Dans l’imaginaire collectif, le bogue de l’an 2000 est le non-événement le plus marquant de notre époque. Une hystérie collective mal calibrée, alimentée par la peur de l’inconnu et ces médias que votre oncle Jean-Yves adore maudire du confort de sa voiture, dans de courtes vidéos diffusées sur les réseaux sociaux.
Sauf que l’histoire qu’on se raconte et celle qui a réellement eu lieu diffèrent sur plusieurs aspects. Du moins, c’est ce que j’ai appris en regardant la nouvelle série documentaire Le bogue de l’an 2000 animée par le toujours très occupé Guillaume Lambert, un homme aux talents aussi multiples que complémentaires.
« Le bogue de l’an 2000, c’est juste une ligne de code qui n’a pas été gérée pendant des années. On a reporté la responsabilité de mettre à jour ce code-là pendant des décennies et c’est seulement en 1998 qu’on a commencé à prendre des mesures », explique-t-il, d’entrée de jeu.
C’était une vraie de vraie crise, mais elle a été bien gérée. C’est pour ça que 25 ans plus tard, on croit encore (à tort) que la planète a failli arrêter de tourner.
Panique réelle, panique anticipée et délinquance en direct
« J’ai beaucoup d’affection pour le Guillaume du 31 décembre 1999. »
Le soir du changement de millénaire, Guillaume Lambert avait 17 ans et regardait la télévision avec sa famille. Plus précisément, les spéciaux en direct de Céline Dion et de l’émission culte La fin du monde est à 7 heures où la bande de joyeux iconoclastes dirigée par Marc Labrèche naviguait sur un océan de difficultés techniques sans jamais faire de fausse note.
Pour le jeune Sorelois, la crise s’est principalement déroulée à la télévision.
« Au Québec, en 1998, on a eu la crise du verglas. Par chance, il y avait un plan de sécurité civile en place si on venait à manquer d’électricité ou d’eau potable. Il ne s’est donc rien passé parce qu’on était préparés », raconte-t-il.
Vêtu d’une chemise et d’une veste inspirées du André Robitaille de l’époque Vazimolo, Guillaume Lambert rencontre une série d’experts et de témoins du passage à l’an 2000 sur six épisodes, dont le lanceur d’alerte Peter de Jager. Vous ne vous souvenez peut-être pas de lui, mais il est la toute première personne à avoir parlé publiquement du problème. Même si la nostalgie, les souvenirs, les couleurs et les textures funky règnent, Le bogue de l’an 2000 est une série plutôt sérieuse à propos de, ma foi, une vraie de vraie crise.
« Le bogue de l’an 2000 en dit beaucoup sur notre façon de gérer les crises. L’avantage qu’on avait, avec cet événement-là, c’est qu’il était daté. Tout le monde savait qu’on devait faire quelque chose avant le 31 décembre 1999, mais on s’y est quand même pris à la dernière minute. Aujourd’hui, on fait face à plusieurs crises auxquelles on peine à réagir : les changements climatiques, l’intelligence artificielle. Il est peut-être déjà trop tard et on le sait même pas », explique l’animateur.
Si le bogue de l’an 2000 n’a pas été l’apocalypse annoncée, c’est parce qu’il s’est créé une microéconomie autour de sa résolution avec en son centre la compagnie québécoise Cognicase, fondée par un dénommé Ronald Brisebois, qui a fait son pain et son beurre avec la mise à jour de cette foutue ligne de code dont on dépendait tous.
« Aujourd’hui, l’intelligence artificielle réglerait le problème en deux temps, trois mouvements », précise Guillaume Lambert.
Constater avec un pas de recul tout le chemin parcouru depuis la crise, c’est aussi un peu le mandat de cette série documentaire. On a toutefois encore beaucoup de croûtes à manger, le monde dans lequel on vit étant très différent de celui où on vivait, il y a 25 ans.
Les 1001 travaux de Guillaume Lambert
À l’origine, Le bogue de l’an 2000 n’est pas le projet de Guillaume Lambert. C’est l’idée de la productrice Karine Dubois et c’est le réalisateur Hervé Baillargeon qui l’a impliqué dans le processus. Sa présence est à la fois complètement fortuite et tout à fait logique.
« Pendant longtemps, j’ai pas eu le luxe de dire non. J’ai fait plein d’affaires pour gagner ma vie en sortant de l’école, j’ai travaillé derrière la caméra, en casting, je me suis formé en scénarisation », raconte le comédien, réalisateur, scénariste, auteur et maintenant animateur. « J’ai développé plein d’intérêts comme ça. Aujourd’hui, j’ai encore de la difficulté à dire non , mais j’accepte jamais de projets qui ne me tentent pas. »
Sous ses traits de petit ourson sympathique et sa présence chaleureuse à l’écran se cache un gars qui a trimé dur. Même si les artistes semblent parfois constituer une classe sociale en soi avec des parents créatifs et des concentrations scolaires dédiées, cette histoire n’est pas du tout celle de Guillaume Lambert.
Fils d’ouvrier, il a lui-même travaillé comme opérateur hydrostatique de nuit dans une usine au bord du canal Lachine pour payer ses études en théâtre.
« Flashdance, là, je l’ai fait! Les arts dramatiques, à Sorel, c’était pas super développé à l’époque. J’ai jamais vraiment eu de modèles à part ceux que je voyais à la télé. »
Un exode à Montréal et une graduation de l’École supérieure de théâtre en 2006 n’ont malheureusement pas été le passeport vers une nouvelle vie que Guillaume avait espéré. « Normalement, un acteur se bâtit un demo reel en interprétant des scènes de films connus, mais ces scènes-là, j’ai décidé de les écrire moi-même. C’est comme ça que j’ai commencé à faire des courts métrages. »
C’est un de ces courts métrages, Toutes des connes, paru en 2014 (c’est longtemps en ti-péché après 2006, ça), qui lui vaudra une audition pour Like-moi! et l’émission deviendra enfin le tremplin longtemps espéré pour sa carrière. Rapidement, Guillaume devient un visage connu des médias québécois, tant pour ses longs métrages comme Les scènes fortuites et l’excellent Niagara ou même ses romans Satyriasis et Eschatologie.
Il ne tient cependant pas tout ce succès pour acquis. « J’ai beaucoup entendu le mot non, dans ma carrière. Je pense que ça m’a gardé humble. Du moins, je l’espère. »
Un peu comme le commun des mortels, le Guillaume du 31 décembre 1999 s’en allait dans le futur avec la tête haute et le cœur rempli d’espoir. C’est peut-être pour ça qu’il a eu envie de revisiter ce moment où toute une génération entrait dans l’âge adulte pour le meilleur et pour le pire.