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L’anxiété ordinaire de Fanny Britt
« Je ne me sens pas tellement loin de la fille de 14 ans que j’ai été. »
Apparue au coin des rues Henri-Julien et de Castelnau dans la chaleur cotonneuse d’une ultime canicule estivale, Fanny Britt me raconte l’écriture de son nouveau roman jeunesse Bonjour, mon cœur avec franchise et vulnérabilité. Dissimulée derrière ses lunettes de soleil et son café, elle me parle à la fois de son œuvre et d’elle-même. Pour elle, ça semble indissociable.
« J’ai l’impression de ressentir encore la même fébrilité, les mêmes doutes », précise-t-elle avec un sourire timide. « Ç’a été très facile, pour moi, de replonger dans cet état d’esprit. »
Romancière, dramaturge et traductrice émérite, Fanny Britt est une force créative du milieu littéraire québécois depuis bientôt vingt-cinq ans. Ses romans Les maisons et Faire les sucres font encore beaucoup jaser et ses pièces de théâtre font courir les connaisseurs.
Malgré une œuvre impressionnante, Fanny n’avait pas encore écrit de roman comme Bonjour, mon cœur, destiné aux ados et préados dont la vie se résume à une suite ininterrompue de changements. Une période difficile pour tout le monde et décrite avec sensibilité par l’autrice.
Redevenir une ado à 47 ans
Bonjour, mon cœur raconte l’histoire de Bernadette, une ado montréalaise en vacances d’été avec sa famille dans le Bas-Saint-Laurent. Introvertie et angoissée de nature, elle soupçonne qu’elle souffre d’une maladie cardiaque. Avec un été de nouvelles expériences et de rencontres spontanées qui s’offre à elle, le petit cœur tourmenté de l’adolescente en prendra pour son rhume.
« Je suis aux prises avec l’anxiété depuis toujours, mais ça a pris longtemps avant que je comprenne de quoi il s’agissait. C’est demeuré un mystère jusqu’à la vingtaine, je dirais », m’explique Fanny.
L’autrice avait le goût de parler d’anxiété ordinaire. Pas de l’anxiété qui coupe les jambes et court-circuite la vie, mais plutôt de celle qu’on traîne chaque jour avec nous comme un boulet. Celle qu’elle connaît. Elle a donc créé un personnage qui lui ressemble. Cérébrale, hypervigilante et très critique, aussi. « Bernadette est quand même chialeuse. Elle a des opinions très tranchées. J’étais comme ça, moi aussi », affirme-t-elle.
L’histoire de Bonjour, mon cœur, c’est tout d’abord celle d’une prise de conscience et d’un apprentissage important. Il n’y a pas de héros ni de méchant.
Personne ne meurt et personne n’est sauvé. Du moins, pas littéralement. C’est une histoire à la fois ordinaire et extraordinaire.
Fanny Britt tient cet amour du réalisme psychologique de la prolifique romancière américaine Judy Blume. « Cette rencontre avec des personnages réalistes, avec des vies ordinaires, qui vivent les mêmes choses que toi dans un autre contexte, m’a vraiment marquée. Lire à propos d’une jeune fille juive New-Yorkaise qui avait ses premières règles, ça me faisait capoter. C’est demeuré un modèle pour moi », raconte l’autrice.
Redevenir une ado n’a cependant pas été sans embûches pour Fanny. Aujourd’hui mère de deux grands garçons, elle a dû s’éloigner de ce rôle pour donner vie à Bernadette. Elle a trouvé parfois difficile de ne pas pouvoir concevoir Bernadette avec son regard d’adulte. Malgré que les parents de cette dernière jouent un rôle crucial dans le roman, l’exercice consistait plutôt à demeurer avec elle et de voir le monde avec toute la fureur de vivre de l’ado qu’elle a été.
« Une partie du roman tourne autour de ses incompréhensions et ses jugements à propos de ses parents qu’elle vient à dénouer au fil des événements », précise-t-elle.
Parler de santé mentale en temps de paix
Au moment de notre rencontre, Fanny revient à peine de ses propres vacances dans le Bas-Saint-Laurent où elle possède une seconde résidence. « Tu sais, il y a toujours un moment en vacances où tu finis par décrocher et te sentir vraiment bien. Ça m’est arrivé plus tôt, ce mois-ci, et je me disais qu’il ya du monde qui se sent comme ça tout le temps. Ça doit vraiment être le fun », se remémore-t-elle.
En tant que société, on a fait beaucoup de progrès quand il est question du discours sur la santé mentale, mais on en parle surtout en temps de crise. Au fil de ma discussion avec Fanny, on mentionne la série américaine 13 Reasons Why (inspirée du roman du même nom). Celle-ci avait fait couler beaucoup d’encre à sa sortie, puisqu’elle montrait des ados victimes de violences graves, de problèmes de santé mentale lourds et ultimement, le suicide de l’un d’eux.
Pour Fanny Britt, l’anxiété est un combat de tous les jours, avec des enjeux et des conséquences moins faciles à discerner à l’œil nu, et c’était important pour elle d’illustrer ce combat tel quel dans Bonjour, mon cœur.
« Ça m’aurait aidée à vivre avec ma propre anxiété, si un auteur ou une autrice avait écrit quelque chose là-dessus, quand j’étais ado. Ça m’aurait aidée à apprivoiser ça plus tôt et à vivre ça plus ouvertement, parce que j’ai vécu beaucoup de honte. J’ai longtemps eu l’impression que c’était débile, d’être comme ça. »
Fanny entrevoit aujourd’hui l’anxiété comme une amie qui lui veut du bien, sans trop savoir comment s’y prendre. Si elle vit mieux avec certains aspects, elle lutte encore avec d’autres. « Je ressens beaucoup de culpabilité d’avoir transmis ça à mes garçons sans le vouloir, mais tout ça est assez ouvert chez nous. C’est une grande fierté, ça, qu’on réussisse à être ouverts. J’ai dit à un de mes fils, l’an dernier : “Je suis tellement désolée de vous avoir passé ça” et tu sais ce qu’il m’a répondu? “Tu devrais pas, parce que tu connais ça vraiment bien et que tu peux nous aider” », me raconte-t-elle avec un brin de fierté dans la voix.
C’est dans ce même état d’esprit que Fanny Britt a déversé un peu d’elle-même dans Bonjour, mon cœur. Pour accompagner les jeunes le long du chemin tortueux de l’adolescence, sans toutefois s’interposer. « Je pense que les jeunes souffrent beaucoup du besoin de leurs parents de ne pas les voir souffrir. J’ai moi-même fait cette erreur-là souvent, c’est-à-dire, de vouloir leur éviter la souffrance. C’est difficile d’accepter que ses enfants vont faire des erreurs et en payer le prix. »
Bonjour, mon cœur sera en librairie dès le 24 septembre. C’est un roman « jeunesse », mais qui raconte une histoire qui a le potentiel de toucher petits et grands. Une lecture agréable, touchante et douce.
« Si mon livre peut aider une ou plusieurs jeunes filles qui se posent les mêmes questions que Bernadette, ça sera toujours ça de gagné. Ça serait un grand succès, pour moi, qu’il soit enseigné dans une classe. J’aimerais vraiment en parler avec des élèves », conclut-elle.