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« L’air d’aller » : Le poumon rose de la télé
1er avril 2022.
J’ai 32 ans, aujourd’hui. Je me réveille un peu dans la brume, hangover de mon party de la veille. Mon téléphone sonne et je vois sur l’afficheur le nom de « Sarah Pellerin » qui apparaît.
Mon c œur, déjà fragilisé par l’excès de rouge léger, fait un 360. Seulement deux options sont possibles; une très bonne ou une très mauvaise.
Je l’imagine déjà en train de me dire que malheureusement, ils ont choisi une autre actrice, que j’étais excellente en audition et que c’est pas une question de talent, que ce n’est que partie remise, qu’on va travailler ensemble bientôt et tout le charabia de perdants qu’on se fait répéter après chaque échec, quand on est acteur.
Mais non. Je serai Katrine. Katrine avec un K qui a la fibrose kystique.
C’est drôle, j’avais jamais remarqué que la maladie et le personnage partageaient un « K » avant d’écrire ses lignes. Comme quoi, j’en apprends encore sur elle un an plus tard.
j’ai l’impression de connaître Katrine, malgré le fait que je ne sache rien de ce que ça implique, vivre avec une maladie depuis son tout premier souffle.
Immédiatement, je suis prise d’un mal de cœur de joie mélangé à une terreur que j’ai rarement expérimenté jusqu’ici. Je ne connais rien à cette maladie. Tout ce que je sais, c’est que lorsque j’étais jeune, la nièce de Céline Dion avait la fibrose kystique, que Céline en parlait pas mal souvent et que Dave St-Pierre, dans le film Over My Dead Body, avait eu une greffe de poumons parce que les siens étaient sur le bord de give up. C’est comme se noyer de l’intérieur, qu’ils disent.
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C’est une immense responsabilité qu’on vient de déposer sur mes épaules fragiles de comédienne. Mais en même temps, j’ai l’impression de connaître Katrine, malgré le fait que je ne sache rien de ce que ça implique, vivre avec une maladie depuis son tout premier souffle, celui-là même qui risque de nous tuer. C’est dur à expliquer, le sentiment de connaître un personnage. Ça se passe loin en dedans. C’est un peu comme tomber en amour; ça brasse dans le bas-ventre.
Katrine est tellement limpide sur papier qu’une fois transposée dans mon corps, elle prend vie sans compromis et avec une confiance désarmante. Elle et moi, on devient soudainement invincibles. C’est rare, un coup de foudre aussi puissant avec un personnage et un scénario.
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C’est peut-être juste moi qui suis difficile ou trop exigeante, mais j’ai trop souvent l’impression que les propositions télévisuelles au Québec sont formatées et polies. C’est comme si on s’accrochait à un format télévisuel archaïque et qu’on regardait passer le bateau de l’internet, de la jeunesse et de l’innovation en lui tournant le dos. Je comprends que les moyens soient restreints, le public, dissipé, et l’envahisseur si près, mais je m’explique mal notre frein à prendre des risques.
Ce qui m’a pris au cœur, en lisant L’air d’aller, c’est la prise de risques dans l’écriture de Jean-Christophe Réhel, ses personnages bruts, la magie qu’il a infusée dans les moments déchirants et son portrait fragile de la vie. J’ai enfin eu la ferme conviction de participer à un projet sortant des sentiers battus. J’ai de la chance parce que je sais que ce ne sera pas toujours comme ça. Que pour survivre dans ce métier, je devrai continuer à faire des projets où l’acteur devient le dernier pion d’une machine administrative qui doit être rentable coûte que coûte.
Katrine, elle, n’a peut-être pas survécu à sa maladie, mais ce qui est certain, c’est qu’elle vivra en moi pour toujours.
On dit que les éditeurs savent après seulement deux pages de lecture si un roman vaut la peine d’être publié. Comme acteur, on devient inévitablement des éditeurs du scénario, mais je comprends que d’user de notre sens critique devient parfois trop douloureux devant l’absence de choix. Que devant le gouffre, on s’accroche à la première branche qui nous est tendue. Pour le moment, cette branche sur laquelle je suis posée me remplit de fierté.
L’avenir n’en est pas moins effrayant, mais au moins, j’ai le sentiment d’avoir contribué à quelque chose de grand en parlant de la maladie de Katrine. Karine, la nièce de Céline Dion, est décédée de la fibrose kystique en 1993, à l’âge de 16 ans. Dave St-Pierre danse toujours grâce à ses nouveaux poumons.
Katrine, elle, n’a peut-être pas survécu à sa maladie, mais ce qui est certain, c’est qu’elle vivra en moi pour toujours. Je vous l’ai dit : Katrine, elle est invincible.
*Le premier épisode de L’air d’aller sera disponible sur Télé-Québec le lundi 13 mars et la saison complète dès le 23 mars.