La rappeuse québécoise d’origine sénégalaise Sarahmée est venue de loin pour présenter les morceaux personnels de son plus récent album, Irréversible, paru il y a quelques mois. Derrière l’artiste confiante et assumée qu’on peut voir aujourd’hui, il y a une créatrice qui a dû cultiver sa passion pour passer du rêve à la réalité. Un parcours qui ne s’est pas fait sans peine…
Pour aller à la source des choses, il faut retourner à la fin des années 1990 entre les quatre murs de la chambre d’une jeune emcee en pleine éclosion qui apprenait à recracher les verses de ses rappeurs préférés. La pré-adolescente de onze ans camouflée sous ses vêtements baggy apprivoisait les rudiments de cet art en répétant les lignes de La Saga devant son miroir, une pièce tirée d’un album qui allait marquer sa vie au fer rouge.
Paru en 1997, L’École du Micro d’Argent est le troisième album de la mythique formation française IAM. Marqué par les rimes tranchées des rappeurs Akhenaton, Shurik’n et Freeman puis propulsé par les prods brutes très east coast des beatmakers Khéops et Imhotep, l’œuvre est une courtepointe hip-hop des dures réalités de la vie de rue. Considéré comme un all time classic du genre par les amateurs et puristes à travers le monde, L’École du Micro d’Argent a façonné la signature marseillaise et a coulé les fondations de ce à quoi Sarahmée allait se consacrer.
On a revisité quelques-uns des classiques de l’album pour recueillir ses impressions et souvenirs, et pour mieux comprendre pourquoi c’est un album culte à ses yeux.
Nés sous la même étoile
Peu de chansons ont la finesse de l’observation sociale comme ce single sur lequel deux des emcees se penchent sur l’inégalité des chances. Un morceau qui continue de marquer la rappeuse.
« Je trouvais que la musique était tellement belle. Personne n’est né sous la même étoile, c’est vrai. Il y a des gens qui ont des vécus dorés, d’autres non. Et moi, jusqu’à 17 ou 18 ans, je me suis promenée, j’ai vu deux côtés différents de la planète. J’ai vu les deux côtés d’une même médaille », admet-elle, faisant référence à ses allers-retours entre le Québec et le Sénégal à l’adolescence.
« Le milieu où t’es né, ça peut changer beaucoup de choses dans ta vie. Ça a un gros impact sur qui tu peux devenir, mais tu peux aussi défier le destin et devenir quelqu’un d’extraordinaire même si tu viens de rien. Tout est dans le message. J’aime beaucoup cette chanson-là. »
Petit Frère
Au panthéon des classiques, rares sont ceux qui ont peint aussi efficacement la rébellion de la jeunesse qui prend des chemins hasardeux pour s’imposer dans le monde. En plus, c’est fait avec un sample de C.R.E.A.M. et du scratch plein de soul.
« Des jeunes comme ça, j’en ai côtoyés quand j’étais à Québec, même quand j’étais au Sénégal. Il y avait des Sénégalais qui étaient nés en France, mais que leurs parents avaient shippé au pays quelques années pour qu’ils reviennent sur la bonne voie. Ils me racontaient leurs trucs, les conneries qu’ils faisaient, leur retour à la réalité avec une famille plus stricte et rigide, etc. »
« C’est de la même période que NTM. Les messages étaient très sociaux à l’époque, beaucoup plus qu’aujourd’hui. Il y en a encore certains qui le sont, évidemment, mais c’étaient des gens qui dénonçaient la situation et qui se faisaient frapper dessus. Je me rappelle des émissions de télé à TV5 ou France 2 où les rappeurs se faisaient tout le temps démonter. Les gens ne respectaient pas le rap ou même le message, alors que cette musique, c’était le message d’une jeunesse en détresse. »
« Les médias regardaient le hip-hop de haut et tous les rappeurs étaient mis dans le même sac. Ils disaient que les paroles étaient violentes. Je pense que IAM, ils se sont moins fait taper dessus que d’autres plus hardcore, mais il reste qu’ils parlaient de cette réalité-là. »
Elle donne son corps avant son nom
Dans cette même veine de storytelling, IAM illustrait comme personne d’autre la dure réalité des escortes qui rôdaient dans les rues de Marseille.
« À l’époque, j’avais compris qu’ils parlaient d’une prostituée, dans les moindres détails. On remonte, on se réveille, etc. Je pense que ce qui me fascinait le plus chez IAM, c’était la façon de décortiquer une histoire comme on peut le faire dans un film. Tu peux fermer les yeux pis tu vois la suite des évènements. »
Demain, c’est loin
En guise de fermeture, le groupe se permet une envolée philosophique de huit minutes sur le masterpiece Demain, c’est Loin.
« Cette chanson, c’est le parcours du combattant. Dans tout ce que tu fais, peu importe d’où tu viens, tu peux changer. Ta volonté peut jouer. Je ne suis pas quelqu’un de fataliste dans la vie, je suis très optimiste, même un peu trop des fois, mais tu peux venir de n’importe où et réussir quand même. Il reste que le struggle est fucking real. Si tu travailles pas, t’auras rien. Tu peux chialer sur tout le monde, mais il faut que tu fasses ton parcours. »
Ce chemin un peu éprouvant qui a marqué sa route, c’est celui qui a forgé son humilité, selon les dires de la rappeuse. C’est ce même parcours qui lui a fait remarquer chacune des avancées, même les plus petites, pour se rendre où elle est aujourd’hui.
« Personnellement, il y a deux ans, je voulais arrêter la musique. En 2016, j’ai pas fait de chansons du tout parce que j’étais un peu découragée pour toutes sortes de raisons. Il a fallu que j’arrête tout ça pour prendre un peu de recul. Mais voilà, je pense que le parcours, ça te forge. »
Une véritable émancipation artistique
Sarahmée est pensive lorsqu’on lui demande si L’École du Micro d’Argent avait changé quelque chose dans sa jeune perception de la vie. « Ça me faisait réfléchir en fait, révèle-t-elle, en prenant une pause. C’est qu’ils parlaient de certaines choses que tu peux vivre. Je pense qu’ils s’adressaient beaucoup aux jeunes. Je me suis sentie tellement interpellée par ce qu’ils racontaient. »
Ça fait partie des graines qui ont été semées dans ma vie et qui font qu’aujourd’hui je fais du rap et je peux en vivre. C’est pas banal.
« Pis je me suis dit : il faut que je parle de ces choses-là aussi. L’assiduité dans l’art, c’est important. Et c’est toute la créativité qu’ils ont mise derrière. En lisant les paroles, il y a certains sens que je catchais, et je me suis dit : c’est important dans le rap d’avoir certains standards. »
C’est ce désir de s’affirmer qui a teinté l’écriture d’Irréversible, son plus récent projet sur lequel elle s’expose comme jamais elle ne l’avait fait. Même si la forme ou le style s’éloignent de ce que le groupe pouvait proposer sur son album, elle en a conservé l’esprit dénonciateur et la volonté de véhiculer des propos entre ses lignes.
« Quand j’ai commencé à faire mon album l’année passée, ça a été un fil conducteur sur la musique. J’étais dans un mindset dans lequel j’allais dire ce que j’ai à dire et advienne que pourra. C’était important pour moi de parler de ma couleur de peau, de ma position en tant que femme, de ma famille, de mes amis, de ce qui me dérange dans la société, ce qui me plait, mes ambitions, etc. Ce sont toutes des choses que j’étais prête à dire pis j’avais pas de filtre en les écrivant », révèle-t-elle.
« Et même quand je fais une chanson lit avec Tizzo, je vais envoyer une line sensée ou quelque chose qui tape un peu. Je pense que la musique, il faut aussi que ça choque et que ça réveille les gens. T’es pas obligé d’être d’accord avec ce que je dis, mais il y a des choses qu’il faut dire. »
En guise de conclusion
« Il y a des choses dans la vie qui nous marquent. Les réalisateurs ont des films qui les ont marqués, d’autres artistes ont des albums qui les ont marqués. Ce matin, je préparais mes trucs et je rappais toutes les paroles de L’École du Micro d’Argent. C’est un des albums importants dans une vie, et à l’époque je savais pas, mais aujourd’hui j’en suis là. Ça fait partie des graines qui ont été semées dans ma vie et qui font qu’aujourd’hui je fais du rap et je peux en vivre. Et c’est pas banal », admet-elle, contemplative.
C’était important pour moi de parler de ma couleur de peau, de ma position en tant que femme, de ma famille, de mes amis, de ce qui me dérange dans la société, ce qui me plait, mes ambitions.
« C’est un album culte du rap francophone. Un véritable classique. Je pense que c’est un des meilleurs qui soit sorti des années 1990, sinon le meilleur. En tout cas, moi, c’est mon préféré. Les rappeurs en France et même d’ici l’ont à peu près tous comme référence. Pour les thèmes, le concept, l’écriture, l’image, etc., c’est réellement unique. Pis ça s’est pas vraiment refait depuis. Vingt ans plus tard, ils font encore des tournées de cet album. Ce sont des légendes. »
L’album Irréversible de Sarahmée est toujours disponible sur toutes les plateformes de streaming et en magasins