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En cette semaine contre l’intimidation, j’ai décidé de faire mon coming out : j’ai déjà été une intimidatrice.
J’avais lu quelque part que c’était la semaine contre l’intimidation. Je trouvais ça vraiment bizarre qu’il s’agisse de la semaine où on en entend le moins parler au monde. Où est Jasmin Roy? J’ai dû lire ça dans un vieux magazine, ou voir ça dans une vieille émission de télé, parce que finalement, c’est pas du tout la semaine de l’intimidation. C’était autour du 2 octobre. Mais comme j’avais déjà tout prévu ma chronique dans ma tête et qu’on ne se lasse apparemment pas de parler de ce sujet-là, j’y vais pareil.
J’ai déjà été une intimidatrice. Pas au sens de 2012, comme dans «dire du mal de quelqu’un» ou «faire une joke déplacée sur une personnalité publique». Une vraie intimidatrice, comme en 1994, probablement la pire année de ma victime, appelons-la Marie-Soleil. Cette année-là, chaque matin, Marie-Soleil se rendait à l’école en se demandant ce qu’on lui réservait comme surprise. Allait-on voler ses effets scolaires, cracher dans son casier, mettre de la neige dans ses bottes, distribuer des dessins censés la représenter, lui chanter une chanson méchante qui l’humilierait? Je dis «on» car je n’étais pas la seule. L’intimidation, ça se fait en gang : à quoi ça sert, d’écœurer du monde, sinon qu’à asseoir sa suprématie sociale sur plus faible que soi?
Avait-elle un surplus de poids? Parlait-elle plus fort que les autres? Était-elle socialement maladroite? Je ne sais plus trop, mais chose certaine, Marie-Soleil ne méritait certainement pas de vivre ce qu’elle a vécu. On était en 1994, Kurt Cobain venait de mourir, le vert forêt était à la mode, je venais de changer d’école, mais surtout, j’avais 11 ans. C’est pourquoi j’en parle aujourd’hui : je ne suis plus la même personne, et cette personne que j’étais à 11 ans n’était pas une mauvaise personne, une méchante intimidatrice : c’était une enfant avec un léger besoin d’encadrement. L’intimidation, c’est jamais tout noir ou tout blanc, on le réalise quand on voit Laurie d’Occupation Double. Je sais que vous n’écoutez pas ça, vous, Occupation Double, mais si vous l’écoutiez, vous comprendriez peut-être plus le sens de la vie.
Quoi qu’il en soit, ce n’est pas pour excuser le comportement de Laurie ou le mien, que je fais ce coming out. Récemment, pour une émission de télévision, je voulais réunir des personnalités publiques pour qu’elles nous parlent de l’époque où elles intimidaient. L’intimidation, il y en a toujours eu, il y en aura toujours, mais des vedettes qui disent qu’elles se sont déjà faites rentrer dans le casier, on en a vu un paquet. J’ai donc appelé Jasmin Roy, pusher d’anecdotes d’intimidation, pour qu’il me mette sur la piste d’ex-intimidateurs. «Personne ne veut parler de ça, m’a-t-il dit, encore moins des personnalités publiques. Ça paraît mal, de dire qu’on a été un intimidateur». L’évidence.
Pourtant, 20 ans plus tard, on suppose que la page est tournée, que les gens ont changé et qu’ils sont capables de poser un regard nuancé sur ce qu’ils ont vécu. Il me semble que ça serait faire œuvre utile, d’expliquer ce qui, à l’enfance, nous a poussé à faire mal, ne serait-ce que pour faire amende honorable envers ses victimes, pour trouver des solutions, mais surtout pour brasser un peu notre perception manichéenne de ce qu’est l’intimidation.
Si je voulais que des personnes nous parlent de l’époque où elles en avaient fait baver, ce n’était pas pour dire que c’est cool d’être un intimidateur. Ce n’était pas non plus pour me rassurer d’avoir été dans le mauvais camp. C’aurait été pour qu’elles disent à des parents d’enfants victimes, à des victimes, à des bourreaux, à des parents d’enfants bourreaux, et à tous ceux qui s’arrêtent à croire que l’intimidation, c’est juste mal et que les intimidateurs sont tout simplement des brutes, qu’elles n’étaient, au fond, que des enfants qui filaient un mauvais coton, et qu’elles avaient besoin d’autant d’aide, sinon plus, que leurs victimes.
C’est pas en divisant le monde (et encore moins les enfants) en bons et en méchants qu’on va régler quoi que ce soit.
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