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L’année 2025 et ses jeunes, vus par nos vieux sages
Les grands moments de 2024 défilent dans ma mémoire comme un blockbuster raté. Alors comment aborder cette année qui approche, sans sombrer dans un cocktail bien shaké de cynisme, d’appréhension et de sarcasme pas très drôle? Ça relève d’un num éro de contorsionniste digne d’un vilain cirque.
Pensons à ces petites épiphanies du quotidien : pratiquer l’apnée sociale dans le métro bondé, hypnotisés par nos écrans où s’entrelacent guerres et futilités; essayer de se stationner dans une ville en chantier ou constater avec horreur que le prix de notre épicerie pourrait financer le bungalow garage double qu’ont acheté nos parents en 1986. On capote, bien sûr, mais on se persuade encore que rester positif est une option – même si personne n’y croit vraiment en doomscrollant en pleine insomnie.
Tensions géopolitiques, inégalités sociales, émergence de l’intelligence artificielle et Pic Turmel toujours en cavale, tout ça n’a rien de bien rassurant.
Même les Jeux olympiques, censés réconcilier un monde en miettes, n’ont pas tenu une journée avant que les divisions ne refassent surface. Le seul moment où l’humanité a eu un semblant d’unité cette année? L’éclipse totale du 8 avril. Trois minutes de grâce universelle où tout le sud du Québec a levé les yeux vers le ciel pour échapper, ne serait-ce qu’un instant, aux catastrophes naturelles, aux scams par texto et aux présidentielles débiles.
Bref, encore une année à se prendre des uppercuts bien placés, mais à rester debout, comme un boxeur un peu magané, sauvé par la cloche du Nouvel An.
Mais en pleine frénésie des Fêtes, il fallait bien trouver une échappatoire à cette morosité ambiante. Alors, j’ai poussé la porte d’une résidence pour aînés. Qui de mieux que ces doyens et doyennes, témoins lucides de décennies de hauts et de bas, pour offrir un éclairage différent – et, avec un peu de chance, une dose d’espoir – sur l’année qui s’annonce?
Cécile Michaud – 82 ans
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« Hier, c’était le dimanche de la joie, et j’ai eu le bonheur immense de devenir l’arrière-grand-mère du petit Jules. Ça m’a remplie d’une gratitude profonde envers la vie.
Mais si la gratitude me porte, il y a quand même un grand ajustement auquel je peine à me faire : les cellulaires. Ces petites machines ont tout bouleversé. Oui, j’ai une tablette – je ne vis pas sous une roche! – mais passer trop de temps dessus m’épuise. Prenez mon fils, par exemple : il habite en Colombie-Britannique, et pendant deux longues années, on ne s’est pas vu en chair et en os. Quand il est enfin arrivé à l’aéroport, tout sourire, il m’a lancé : “Mais maman, on se voit tout le temps sur FaceTime!” Et moi de répondre : “Non, ça, c’est pas se voir. Rien ne remplace une vraie étreinte, la chaleur humaine.”
C’est ça, ma grande question : comment revenir à l’humain?
Récemment, j’ai organisé un petit party de famille chez moi. Et là, qu’est-ce que je vois? Les jeunes, tous rivés à leurs téléphones. Ça m’a brisé un peu le cœur. Je rêve qu’ils redécouvrent ce que j’ai toujours considéré comme essentiel : le contact vrai, les échanges sincères. La technologie, à mes yeux, ne devrait jamais remplacer ça. On pensait que l’informatique nous ferait gagner du temps; au final, elle nous en vole. Et pas n’importe quel temps : celui qu’on pourrait passer ensemble, vraiment ensemble.
Alors, qu’est-ce qu’on est en train de sacrifier sans même s’en rendre compte?
Mon conseil, surtout aux femmes, c’est de réaliser à quel point elles ont aujourd’hui un champ des possibles immense. Elles peuvent choisir la carrière qui les anime, affirmer l’identité qui les habite, et vivre leur orientation sexuelle sans honte. Alors, osez. Explorez. Soyez curieuses et audacieuses. Vous avez cette chance incroyable d’écrire une vie qui vous ressemble. Ne la laissez pas passer. »
Monique Leboeuf, 79 ans
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« On a du mal à se supporter, à se comprendre. Et, comme si ça ne suffisait pas, tout le monde veut tout, tout de suite. Pourtant, savoir patienter un peu, ça change tout : ça nous apprend à savourer ce qu’on obtient. Mais aujourd’hui, la vie roule tellement vite qu’on est toujours en train de courir après quelque chose.
En 2025, il faudrait apprendre à ralentir.
Mais la technologie et la société nous forcent à ce rythme-là. T’as l’air d’une nounoune si t’as pas de cellulaire. J’en ai un, mais souvent, je fais semblant de pas en avoir, juste pour éviter de prendre des rendez-vous avec. Moi, je préfère me déplacer en personne, mais même là, le contact a changé. Et avec les Airbnb, on connaît même plus nos voisins!
Honnêtement, j’aurais pas aimé être jeune aujourd’hui. »
Francesco Catanzaro – 70 ans
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« Ce que je souhaite aux jeunes, c’est d’apprendre à être heureux avec qui ils sont. D’être ouverts, bienveillants envers eux-mêmes. Moi, j’ai toujours été optimiste. Quand j’avais 4 ans, j’ai été renversé par une voiture sur la rue Wellington, et j’ai vécu toute ma vie avec un handicap. Ça m’a appris une chose essentielle : il faut persévérer et garder la tête haute. Ne laisse jamais la négativité t’envahir. Mais quand je regarde le nuage sombre qui semble peser sur les jeunes générations, je me dis qu’à mon époque, tout semblait plus simple, plus joyeux.
Alors, qu’est-ce qui a changé? La cupidité. J’ai travaillé 45 ans à la bourse, et même les crashs financiers ne m’ont pas fait perdre mon sourire.
Quand j’ai commencé, on m’avait dit que je ne tiendrais pas un mois. Résultat : j’y suis resté des décennies. À l’époque, on avait encore des valeurs solides. Aujourd’hui, je vois des relations fragiles, des couples qui éclatent pour un rien. L’adultère, les mariages qui ne durent plus… Et ces applications de rencontre! Une nuit, un week-end, puis on passe à la prochaine. Où est passée cette séduction sincère, patiente, qui donnait naissance à des liens profonds?
Être heureux, c’est difficile, oui. Mais c’est dans l’effort, la persévérance, et le cheminement qu’on trouve un bonheur véritable. Le bonheur n’est pas une destination, c’est ce qu’on construit en avançant. »
Jeannine Watier – 85 ans
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« Mon meilleur remède, dans les pires moments – et croyez-moi, j’en ai traversé des tempêtes – c’est l’humour. Toujours. Vous savez, j’ai eu trois maris : le premier par amour, le deuxième pour l’argent, et le troisième… eh bien, à vrai dire, j’ai oublié pourquoi!
Ma mère était américaine, mon père québécois, et j’ai fini par épouser un Irlandais. Dans ma famille, le mélange des cultures, c’est presque une tradition. Ma nièce s’est mariée à un Dominicain, une autre à un Marocain.
Chez nous, le vivre-ensemble, c’était une nécessité avec huit enfants dans une seule chambre, tu n’as pas vraiment le choix : tu apprends la tolérance, l’écoute, et surtout le respect.
Ce sont ces valeurs-là, je trouve, qui se perdent un peu aujourd’hui.
Aux soupers de Noël, mon plus grand souhait? Qu’on range enfin les téléphones et les tablettes, juste le temps de se parler, pour vrai. La technologie, elle est là pour rester, c’est évident. Mais il faut qu’on trouve un moyen de se reconnecter autrement, de préserver ce qui fait de nous des humains.
Et pour les enfants d’aujourd’hui? Oui, parfois, j’ai peur pour eux. Peur qu’ils manquent d’amour, de ces vrais contacts, ceux qui réchauffent et apaisent. Alors, si je devais leur donner un conseil, ce serait celui-ci : n’ayez jamais peur de demander un câlin. C’est un remède simple, gratuit, et qui fait des petits miracles. »
Hélène Hubert – 83 ans et demi
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« Je ne veux pas jouer à la grand-maman qui fait la leçon, mais soyons honnêtes : le balancier de la société penche dangereusement vers la droite. Trop radicalement. Si on continue comme ça, on s’enligne pour du mauvais temps. Moi, ma vie est derrière, mais c’est pour mes petits-enfants que je m’inquiète. Mais bon, évitons de trop s’aventurer en politique.
Parce que si j’avais le pouvoir de changer les choses, je brasserais ça, c’est certain. Mais à mon âge, je ne vais pas me lancer dans des batailles. On ne change pas le monde tout seul. Le vrai problème, c’est cette obsession du « je-me-moi ». On se contemple le nombril et on oublie de regarder autour. Il y a trop d’égoïsme et pas assez de collectif. Tout est devenu froid, impersonnel.
Ce qu’il manque? La chaleur humaine, un peu de générosité, de ces gestes simples qui font du bien.
Quand j’étais jeune, je rêvais de devenir archéologue, mais c’était une profession « d’homme ». J’ai ensuite voulu devenir cheffe cuisinière, mais encore une fois, on m’a dit que ce n’était pas un métier pour les femmes. Alors, j’ai fini par travailler dans une banque. Aujourd’hui, les choses ont changé, et pour le mieux! Les femmes peuvent choisir la carrière qui leur plaît, affirmer leurs ambitions. Mais il reste un défi : concilier maternité et carrière. Ça demande de la persévérance.
À celles qui disent ne pas vouloir d’enfant, je dirai simplement ceci : être mère, c’est une expérience d’une beauté indescriptible. Carrière et maternité peuvent coexister. Ce n’est pas facile, mais c’est possible. Et je vous le souhaite, de tout cœur. »
Sabine Steis – 68 ans
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« Les jeunes d’aujourd’hui ont grandi dans l’instantanéité et une certaine opulence. Tu ne veux pas être celle qui dit à ses petits-enfants : “Dans mon temps, on jouait dehors, mes parents n’étaient pas riches.” Pourtant, une partie de moi se dit que c’est trop : trop d’abondance, trop de vitesse. Ils évoluent à une allure folle, bien plus rapide que la nôtre.
Ma mère était une survivante de la Deuxième Guerre mondiale, une Est-Berlinoise qui a connu la misère de l’après-guerre. Quand on est arrivés ici, on n’avait rien, pas de repères. Mais ce qu’elle n’a pas connu, elle nous a appris à le chérir.
C’est une leçon que je m’efforce de transmettre aussi : apprécier les petites choses. Savoir reconnaître la chance qu’on a, même dans un simple repas partagé au restaurant.
Aujourd’hui, c’est différent. L’individualisme domine. C’est chacun pour soi. Pourtant, ce qui soude une société, c’est la solidarité, la patience, l’écoute, cette capacité d’être là pour les autres. On en a tellement besoin. Quand j’étais jeune, sur le Plateau, les balcons étaient ouverts. Il n’y avait pas ce sentiment d’insécurité; chacun veillait sur son voisin.
Maintenant, avec TikTok et toutes ces technologies, les jeunes vivent dans un autre monde. Ils sont différents, parfois même surprotégés. On les garde à l’intérieur, parce qu’on a peur que dehors, il leur arrive quelque chose. Ce changement me rend à la fois inquiète et nostalgique.
Et je me pose souvent cette question : dans quelle société mes petits-enfants vivront-ils quand je ne serai plus là? »
Lise Holland – 77 ans
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« L’écoute et les conversations en personne, c’est ce qui tisse les liens les plus forts. Pourtant, avec les réseaux sociaux, on a perdu quelque chose de précieux : le langage du corps, cette connexion subtile et essentielle. Échanger des mots en face à face devient rare. Même un simple “merci” semble parfois se faire attendre. Et pourtant, ce sont ces petits gestes, ces moments de partage sincères, qui donnent tout leur sens à nos relations.
Pour les générations à venir, l’enjeu sera de s’engager dans ce qui les passionne, d’agir pour laisser une empreinte positive.
Parce qu’en fin de compte, nous sommes tous ensemble dans cette aventure. L’engagement social ne commence pas nécessairement par de grands gestes : souvent, tout débute dans son propre quartier, avec ses voisins, au sein d’une petite communauté. Construire quelque chose de durable, se rassembler autour de valeurs communes, partager un repas en fermant son cellulaire. Ce sont ces moments simples qui façonnent le mieux une vie.
J’ai traversé plus d’un bouleversement dans ma vie. En 2001, je travaillais comme designer dans un grand hôtel à Manhattan lors des attentats du 11 septembre. Dix ans plus tard, j’ai tout perdu dans les inondations causées par la tempête tropicale Irene. Ce que j’ai appris, c’est que ce sont les imprévus qui révèlent vraiment qui nous sommes. On construit nos vies autour de routines, mais ce sont les épreuves qui nous montrent notre véritable force et comment on se relève.
Parce que tout est éphémère, rien ne nous appartient vraiment. Alors, profitons de ce que nous avons, tant que nous l’avons. Je crois que c’est une expression bouddhiste! »
Madeleine Héroux – 78 ans
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« Notre concierge me dit souvent : “Ouvrez votre cœur.” Pour moi, c’est un vœu plein de sens pour la jeunesse : ouvrez-vous aux autres, acceptez les différences. Je rêve d’une société plus tolérante, moins raciste, et je suis convaincue que les jeunes de demain seront mieux armés que nous pour y parvenir. J’ai confiance en eux.
Ouvrir son cœur, c’est aussi ouvrir son esprit, faire preuve de générosité et de bienveillance envers l’autre. Il faut glisser de la bonne humeur dans la valise de son quotidien.
Je crois que nous, les grands-parents, avons une responsabilité : celle d’insuffler du respect et d’offrir un cadre, mais avec douceur. Transmettre des valeurs solides qui les guideront tout au long de leur vie. Apprécier les petites attentions : échanger des salutations entre voisins, se présenter à des inconnus, ouvrir la porte.
Il est grand temps de cesser de répéter que seuls les hommes sont les pourvoyeurs. Au restaurant, je peux aussi payer, et c’est tout à fait normal !
Enfin, partageons nos expériences. Nos histoires, nos leçons de vie, c’est ce que nous avons de plus précieux à offrir à ceux qui viennent après nous. »
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Voilà, en espérant que ces petites miettes de sagesse viennent adoucir la lourdeur de décembre. Pour le reste, il ne nous reste plus qu’à se souhaiter santé et bonne année grand nez!