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Langue Sale : les cinq verses qui habitent mon cerveau depuis janvier

Une analyse des nouveaux verses de la mi-année.

Par
Simon Tousignant
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Cette semaine, les sorties intéressantes se font rares alors que l’été bat son plein et que les rappeurs sont en vacances ou en train de rock des festivals aux quatre coins de la province. J’en ai donc profité pour vous parler des cinq verses qui m’ont le plus marqué depuis le début de 2019 dans le rap francophone. Attention, il ne s’agit pas des MEILLEURS couplets, mais bien de ceux qui me sont restés en tête, parfois malgré moi.

Robert Nelson — Lucioles

« C’est sur ce corner-là devant chez nous en bas des marches, que t’as fait ton last ride su ton bicyc

M’en souviens encore aujourd’hui yeah comme si c’tait last night, ton sang qui avait rougi la rue là où t’as die su ton bicyc »

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Le bon Bobby Nel’ est arrivé cette année avec son premier album solo Nul n’est roé en son royaume et n’a pas déçu les fans qui attendaient du matériel solo depuis Les filles du roé, sa collaboration avec Kaytranada (Kaytradamus à l’époque) sortie en 2012. L’attente en aura valu la peine puisque le membre d’Alaclair Ensemble (qui ont connu une année faste en solo avec les projets de KNLO et Eman) a livré un album personnel, authentique et rempli de fast flows et de conseils minceur.

C’est sur le deuxième couplet de Lucioles que l’album atteint son apogée, à mon avis. Je n’avais pas ressenti une telle émotion en écoutant une chanson de rap depuis The Book of Soul d’Ab-Soul où ce dernier parlait du suicide de sa blonde. Sur Lucioles, Robert Nelson rend hommage à son meilleur ami Bernard Carignan, décédé il y a quelques années dans un malheureux accident de vélo. Le témoignage d’amour d’Ogden est poignant, senti et est resté avec moi beaucoup plus longtemps que je ne l’aurais cru.

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Dans un game où l’égo et le machisme brillent, cette ouverture émotive est à la fois une dose de fraîcheur et un rappel bien nécessaire que le rap, ça sert aussi à parler des affaires pas faciles. Merci à Bobbé d’avoir affiché cette vulnérabilité, on en ressort tous plus fort.e.s.

N. B. Si vous conduisez une voiture en ville, assurez-vous de regarder derrière et autour de vous avant d’ouvrir votre porte, vous pourriez sauver une vie.

Loud — Fallait y aller

« Des plaques plein le corridor, mais parle moi pas d’art, only Godard can judge me dawg

De salaire minimum à minimum a hundred thou’ »

À la sortie de Tout ça pour ça, j’ai répété à qui voulait bien l’entendre que Loud avait sorti un album aux limites du rap et de la pop, mais avec les lyrics d’un album de vrai puriste du hip-hop. C’est que la richesse des thématiques que le rappeur aborde dépasse de loin le côté accessible de sa musique, et garantit une écoute riche en références.

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Sur Fallait y aller, single en puissance, on retrouve cette dualité dans toute sa splendeur alors que Loud fait référence à Jean-Luc Godard sur fond de guitare pop faite pour faire bouger les fans de 15 à 75 ans. On a droit dans le deuxième couplet à un namedrop de Roc-a-Fella et Murder Inc, deux labels de rap new-yorkais dont seuls les connaisseurs reconnaîtront la référence. Pourtant, ceux qui ne possèdent pas ce knowledge ne s’en sentent pas lésés et peuvent tout de même apprécier l’écoute de la chanson hyper easy-listening.

C’est là toute la force de Loud, qui allie références pour les fans de la première heure, et sonorités accessibles pour la masse.

Tizzo x Shreez x $oft — Tuna

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« Une chance que j’ai pas besoin d’diplôme pour la frappe

Pas besoin de BAC pour le trap

J’ai gradué sur l’asphalte

Reste à l’école, la rue c’est wack »

Loud m’excusera, mais pour le rap queb, les 12 derniers mois auront sans aucun doute appartenu à Tizzo et son équipe. Gagnants du prix de la chanson de l’année SOCAN, omniprésents grâce à la multitude de projets parus depuis 2018, les fouetteurs ont dominé le jeu comme peu de leurs confrères avant eux.

Pour moi, la claque était claire sur Tuna, single issu de Fouette St-Patrick, probablement le tape le plus abouti sorti par le crew de Canicule Records cette année. J’aurais voulu choisir un verse en particulier, mais ce qui m’a réellement marqué, c’est l’enchaînement des trois premiers verses alors que Tizzo, Shreez et $oft imposent tour à tour leur style. L’impact est énorme alors que les trois rappeurs démontrent à la fois les différences de leurs styles respectifs, tout en affichant une cohésion. Ça fait en sorte que rendu au couplet de $oft, on a envie de se pitcher dans des murs et ramasser nos chums.

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Mais surtout, à travers toute cette violence auditive, on a droit à un beau message plein de lucidité de la part de Tizzo : « reste à l’école, la rue c’est wack ». J’aurais pas pu mieux dire.

404Billy — Sombre fan

https://www.youtube.com/watch?v=kJdELBdAqLM

« Alors déjà, j’comprends rien du tout et j’peux vous dire que j’n’aime pas du tout

Bigflo et Oli sont des vrais rappeurs, ont des lyrics et sont proches de nous »

404Billy est ma découverte de 2019 dans le rap français. Son flow unique, un peu saccadé se marie bien aux styles de productions plus modernes qu’il utilise sur Process, son dernier projet paru en mars dernier. Révélé par sa collaboration avec Damso sur le morceau RVRE, on a droit à un rappeur mature à la plume incisive.

Après avoir fait chier tout le monde avec l’album d’Alpha Wann l’an dernier, j’ai retrouvé un peu le même feeling en écoutant 404Billy cette année, lui qui venait réconcilier mon amour des textes profonds avec mon affection pour l’esthétique moderne du rap, 808s, Autotune and all.

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Sur Sombre fan, particulièrement sur le deuxième verse, 404Billy nous parle en adoptant le point de vue d’un admirateur qui découvre sa musique lors d’un concert, et je trouve le concept hyper intéressant. Ça permet au rappeur de s’autocritiquer, et du même coup d’anticiper les vraies opinions sur sa musique et de leur répondre, tout ça avant même que ces critiques aient pu être faites.

U smart, 404Billy.

Usky feat Jok’air — Fossette

« Pour te baiser, j’ai la recette

Peux t’prendre en levrette tous les jours, j’suis doué en sexe, mais j’suis nul en amour

Viens que j’te montre à quel point j’te respecte »

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Cette chanson ne devrait pas être là. Les paroles ne sont pas particulièrement profondes, la prod pas hyper originale et le clip extrêmement cheesy. Pourtant, le refrain et surtout le verse de Jok’air hantent mon esprit depuis plus d’un mois.

Résigné, j’ai donc dû admettre que ce couplet devait faire partie de cette chronique, puisque je gosse mes amis avec des « pour te baiser, j’ai la recette » et des « viens que j’te montre à quel point j’te respecte » random depuis que j’ai découvert cette chanson.

J’imagine qu’il faut accepter qu’une chanson soit bonne si malgré son manque évident d’originalité, elle vous reste dans la tête. C’est le cas pour Fossette, et c’est pourquoi elle est présente ici.

Allez, donnez-lui une chance, et vous verrez vous aussi les regards malaisés des gens dans la rue quand vous commencerez à chanter le refrain à voix haute sans vous en rendre compte. Been there, done that comme on dit.