, on trouve que les anglophones et les francophones cohabitent bien mais il y a tout de même des tensions… disons, un peu de ressentiment de part et d’autre. Les deux communautés sont souvent divisées en termes d’activités et de lieux qu’ils fréquentent. On voulait contribuer à réduire cette division en incluant les deux cultures dans un même projet. » La photographie, l’image, agit ici comme moyen de communication qui transcende la barrière de la langue.

Notre dernier arrêt de la journée est la papeterie Nota Bene sur l’avenue du Parc. Les employés ont fait une petite installation pour l’appareil jetable dans la vitrine. Cléo est soulagée que ce dernier soit toujours là. La semaine précédente elle croyait qu’il avait disparu de la circulation, tout comme la moitié des autres appareils. Ça me semble énorme comme nombre mais elle me rassure: « Au contraire, le ratio correspond à nos attentes. On a lancé un défi aux citoyens en disant: ‘Voilà, on vous laisse ces caméras, qu’allez-vous en faire?’ Moi, je suis damn fière d’eux. Damn fière! »

Pour suivre le Projet instantané/ Snapshot Project:

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