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La petite ville de Yellowknife hiberne en permanence au nord du Grand Lac des Esclaves.

1- YYK (pourquoi Yellowknife)?

L’endroit en lui-même n’a rien de bien impressionnant pour un Québécois venu y chercher du travail ou ayant pris la mauvaise sortie à Edmonton et roulé 18 heures sans se poser de questions. C’est plutôt ses habitants, ramassis hétéroclite de bons vivants réservant aux étrangers un accueil incomparable, qui rendent YK digne que je vous la décrive brièvement, dans ses jours comme ses nuits, son calme et son tumulte, dans sa plus grande ingéniosité comme dans sa pire bêtise.

2- La vie sur le lac

Les rives du Grand lac des Esclaves, au niveau de Yellowknife, recèlent un spectacle qui saurait confondre un banlieusard blasé. C’est dans des maisons bateaux et des shacks qu’ont élu domicile les habitants les plus représentatifs de l’endroit. Ils ne sont ni raccordés à l’électricité, ni bénéficiaires du réseau d’aqueduc. Un mode de vie qui en découragerait plus d’un. Le monde qui habite là a le pied marin, sait recevoir, et ça jam autour du feu de foyer en trinquant au whisky. En plein cœur de l’hiver, lorsqu’il fait -45 Celsius avant facteur vent, certains privilégiés tels que moi sont invités à jouer au hockey sur la patinoire artisanale du lac. On doit y boire notre Trad dans les délais les plus brefs, sans quoi elle fige et nous prive de sa chaleur fortifiante. Plus tard, en mars, le plus notable de ces joyeux hommes du lac s’autoproclame le « Snow King » et érige un château de neige, ma foi, assez impressionnant. Le party poigne sévère, et les personnalités les plus éclatées de YK s’y rencontrent pour fêter comme ils savent si bien le faire. Certains diront que les « lakers » ont comme principal intérêt l’exemption de taxes municipales (le lac étant une propriété fédérale). Mais croyez-moi, si un jour vous les voyez à la fonte des neiges, un pied dans le canot et l’autre patinant sur la glace en train de céder, tentant tant bien que mal de rejoindre la rive pour se rendre au boulot, vous comprendrez vous aussi que leurs intérêts sont loin d’être financiers.

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3- La dump

Le dépotoir est l’une des attractions les plus « underground » de YK (et je ne tente pas ici de verser dans l’humour puisque le dépôt est à ciel ouvert). C’est le samedi dans l’après-midi, souvent après les ventes de garage et toujours dans la bonne humeur la plus contagieuse que plusieurs locaux se rendent à la dump. C’est l’heure de pointe. Généralement, chacun y trouve son compte et peut même faire quelques découvertes inespérées. Yellowknife, c’est une ville d’aller-retour, et parce qu’on est à 18h de route du grand centre le plus près, c’est plus cher de tout déménager que de se remeubler sur place. Les gens préfèrent donc s’équiper une fois ici et repartir allégés d’un voyage à la dump, direction sud, passe de cash en poche. C’est alors un rendez-vous pour ceux qui veulent se meubler pas cher, et un petit soulagement écologique pour la région qui souffre déjà du hit-and-run des géants de l’industrie minière.

4- Le froid

J’en fais la promesse : jamais plus je ne me plaindrai de l’hiver québécois. Avant ma venue ici, j’avais tendance à m’enorgueillir de l’exploit d’avoir survécu à 24 hivers de la belle province. Toutefois, ma conception de la température allait changer. Ce n’est pas un mythe, il fait frette à YK. Fait intéressant, pour se réchauffer, les gens de l’endroit se réfugient dans un sympathique déni collectif. Lorsque j’annonce à une nouvelle connaissance que je viens du Québec, tout de suite elle me répond : « Ah oui! Montréal! J’y suis allé. L’hiver est humide, ça te traverse. Ici, tu t’habilles et tu ne le sens pas! » Et moi de rétorquer intérieurement : « Il ne fait jamais -52 à Montréal », évitant ainsi respectueusement de faire voler en éclat la comparaison fautive de mon interlocuteur, réconfortante source de chaleur chimérique.

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5- Les corbeaux

Dit vite de même, ça peut faire penser à une cauchemardesque mise en scène d’Alfred Hitchcock qui se déroulerait à Yellowknife, et au fond, c’est un peu ça. Je ne sais pas si les corbeaux d’ici obéissent à la loi de déformation aux pôles en vigueur en cartographie, mais c’est franchement inquiétant. Ces volatiles communs à toute la contrée sont trois fois plus gros à Yellowknife qu’ailleurs. Aucune thèse scientifique sur le sujet; obscure manifestation des forces de la nature et il me prend parfois l’envie de donner ma démission à ma patronne et de vivre en reclus, m’adonnant à temps plein au dressage de ces mastodontes d’ébène, m’encapant de mystérieuse façon et devenant un genre de druide… ou pas. Je suis bien moins qu’un néophyte en matière de dénomination des espèces animales. Cependant, il m’apparait évident que la créature qui nous intéresse ici soit le Corvus Corax, ou grand corbeau (c’est presque un euphémisme dans le présent cas). Un conseil : faites gaffe! Si Corvus veut votre McDo, il va l’avoir. La malbouffe en plein air peut rapidement devenir un sport extrême.

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6- Les lois sur l’alcool

Bon nombre d’honorables citoyens, l’humble auteur de cet article figurant parmi ceux-ci, se voient montrer la porte des bars régulièrement. En fait, je ne connais personne, aussi respectable soit-il, à qui ce n’est jamais arrivé. Cela est dû en majeure partie aux lois sur l’alcool très strictes dans tous les Territoires du Nord-Ouest, calquées sur celles de leurs voisins du sud. Vous ne trouverez pas un endroit pour vous servir de la bière le dimanche et les prix en vigueur, outrageux, si je puis dire, se veulent dissuasifs d’un phénomène de consommation excessive. Or, le biberon étant encore le meilleur moyen de se réchauffer dans ce climat nordique, l’ingestion de boisson est bien répandue, malgré les efforts de la commission des liqueurs. Yellowknife, c’est aussi une ville où tu peux voir un gars trop boire, se croire invincible, poigner des engelures, crier sur les passants et terminer son odyssée éthylique par une glorieuse envolée de 15 marches vers les bas-fonds du Harley’s Rock Saloon, seul stripper club de la ville où il s’endort paisiblement. Ce genre d’énergumène aboutit généralement dans la tank, une petite pièce du poste de police, où il rejoint pour une nuit de dégrise la quinzaine d’individus arrêtés quotidiennement pour ivresse. Malgré tout, qu’il fait bon se retrouver autour d’une Keith’s au Black Knight Pub après une dure journée de labeur, ou danser comme des fous au Gold Range dans un charmant décor de gyproc défoncé. Pour qui veut tenter l’expérience du Nord, le Yellow-Night-Life est sans conteste une expérience inoubliable.

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7- Ugly truck and dog contest

Ce concours on ne peut plus rocambolesque mérite un intertitre à lui seul, vous en conviendrez. Chaque année, les amateurs de freak show de Couteau-Jaune se rassemblent dans une contemplation de concurrents très singuliers. Les participants à l’Ugly truck and dog contest doivent, comme le nom l’indique, présenter le véhicule et le compagnon canin les plus laids possible. Je trouve ça génial, parfois, de promouvoir l’antibeau; ça fait du bien! À l’occasion de cette mascarade, ils peuvent admirer des bazous ornés de graffitis, de rainures et d’une tonne d’emblèmes plus saugrenues les unes que les autres. C’est dans ce bal de l’absurde qu’il vous sera donné de voir un chien revêtant un chandail du Harley’s (mentionné plus haut); une gâterie pour l’âme.

8- La communauté francophone

Voici un fait qui risque de vous intéresser : environ 15 % de la population de YK parle français. Avec une école francophone et plusieurs programmes d’immersion, la communauté s’épanouit au fil des générations. Je n’ai encore jamais croisé de francophobes, que de sympathiques concitoyens ouverts d’esprit. On a une association qui a établi son quartier général dans la maison bleue. Elle organise une tonne d’activités culturelles où tout se déroule dans la langue de Molière. Il y a aussi un journal francophone, l’Aquilon, et si ça vous dit, syntonisez Radio Taïga. Ça m’est arrivé une fois. Je me suis fait gâter les cinq sens avec Prendre un enfant par la main d’Enrico Macias. Au moment du drame, des amis et moi allions jouer au hockey. Cette chanson a le pouvoir d’anéantir tout instinct guerrier. Était-ce un malheureux hasard ou était-ce représentatif de la programmation? Dieu seul le sait (et peut-être aussi Jésus, son fils unique), mais je n’ai jamais retenté l’expérience.

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9- Et tout le reste

Parce qu’à Yellowknife, il y a aussi…
• 237 000 tonnes d’arsenic figées dans le pergélisol (qui menace de fondre),
• 2 liquor store pour desservir 20 000 habitants,
• des permis de pêche au filet sans quota à 10 $,
• un âge moyen de 32 ans, comparativement à 40 pour le reste du Canada,
• des routes de glace assez larges pour 12 chars,
• une consommation de vitamine D uniformisée à toute la population à cause des 3 petites heures d’ensoleillement en hiver,
• le plus haut taux d’ensoleillement au Canada durant l’été,
• des 3 et demi à peine décents pour 1800 $/mois et des cartes de Saint-Valentin à 7 $,
• le Tim Horton’s le plus achalandé de tout le pays.

10- Une invitation

L’invitation est lancée, frères du Québec. Venez visiter ce charmant coin de pays. Venez braver la froidure, si vous l’osez, pour l’amour de l’air pur, des grands espaces, de la chasse, la pêche, la motoneige, le kite-ski, la raquette, que sais-je encore! N’hésitez plus, joignez-vous à cette accueillante communauté et faites, vous aussi, la connaissance de francophiles avenantes qui vous diront « french is so sexy! » Accourez dans la capitale des Territoires du Nord-Ouest et aussi des aurores boréales, là où plus d’un se croyait à l’abri de la séduction et d’un séjour prolongé.

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