Cette semaine, Steve Beezy nous invite au Château Frontenac, Raccoon City nous dévoile ses envies d’argent et Colo est… toujours dans une classe complètement à part.
Steve Beezy — Château
« J’bois de la vodka comme un soviet, mais j’suis de Québec comme tabarnak
Big j’suis posé, les bras croisés, comme Mbappé j’me sens d’attaque »
Steve Beezy est back avec un nouveau clip tiré de sa dernière mixtape La Réforme 4, cette fois-ci pour ce qui est probablement mon track préféré du projet, Château.
Le rappeur de Limoilou commence la chanson en force avec un refrain hypnotisant qui entre dans les têtes comme on entre dans une suite du Château Frontenac. Je ne sais pas si c’est vraiment la ville de Québec qui a popularisé l’expression « tabarnak », mais en écoutant Beezy, j’ai envie d’y croire et de ne pas poser de questions. Si en plus on mélange ça avec une référence à la célébration de but de l’espoir mondial du soccer (moi qui suis friand des références de foot), on obtient un hook qui rehausse une chanson déjà marquante grâce à la production relevée de Skheme.
Finalement, ce refrain qui scande « J’suis du hood, mais j’passe la nuit au Château Frontenac », c’est un peu une représentation de ce qui se passe présentement dans le rap jeu queb. Le Château Frontenac de la musique québécoise, c’est les galas où le gratin sirote son champagne en s’applaudissant gentiment lorsqu’ils se remettent des prix tour à tour. Par contre, depuis la victoire de Tizzo au prix de la chanson de l’année SOCAN, on a commencé à voir du changement. Ça s’est confirmé la fin de semaine dernière alors que ce même Tizzo a performé son hit On Fouette en compagnie de Shreez et $oft durant le gala, devant le petit peuple musical québécois qui vivait à ce moment un profond choc culturel.
La porte est maintenant ouverte, du moins en partie, pour des rappeurs du hood et la prochaine étape, c’est de l’ouvrir aux autres hoods du Québec. Du côté de Limoilou, c’est Steve Beezy qui fait le plus de bruit et qui se présente comme le rappeur street émergeant le plus crédible et talentueux du moment. En offrant un produit qui se démarque du reste du street rap queb grâce à de nombreuses références aux jeux vidéos et au sport, on découvre un rappeur qui semble pouvoir connecter autant avec les geeks que les gars de la rue. Un profil qui laisse présager un potentiel énorme pour la suite des choses.
Raccoon City — Cachets
« J’emmerde un salaire de prolétaire
Des barres et des vers, tant que tu mets de l’or
J’arrive dans le game comme un propriétaire
C’est chez moi y’a personne qui me met dehors »
Parlant de potentiel énorme, Raccoon City est probablement le prospect #1 du rap québécois à l’heure où on se parle. Le jeune prodige enchaîne les battles et les chansons réussies, et c’est encore une fois le cas ici avec Cachets, un deuxième extrait depuis sa signature avec le label Rico Rich Productions.
Sur Cachets, on a droit à un Raccoon qui oscille entre humilité et arrogance sur fond autotuné, sans jamais tomber dans l’excès, d’un côté comme de l’autre. On sent chez le jeune rappeur montréalais un fort désir d’imposer sa présence dans le rap queb, et disons-le, il a le talent pour le faire. Si la chanson est solidement ancrée dans les codes trap du moment, c’est la plume de Racc City qui lui permet de se démarquer, alors qu’il rejette l’argent facile de la fraude par désir de rester legit et de faire sa place dans le rap.
Si on peut regretter la thématique d’argent qui se répète un peu entre Cachets et Payroll, il est clair que le rappeur vise un succès commercial à l’heure où certains de nos collègues journalistes avancent qu’il pourrait devenir la nouvelle révélation du rap québ. Même son de cloche de mon côté, avec un léger bémol au niveau des thématiques. Il devra s’ouvrir aux gens et présenter un côté plus accessible pour réellement se faire une place au sommet du rap jeu. Sauf qu’une chose est claire, autant le potentiel que l’envie semblent présents chez Raccoon City, et ce sont les deux ingrédients les plus importants dans la réussite d’une carrière en musique. En espérant que les cachets suivent…
Colo — Beurk
« J’suis un niqueur de love, j’ai pas le choix
J’lui brise le cœur avant que ça soit moi
J’la marie car elle aime pas les renois
Mon fiends préféré s’appelle Benoît
J’saute dans sa noune, mais après je me noie »
Je vous l’avoue, Colo est un peu mon rappeur préféré. Pas à cause de sa technique, qui est quelque peu répétitive, ni grâce à son flow, qui est souvent un peu trop nonchalant. C’est plutôt son manque total de fucks à give que j’admire et qui me divertit toujours autant à chaque nouvelle écoute.
Le rappeur emblématique du tronçon Est de la rue Beaubien est de retour avec Beurk, à la fois le titre de son dernier clip et de son dernier mixtape tous deux sortis hier, et il est toujours aussi inacceptable dans ses propos. Finalement, c’est le titre parfait pour ce track qui tombe à point, après quelques chansons moins réussies de la part du rappeur le plus sale en ville.
Ce que je préfère chez Colo, c’est d’avoir parfois à utiliser mon imagination pour comprendre le sens de certaines de ses lignes qui ne sont vraiment pas claires. Par exemple, dans la partie citée plus haut, le rappeur mentionne qu’il veut marier une femme parce qu’elle n’aime pas les noirs, alors qu’il est lui-même noir. Quoique, en creusant un peu, on se rappelle que dans sa chanson Une esti de folle, il avouait que sa douce (folle) l’avait convaincu qu’il n’était « même plus un black ». Une chance que je connais mon Colo.
Salutations également à son fiends Benoît, son préféré selon les dires de la chanson. Un fiend(s), c’est un accro à la drogue forte, mais ici, il n’y a aucun contexte et c’est ce qui rend Colo aussi incroyable. On a un peu l’impression de faire face à un tableau de Jackson Pollock, où on essaie de comprendre le raisonnement derrière un paquet de lignes lancées sur un canevas sans intention précise ni lien entre elles. C’est au spectateur d’en trouver le sens.
Au final, c’est ce qui ressort de mon écoute de Beurk : Colo est le Jackson Pollock du rap queb.