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L’acouphène, ce démon qui guette les mélomanes

On a rencontré une audiologiste pour mieux comprendre ce bruit qui reste dans nos oreilles en revenant du concert.

Par
Estelle Grignon
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Si vous avez déjà assisté à un concert de musique, les chances sont fortes que vous ayez déjà vécu un acouphène en rentrant chez vous par la suite. L’acouphène, c’est « la bille qui roule dans le crâne » comme le chantait Karkwa. Ce petit bruit aigu et constant qui se loge dans l’oreille pour un instant. Pour la plupart d’entre nous, ce bruit de fond disparait le lendemain matin. Mais pour d’autres, le bruit ne part jamais. C’est ce qu’on appelle un acouphène chronique.

« Un son qui entendu par une personne sans qu’il y ait une source extérieure à ce son-là. » Voilà comment l’audiologiste Virginie Hébert décrit l’acouphène. Parfois, ce roulement auditif est lié à un autre problème de santé : les causes probables d’un acouphène sont nombreuses et mystérieuses. « Il y a des gens chez qui c’est lié à la pathologie de l’oreille, externe, moyenne ou interne. Il y en a que ça va être cardio-vasculaire, il y en a que ça va être musculaire, d’autres que ce sera des problèmes de mâchoire, du métabolisme, des hormones… Il y en a que c’est lié à des migraines, des dépressions… »

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Mais pour les autres, l’acouphène est un problème qui se développe lorsque l’on s’expose à de forts bruits sans protection. C’est le cas entre autres des musiciens et des gens qui travaillent dans les lieux de concert, comme des membres de la sécurité, les techniciens, les journalistes, les travailleurs de bar, etc. « Même les gens qui écoutent de la musique avec un iPod dans des écouteurs à un volume élevé, ça peut créer des problèmes auditifs qui vont mener à des acouphènes. »

Et c’est désagréable

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Sylvain Sarrazin est journaliste à la Presse et a fait de la musique pendant plusieurs années, dont des concerts et de nombreuses répétitions à fort volume. Après avoir fait de la plongée en Islande, il a découvert qu’il avait un acouphène. « En soirée, j’ai commencé à entendre un faible sifflement dans les deux oreilles, me confie-t-il par message. Le lendemain, c’était un hurlement suraigu. Ce n’est jamais parti. »

« La première année a été très éprouvante, je souffrais aussi d’hyperacousie (grande sensibilité aux bruits forts), ce qui a eu beaucoup d’impact sur l’organisation de mes activités sociales », m’écrit celui qui compare le bruit à une théière qui siffle ou un train qui freine.

Au téléphone, Virginie Hébert assure que l’acouphène est plus souvent le symptôme d’un problème que la cause de possibles complications. « C’est pas nécessairement l’acouphène qui va mener à la dépression, mais plutôt tous les impacts au quotidien négatifs associés à ça. »

« Des gens vont réussir à vivre très bien avec leur acouphène, et vont réussir à l’ignorer. »

Atténuer le problème

Durant l’entrevue, l’audiologiste, qui a récemment complété sa maîtrise, me parle des façons d’apprivoiser son acouphène plutôt que d’essayer de le guérir. C’est que lorsque l’on a un acouphène chronique, les dommages sont irréversibles. Sylvain Sarrazin peut en témoigner, lui qui m’avoue avoir essayé toutes sortes de traitements et de gouttes pour les oreilles, sans succès.

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Virginie n’est pas étonnée. Si la carotte peut aider à garder les yeux en santé, il n’existe pas d’aliment similaire pour aider l’audition. Pas de pilule magique non plus, ou de gouttes pour les oreilles. « Ce ne sont pas des choses qui sont basées sur des données scientifiques. »

Dans une autre conversation par message, Jacob Pomerleau me parle lui aussi de son expérience. DJ, producteur et artiste électronique évoluant sous le nom Shiv Dev, Jacob a développé des trucs avec le temps. « Je limite ma consommation de café, je médite. Quand je suis stressé, le sillement s’amplifie. » J’ai lu le message à Virginie Hébert. « Ça, c’est vrai par exemple, c’est prouvé. »

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« Tout ce qui est sommeil, gestion du stress, l’alimentation, l’activité physique, ça va aider. Et ce, sans que le stress soit la cause de l’acouphène. La personne se sent plus confiante et peut mieux gérer son acouphène. La méditation aussi c’est vrai : même nous, on conseille énormément de techniques de relaxation dans nos thérapies. »

À court terme, ironiquement, le mieux est d’éviter le silence total pour que l’acouphène devienne moins dérangeant. « Quand on est chez nous et que notre acouphène nous dérange, on va mettre des bruits de fond. Il y en a qui vont mettre de la musique de fond, d’autres, du bruit blanc ou des sons de nature. Comme ça, ça nous permet de changer notre focus. »

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La prévention a bien meilleur goût

C’est bien beau essayer de devenir buddy avec son acouphène quand il est trop tard, mais est-ce possible de les prévenir ? Absolument. Tout commence par le fait de protéger ses oreilles selon la spécialiste. Il faut alors prendre en compte non seulement l’intensité du volume auquel on s’expose, mais aussi sa durée.

« Le volume dans les concerts est très, très élevé. Ça peut même aller en haut de 110 dB. Juste pour donner une idée, le temps d’exposition sécuritaire à 110 dB, c’est de quelques secondes. C’est important alors de bien protéger ses oreilles avec des bouchons, et de s’assurer de bien les insérer aussi. Prendre des pauses et porter des bouchons, ce serait le meilleur truc. »

« Sinon, pour ceux qui écoutent de la musique — on remarque que c’est à la mode de mettre des écouteurs, entre autres dans les espaces de coworking, dans le métro, etc. — c’est de réduire le volume, tout simplement. On recommande de garder le volume à 60 % pendant 60 minutes. Plus on s’expose longtemps, moins il faut que le volume soit fort. »

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Il est possible de se trouver des bouchons en mousse en pharmacie à prix modique. Ceux-ci sont très pratiques dans des usines ou les chantiers où le bruit des outils fait monter le nombre de décibels, mais peut gêner les musiciens. « Ça coupe tous les sons aigus, toutes les hautes fréquences. On entend juste la bass. »

Pour les plus sérieux, il est possible de se faire faire des bouchons moulés. C’est d’ailleurs ce qu’a fait Virginie. « Avec des bouchons moulés, c’est beaucoup plus étanche déjà, mais il y a aussi un filtre à l’intérieur. Ça conserve le spectre séquentiel. C’est comme si on prenait exactement la même chanson, mais qu’on baissait le son, comme sur une radio. » Le prix de ces bouchons personnalisés peuvent varier selon la qualité (habituellement dans les trois chiffres), et peuvent durer plusieurs années.

On va tâcher de s’en rappeler la prochaine fois que My Bloody Valentine est en ville.

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