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L’alimentation intuitive: la nutrition à base de bienveillance
En 2019, la photographe Julie Artacho a fait la couverture du magazine L’Actualité, inaugurant un dossier important sur la grossophobie. On apprenait aussi que ce mot parfois conspué était entré dans le dictionnaire Petit Robert, une victoire symbolique pour toutes les personnes qui militent pour la reconnaissance de cette problématique s’illustrant chaque fois qu’une personne grosse ose montrer son corps sans s’excuser.
Décidément dans l’air du temps, le lancement du magnifique vidéoclip Lesbian Break-up Song de Safia Nolin, réalisé en collaboration avec Bien à vous et The Womanhood Project en a charmé (et choqué) plusieurs. Dévoilant poils, fesses, pubis, ce vidéoclip rend hommage à des « corps qui sont là pour exister, c’est tout », comme l’avait expliqué l’artiste, des corps sans envie d’être jugés ou exposés aux désirs d’autrui.
Les médias continuent de partager des informations abrutissantes à la « pleurer entre sept heures et neuf heures du soir fait perdre du poids. » C’est une des raisons pour laquelle le blogue Dix Octobre existe: publier des billets rassembleurs autour de la diversité corporelle.
Malheureusement les commentaires sur le web et dans les journaux n’étaient pas aussi zens que Safia Nolin. Et les médias continuent de partager des informations abrutissantes à la « pleurer entre sept heures et neuf heures du soir fait perdre du poids. » C’est une des raisons pour laquelle le blogue Dix Octobre existe: publier des billets rassembleurs autour de la diversité corporelle. Tout récemment, Grossophobie.ca, lancé au mois d’août 2019 s’est ajouté aux plateformes d’information et d’expression sur la diversité corporelle. Ce dernier site se veut une référence pour sensibiliser le grand public à ce que représente l’intolérance des personnes grossophobes.
Ces initiatives souhaitent éradiquer la culture du régime et les messages Facebook envoyés par des inconnues qui proposent des #beachbody qui sentent plus la privation que la crème solaire autobronzante.
Une des solutions anti-régime proposée par les militants anti-grossophobie est celle de la nutrition intuitive. On a voulu en savoir plus sur les fondements et les effets de cette méthode.
La logique qui veut réduire en purée la culture du régime
En 1995, les nutritionnistes Evelyn Tribole et Elise Resch ont publié Intuitive Eating : the Revolutionary Program That Works. Dans ce livre elles notaient leurs observations professionnelles, comme quoi les régimes ne fonctionnaient pas et étaient éprouvants pour l’estime de soi. Elles ont voulu retirer tout stigma lié aux aliments dits « bons » ou « mauvais. »
La blogueuse nutritionniste anti-régime Julia Lévy-Ndejuru adhère à ce mouvement : « Je connais les ravages que le sentiment de culpabilité lié au poids et à la nourriture peut causer, autant au point de vue physique que psychologique. Il y a plusieurs années, alors que je vivais une passe particulièrement éprouvante dans ma relation avec la nourriture, je suis tombée sur l’alimentation intuitive et la philosophie Health at Every Size. Après m’être bien informée sur les données probantes sur lesquelles étaient basées ces approches, j’ai décidé de tenter le coup. »
«Ça repose sur l’idée de base que la restriction alimentaire et les régimes sont voués à l’échec pour la grande majorité d’entre nous. L’alimentation intuitive propose une méthode pour s’en défaire.»
Attirée par la promesse de ne plus être angoissée face à ses choix alimentaires plutôt que par la perte de poids, elle a appliqué dans sa vie personnelle les principes de la nutrition intuitive, puis a utilisé cette approche dans son travail également. « En bref, ça repose sur l’idée de base que la restriction alimentaire et les régimes sont voués à l’échec pour la grande majorité d’entre nous. L’alimentation intuitive propose une méthode pour s’en défaire. Pour illustrer le problème que pose la restriction alimentaire, il suffit de penser à la dernière fois où on a tenté de couper ou restreindre un aliment de son alimentation. La plupart du temps, à moins qu’il ne s’agisse d’allergie grave, on finit par consommer cet aliment à nouveau dans un laps de temps assez rapide – on craque! Puis quand on craque, on a tendance à consommer de grandes quantités de cet aliment qu’on s’était interdit, sûrement même plus que si on se l’était permis au départ. L’interdit rend souvent les aliments plus attrayants qu’ils ne le seraient si on les percevait de façon neutre », explique Lévy-Ndejuru.
Écouter son corps plutôt que les publicités de thé diurétique
L’alimentation intuitive se décline en 10 principes. Pour Lévy-Ndejuru, un principe important est le lâcher-prise face au contrôle du poids. « Une large majorité de tentatives de perte de poids aboutit à un regain total du poids perdu entre 2 et 5 ans plus tard, et même à un gain de poids à long terme. L’alimentation intuitive est une approche neutre à l’égard du poids, pas une méthode de perte de poids, qui permet aux gens d’établir des objectifs positifs tels que l’amélioration de leur relation à la nourriture et l’amélioration de leurs habitudes de vie en se concentrant sur le développement de nouvelles habitudes. Un autre concept de base est de faire confiance à son corps pour guider son alimentation, par exemple lorsqu’il nous signale la faim ou la satiété. L’alimentation intuitive permet de reprendre contact avec les messages que nous envoie notre corps », explique Lévy-Ndejuru. Pour la nutritionniste américaine Kelsey Pukala, qui a déjà souffert d’un trouble alimentaire, l’alimentation intuitive est la façon de redécouvrir la satisfaction de manger et d’honorer son corps et sa santé.
L’alimentation intuitive est une approche neutre à l’égard du poids, pas une méthode de perte de poids, qui permet aux gens d’établir des objectifs positifs tels que l’amélioration de leur relation à la nourriture et l’amélioration de leurs habitudes de vie en se concentrant sur le développement de nouvelles habitudes.
Julia Lévy-Ndejuru convient que ça vient combler un réel besoin, celui des gens de s’affranchir de la culture du régime et de l’obsession du poids, sans mettre de côté des objectifs de santé. « C’est une approche établie qui gagne de plus en plus de traction, autant dans la culture populaire qu’en recherche », dit-elle, avant d’insister sur les enjeux de stigmatisation encouragés par l’industrie des diètes amaigrissantes. « C’est une culture qui détruit l’estime de soi et mène à des comportements alimentaires dangereux, mais aussi et surtout, qui stigmatise une grande portion de la population qui ne cadre pas avec les normes de poids. Cette stigmatisation en elle-même est dangereuse pour la santé, mène à l’isolement, à la méfiance envers les professionnels de la santé et augmente le stress chez ces personnes. Cette culture est basée sur une industrie qui vend le rêve de la minceur, pour vendre différents produits et programmes. »
Prendre soin de soi : une révolte libératrice
La nutritionniste québécoise remarque que ce n’est pas tout le monde qui est prêt à discuter d’une approche neutre en lien avec le poids. « La sensibilisation à la culture du régime et à la grossophobie est importante à cet égard. Je pense que ce qui aide aussi est l’avènement du mouvement fat-positive et la mise en avant de la diversité corporelle. Les personnes qui détestent leur corps sont souvent peu motivées à en prendre soin, ce que propose justement l’alimentation intuitive. Je le vois chez mes clientes, plus elles apprivoisent leur corps, plus elles développent un respect pour ce corps, et plus elles sont motivées à mieux le traiter. »
«Les personnes qui détestent leur corps sont souvent peu motivées à en prendre soin, ce que propose justement l’alimentation intuitive.»
Dans son travail, elle constate que l’alimentation intuitive sollicite plus de travail au départ, mais elle permet ensuite de mener une vie plus satisfaisante, « tout simplement parce que les gens se retrouvent à récupérer le temps qu’ils passaient autrefois à gérer leur alimentation et leur poids obsessivement. »
Ndejuru souhaite que tout le monde connaisse la même libération qu’elle, qui commence par cette envie de prendre soin de soi et non de se conformer aux attentes des autres.