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Langue Sale : doit-on faire des compromis pour passer à la radio?

Une analyse des meilleurs et pires verses de la semaine.

Par
Simon Tousignant
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Cette semaine à Langue Sale, on jase d’amours dangereux, de compromis musicaux et d’un bijou caché du rap anglophone. Simple d’même, c’est parti!

Lost – Badman

« J’suis un Don, Don, Don

Elle fait qu’répéter, elle connait tous les beats

Elle dit qu’elle m’admire, elle est bonne, bonne, bonne

Tout ça c’est risqué, à c’qui parait elle baise avec mes ennemis »

Lost est back avec un gros clip pour sa chanson Badman tirée de Bonhomme Pendu (Chapitre 3), dont je vous ai d’ailleurs parlé en décembre dernier. Un gros shoutout à La Cour Des Grands qui signe cette superbe vidéo tournée au Pérou et qui met en vedette les paysages variés du pays.

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La chanson est une des plus soft sur BP3. Loin d’être un reproche, elle montre plutôt le range du rappeur de Cartierville qui raconte une histoire d’amour typique du street où Lost ne ressent pas les sentiments que la fille en question lui voue. Oscillant entre « groupie » et « fan sociopathe », la fille de Badman ne semble pas être une très bonne fréquentation selon le rappeur.

Ce qui m’a surtout interpellé dans cette chanson, c’est la dualité entre le type de beat et le contenu des paroles. L’instru du producteur Milly semble fait pour la radio, pour tourner dans les clubs. Sauf que quand on écoute les paroles de Lost – bien qu’elles soient crues et real – on se retrouve devant une certaine violence qui l’empêchera définitivement de tourner sur les ondes commerciales. Par exemple, il dit qu’il va murk (tuer) la fille si elle le set-up. Dans le monde du crime, on dirait que c’est ok de penser comme ça. Sauf que le patron de CKOI, quand il entend ça, il conserve – voire renforce – ses préjugés face au rap.

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C’est bien malheureux, parce que la chanson a tout ce qu’il faut en terme de rythme, de vibe et d’identité pour se fondre dans la vague carribéenne qui déferle présentement sur la musique pop. Ça reste une chanson qui va jouer énormément dans certains clubs de la ville et sur les comptes Spotify de toute la jeunesse. Toutefois, sans demander aux artistes de modifier leur contenu, on peut dire que des paroles du genre nuisent à la présence du rap dans les radios commerciales. Tant que le street rap n’adoucira pas un peu son contenu, il aura beau produire les sonorités à la mode, jamais elles ne seront diffusées dans les médias mainstream. Bref, des compromis éthiques, ça se peut.

Roméo Elvis – Malade

« Pourquoi tu réponds pas ? Je sais qu’t’entends les appels, j’arrive pas à croire que t’aies réussi à tout zapper

Hein ? Tu fuis de façon minable, on dirait les personnages qui font de la course à pieds »

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Nous voici maintenant en présence d’une proposition totalement opposée à celle de Lost: sur le premier single de son prochain album Chocolat, produit par Eazy Dew et Vladimir Cauchemar, Roméo Elvis défie les conventions du rap pour offrir un track power-pop. Le titre a des sonorités rappelant plutôt des groupes de rock français comme Indochine que du hip-hop pur, montrant un artiste décomplexé et libre de pousser sa musique dans la direction de son choix.

Cependant, les fans ont été surpris, tout comme moi, de ce choix audacieux qui ne va pas sans rappeler Trop Beau de Lomepal. Pas tant dans le son, mais définitivement dans l’intention. La question qu’on se pose à ce moment est la suivante: est-ce que les rappeurs francophones sont les dignes héritiers de la chanson française des Gainsbourg et Brel de ce monde?

Dans tous les cas, ce qui est bien, c’est que Roméo n’a pas sacrifié la qualité de son écriture pour plaire au grand public français. Moins cru que Lost, il admet tout de même que « toutes (ses) exes sucent » alors qu’il exhorte les gens à se laisser tranquille une fois la relation terminée. Il n’a pas tort.

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Puis, viens cette phrase super habile, citée plus haut, qui accuse une protagoniste de « fuir de façon minable » comme des gens qui font de la marche à pied. L’image est forte, parce qu’on va se le dire, les gens qui font de la marche à pied ont pas toujours l’air glorieux. Je ne parle pas ici de prendre une marche, mais bien des athlètes aux jeux olympiques qui se font disqualifier de la course lorsque leurs pieds arrêtent de toucher le sol. Tsé, ceux qui ont la même démarche qu’une personne qui porte des talons hauts pour la première fois. Le genre de personne à qui t’as envie de crier « arrête de niaiser pis fais du jogging! »

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Bref, malgré le vibe dramatique de Malade, on y retrouve quand même des pointes d’humour qui font sourire. En attendant Chocolat pour voir ce que ça donne, Roméo Elvis sans Le Motel.

Narcy – Animal

« All of these men are perverted, baby I am not a dog

I will throw you back a log, give you my all you deserve it »

Narcy est un des rappeurs anglo montréalais qui fait les plus gros moves à l’international. Le MC d’origine irakienne se promène entre Orient et Occident pour participer à des projets artistiques, réaliser des clips pour Talib Kweli et sortir des albums. Il trouve aussi le temps d’enseigner deux cours sur le Hip-Hop à l’Université Concordia (que j’ai eu le plaisir de suivre d’ailleurs). Six crédits universitaires pour parler de rap, ça te boost une moyenne ça!

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Bref, mon ancien prof est back avec SpaceTime, un nouvel album aux sonorités éclectiques pleines de références à la culture orientale. Sur Animal, une belle production souriante et positive produite par Sandhill, Narcy tombe dans l’absurde, ce qui lui réussit toujours très bien. Transformé dans le clip en genre d’animal pris entre le chien, la chèvre et l’humain, le rappeur récolte les regards louches et la perplexité évidente des gens face à sa différence, ce qui se veut fort probablement un commentaire sur la vie des musulmans en Occident aujourd’hui.

Ce qui m’a bien fait rire, c’est le jeu d’acteur de Narcy, surtout au début lorsqu’il se proclame le G.O.A.T.A.R.: Greatest Of All Time Arab Rapper. C’est sorti d’une façon qui ne peut que faire rire l’auditeur et qui appuie l’univers déjanté, mais plein de sagesse du rappeur et père de famille. Alors qu’on parle beaucoup de street rap, il vaut aussi la peine de s’attarder à ce qui se fait dans la marge, et à ce jeu, Narcy est une valeur sûre.

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SHOUTOUTS

Un shoutout à Obia le Chef qui a sorti un très beau clip réalisé par son acolyte Cotola pour Pas né, tiré de son album Souflette. La vidéo est géniale, hyper évocatrice du parcours d’Obia, accompagnant sa chanson la plus accessible à date, pour un résultat gagnant. Quand je vous parlais de compromis éthiques plus haut, en voici un exemple parfait avec un rappeur qui offre un truc real, pas trop dur, sur une trame sonore hyper accrocheuse.