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L’âge de raison

Par
Sophie Massé
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Ce texte est issu du numéro spécial Célébrités | Hiver 2007

Fondée en 1983 par la sénatrice Andrée Champagne, la Donalda des Belles Histoires des pays d’en haut, cette maison de retraite a été créée pour donner aux aînés du monde du spectacle un peu de confort et de réconfort. Si elle accueille plusieurs intrigants, elle abrite d’abord un panaché de tout ce qui fait l’être humain : des regrets, des chagrins, de la jalousie, un brin, mais aussi de l’amitié, de la sagesse et de la foi. Les rêves, parfois immenses, parfois tout petits, y occupent aussi une grande place.

Terri Vanier
(ci-dessus)
72 ans, chanteuse

«On habite au chez-nous des artistes oubliés.»

«Je suis une vedette, mais y a juste moi qui le sait! Peut-être que c’est mieux comme ça. Je n’aurais pas eu la force de le supporter. La célébrité, c’est difficile pour ceux qui deviennent des grosses vedettes comme aux États. C’est pas surprenant qu’il y en a qui tombent dans la drogue.
Moi, je remercie le Bon Dieu tous les jours; je ne fume pas, je ne bois pas et je n’ai jamais pris de drogue. Si la célébrité n’est pas arrivée, c’est qu’il y a une raison… À l’âge que j’ai, je suis encore capable de donner du bonheur aux gens et c’est tout ce qui compte.»

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Terri Vanier a réalisé un de ses rêves d’artiste quand elle a chanté au Casino de Montréal, en 2004. Elle avait 70 ans. Deux ans plus tard, elle est toujours à la recherche d’un promoteur qui lui permettrait d’enregistrer un cd intitulé Terri Vanier au Casino de Montréal.

Fernand Labelle
peintre, 73 ans

«Se réaliser soit même, c’est sans doute la plus belle récompense de l’artiste.»

À 20 ans, je me souviens d’avoir dit à mes parents : «Vous allez voir, je vais être un peintre célèbre.» À l’époque, je disais ça pour me motiver… Et quand c’est arrivé, je me suis dit : «C’est juste ça?» Je dis ça, mais dans le fond, je n’ai pas encore connu la «vraie célébrité». Ça fait 49 ans que je peins, que je me lève à 4 heures tous les jours et que je mène une vie de moine, mais je ne suis toujours pas célèbre, même si j’ai acquis une certaine reconnaissance dans le monde de la peinture. On aimerait tous arriver au dernier barreau de l’échelle, mais on sait à quel point c’est dur et méchant là-haut… La célébrité, c’est une game : si tu choisis de la jouer, il faut que tu te retrousses tes manches!»

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Fernand Labelle a présenté ses toiles dans une vingtaine de pays et plusieurs centaines d’entre elles se trouvent dans des collections privées. Peintre autodidacte, il a été le premier Canadien à exposer
ses œuvres au Musée Toulouse-Lautrec d’Albi, en France.

Mariette Fortin-Ruiz
peintre, 66 ans

«Les peintres, c’est qu’après leur mort qu’on leur rend hommage.»

Avant, la célébrité c’était très important parce qu’il y avait un long cheminement pour y arriver. On avait un petit frisson pour les gens qui y parvenaient. Aujourd’hui, les gens des émissions de télé-réalité deviennent célèbres du jour au lendemain et ça ne veut plus rien dire. J’ai envie de prendre une de ces vedettes et de lui dire : «Toi, attends un peu! Moi, ça fait 25 ans que je travaille et je ne suis pas encore célèbre!» Ce n’est pas encore arrivé parce que je ne suis pas encore assez vieille. Depuis 20 ans, je me projette à 86 ans en vieille malcommode joueuse de tours, la face plissée, célèbre. Je me vois donner un paquet d’entrevues et avoir un fun noir. C’est une image que j’aime.»

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Mariette Fortin-Ruiz a commencé à peindre à 28 ans. Elle a ouvert un atelier sur Queen-Mary qu’elle a dû abandonner en 1986, après la dure récession économique. Aujourd’hui, elle voudrait reprendre
ses pinceaux et rêve d’un atelier au Chez-Nous des artistes.

Guy Nadon
74 ans, batteur

«Maintenant, je ne compose plus, je décompose.»

Quand j’étais plus jeune, je faisais des spectacles dans les caba­rets avec mes cans et ça me donnait trois dollars par show. La musique, c’est une ligue de crève-faim. Je suis rendu pas mal connu, mais j’ai pas plus d’argent. Quand t’es riche, tu peux devenir encore plus célèbre, mais aujourd’hui, y a pas de job! À quoi ça sert d’être un compositeur maintenant? À rien. Je le dis à mon public. «Mes compositions, je les mets dans le tiroir avec mes camisoles pis mes shorts.» Pourtant, si c’était à recommencer, je ferais la même chose…

Guy Nadon a appris la musique en tapant sur des boîtes de conserves et des poubelles dans les ruelles d’Hochelaga. En 1998, le Festival International de Jazz de Montréal lui remettait le prix Oscar Peterson.

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Émile « Cisco » Normand
72 ans, percussionniste

«Aujourd’hui, mon père m’assomerait s,il voyait que je me prends pour un autre.»

Une fois, un de mes chums m’a dit: «Je le sais c’est quoi ton problème : t’as peur de faire de l’argent. J’ai dit : T’as raison. Tu te rappelles Untel il y a 20 ans? C’était un bon garçon. Maintenant qu’il fait de l’argent, il se prend pour un autre. Je veux pas devenir comme ça. Je veux être moi, comme je suis là, tout le temps.» Money is the root of all evil, point. Moi, je suis très riche : je suis une vedette pour les musiciens qui me respectent à travers le Canada et aux États-Unis. Je suis riche de leur respect. ok, j’irai pas à la banque avec une brouette pleine d’argent, mais j’aime mieux ma célébrité telle qu’elle est.

Cisco a joué avec le pianiste Oscar Peterson et le saxophoniste Yussef Lateef, pour qui il a une immense admiration. Un jour, il aimerait ouvrir une école de musique à Windsor.

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Ce texte est issu du numéro spécial Célébrités | Hiver 2007