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L’album culte de… Webster

On a survolé avec lui le classique de Nas, «Illmatic».

Par
Alexandre Demers
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Il y a moyen de créer un pont entre le monde de la rue et celui de la connaissance. C’est cette notion qui aura guidé toute la vie de Webster, figure intellectuelle et militante s’étant d’abord illustrée en tant que street rapper au sein des collectifs Northern X et Limoilou Starz dans les années 1990 et 2000.

Jadis un emcee affamé dépeignant la réalité des quartiers de sa jeunesse, Webster a cultivé sa soif de la connaissance pour se sauver d’un potentiel triste sort. Depuis, il partage le fruit de ses recherches universitaires sur des enjeux sociaux et historiques par ses conférences et son art. Et c’est notamment la découverte à l’adolescence d’un album mythique qui a tout changé pour lui.

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Paru en 1994, Illmatic est le premier album du rappeur new-yorkais Nas. Porté par un style unique mêlant habilement les codes du boom bap à un savant storytellin’ à la Slick Rick, lllmatic est le portrait cru de la dure réalité de la jeunesse afro-américaine dans les projects de Queensbridge. Grâce à des productions timeless des plus grands beatmakers de l’époque et à la plume de ce prodige du hip-hop, ce premier effort incarne à la perfection l’esprit du east coast des années 1990.

Pour un survol de l’album

« Pour moi, Illmatic est le meilleur album de tout l’univers hip-hop, admet Webster d’entrée de jeu. C’est un gros statement, mais je l’assume à 100 %. »

Après une douce introduction sur The Genesis, une trame sombre de DJ Premier installe N.Y. State of Mind, un morceau qui déballe le dur récit d’une journée dans les projects.

N.Y. State of Mind

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« Dans celle-là, la scène de détails qui me tue encore, c’est quand il dit ”Once they caught us off-guard, the MAC-10 was in the grass, and I ran like a cheetah, with thoughts of an assassin.” Et après, c’est “Gave another squeeze, heard it click, Yo my shit is stuck! Tried to cock it, it wouldn’t shoot, now I’m in danger” C’est fou! »

« Pis quand il dit qu’il court dans le lobby, de mitrailler, et y a des enfants qui sont là en train de jouer juste à côté. Le détail est tellement précis. Ça te ramène tellement d’autres layers, dont encore une fois la ghetto life, la vie dans les projects et au fait que t’es pris dans tout ça. Que même si tu veux en sortir, la société va faire que tu vas rester là-dedans. Je le captais pas aussi bien avant que maintenant quand je le relis tsé. »

« Pis la grand ligne là-dedans, pour moi, c’est “I Never Sleep, ‘cause Sleep is the cousin of Death“. C’est une ligne classique qui a été scratchée et tout ça. Y a même un lien intéressant avec la mythologie grecque, parce qu’en mytho grecque, Hypnos (le sommeil) et Thanos (la mort) sont des frères jumeaux. Je sais pas si lui savait ça ou pas, mais ça nous ramène a une sorte de connaissance universelle humaine. »

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Life’s a Bitch

« J’écoutais AZ [le rappeur en featuring] récemment dans un podcast avec Combat Jack, et il revenait là-dessus [la chanson]. Il disait que quand ils ont fait ça, il n’aimait pas le refrain, qu’il ne trouvait pas ça bon. Je trouvais ça drôle, c’est tellement un grand classique. Des fois, tu fais des choses pis t’as pas nécessairement la perception que c’est classique ou de comment les gens vont réagir à ce que tu fais. Moi-même ça m’arrive, mais bon, pas à un même level, on s’entend. »

« Pis la line qui me tue d’AZ, c’est quand il finit, il dit “so, until that day we expire and turn to vapors.” On se dématérialise et on devient de la vapeur! Je trouve ça tellement poétique. »

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Memory Lane (Sittin’ In Da Park)

« Celle-là, j’aimais le beat, tout simplement. J’ai toujours été fan de trucs plus mellow dans le rap. Même à l’époque. Pis juste le début, je trouve ça excellent. Tout de suite, il met sur table. “I rap for listeners, bluntheads, fly ladies and prisoners”, t’es comme yo, il rappe pour tout le monde! J’aime beaucoup cette espèce de démocratie par rapport à qui il s’adresse. »

« Et encore une fois, on a cette espèce de côté street et tout de suite après, il dit « Choco blunts’ll make me see him drop in my weed smoke. » Encore là, «hip-hopement» parlant, j’aime beaucoup cette image. Tu le vois fumer pis à travers les fumes tu vois les memories. C’est comme un écran sur lequel il projette ses thoughts. »

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One Love

« C’est un sample [des Heath Brothers] qui est très puissant, mais y a aussi tout cet aspect de cette lettre adressée à quelqu’un qui est incarcéré qui me ramène personnellement à toutes ces lettres que j’ai moi-même écrites à mes amis qui sont en prison. Et quand il dit qu’il croise la mère d’un ami, ça me rappelle aussi toutes ces fois où je croisais la mère d’un frère en prison, pis tsé elle pleure un peu, on se serre, on parle. Tout ça, ça me parle beaucoup. C’est des choses qu’on connait, » admet Webster.

« Pour moi, y a trois ou quatre aspects qui ressortent de l’écriture de Nas. T’as tout ce qui est street shit et ghetto life, donc tout ce qui touche la violence et la survivance, mais y a aussi le knowledge qui est très présent. La connaissance universelle et les références. Y a également tout l’aspect juste du rap pur, c’est-à-dire le format, le vocabulaire utilisé, les twists pis l’attention aux détails. Et l’attention aux détails, chez Nas, est extrêmement chirurgicale. »

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Vers une meilleure lecture de Illmatic

Beaucoup de choses se sont enchaînées depuis cette découverte marquante. Webster a gagné en maturité, il a vu certains de ses proches passer derrière les barreaux, il a entamé des études universitaires en histoire et fait le tour du monde avec ses ateliers d’écritures hip-hop. Toutes ces expériences teintent aujourd’hui sa perception de Illmatic, qu’il considère toujours comme le holy grail du hip-hop.

« À l’époque, je voyais Nas simplement comme un rappeur que j’écoutais. J’étais plus jeune, donc je n’avais pas nécessairement la lecture sociologique que j’ai aujourd’hui de par l’accroissement de mes connaissances, » explique-t-il.

« Aussi, quand on était jeunes, on avait une plus grande fascination du street life, c’est-à-dire que lorsqu’on entendait ça, on était comme oh shit!, alors qu’aujourd’hui, je comprends toute la violence endémique et le racisme systémique derrière tout ça. Tu vois que c’est un vrai problème. Et tu comprends les raisons qui ont mené à cette dynamique-là. Y avait la dimension historique et sociale dont j’avais pas la lecture. Donc mon écoute est différente, mais toutefois, c’est quelque chose que j’aime tout autant, ou peut-être même un peu plus, en fait. »

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« À chacun des ateliers que je donne, on me demande toujours qui sont mes influences et je réponds toujours Nas pis Wu Tang. Ils m’ont permis de mieux me situer à un âge où j’en avais besoin. Ce sont vraiment des gens à qui je sens que je dois quelque chose. Ça m’a permis aussi de ne pas tomber dans des trucs pas nets parce que j’avais ces référents-là. J’ai porté mes stripes du quartier, sauf que je suis pas tombé dans une vie qui m’aurait fait balancer et qui aurait fait que j’suis pas où je suis aujourd’hui. »

« Je sens que j’ai tracé mon propre chemin, explique Webster, faisant référence à son parcours en tant que emcee, mais également en tant que militant et historien. Des artistes comme Nas m’ont donné des bases sur lesquelles j’ai continué à travailler mon propre personnage hip-hop, si on veut. Ils m’ont fait comprendre les possibilités que j’avais. C’est des gars qui lisent et qui sont dans la recherche de la connaissance, mais qui évoluent dans un milieu X ou Y. Ils m’ont fait comprendre ces possibilités-là et m’ont montré comment les aligner pour bien fit à ce que j’étais. »

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« Je pense que cette vision d’enfant prodige, du côté de Nas, et d’avoir donné cet album-là à la culture hip-hop, c’est une grande chose. Quoi qu’ait pu faire Nas par la suite, que ce soit bon ou pas, bro, t’as donné Illmatic au monde! Quoi qu’on fasse, c’est une pierre sacrée. On ne pourra jamais l’effacer. »

Le livre de Webster sur l’écriture hip-hop, À l’Ombre des Feuilles, est toujours disponible dans les librairies. Même chose pour son plus récent album avec 5 For Trio.

On peut assister à ses tours guidés Qc History X à propos de la présence noire et l’esclavage à Québec. Toutes les infos se retrouvent sur son site officiel!

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On peut aussi le suivre sur sa page Instagram.