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Dans ma petite ville, on est plus de 4000 et la rue principale s’appelle « La rue principale ».
J’ai essayé d’écrire 18 introductions différentes, mais les mots de Dédé sont tellement associés au nom de ma ville, que je me sentais un peu sale de ne pas y faire un clin d’œil.
1. Pas mal plus qu’une chanson
Quand on habite dans un village au nom aussi présent dans les références culturelles québecoises, on s’habitue à entendre fredonner Les Colocs ou les 3 Accords dès qu’on mentionne son bled natal. Oui, il n’y a pas vraiment de curves ici. Sauf une dans le rang 3, mais il y a peut-être 4 automobilistes par jour qui y passent, alors je ne tiens pas rigueur aux sympathiques membres des Trois Accords pour leur manque de rigueur narratif. Non, il n’y a pas de McDonald. Chez nous, on mange dans la cantine de l’ami du beau-frère de tante Thérèse, en prenant bien soin de demander des nouvelles de sa famille.
2. Bouvette et Dupuis
Le centre du village, c’est la rue principale entre le rang 4 et le rang 5. Un petit 100 mètres où se situent à peu près toutes les commodités: la mairie, la caisse populaire, la pharmacie, le bar, la station d’essence/épicerie et la quincaillerie. D’aussi loin que je me souvienne, il y a toujours eu une certaine rivalité entre la quincaillerie Dupuis et le dépanneur Bouvette. Dans un village de 4000 habitants, quand il y a deux magasins qui vendent tous deux les articles de première nécessité à moins de 20 mètres l’un de l’autre, acheter sa slush à saveur de rouge devient presque une déclaration d’allégeance. Et celle-ci change rapidement, au détour d’une chicane. Pour enfant-moi, c’était facile: M. Dupuis me donnait tout le temps 3-4 jujubes à 1 sou de plus lors de mes visites presque quotidiennes. Avec un sourire à grosse moustache (avant que tous les gars capotent au mois de novembre) et un « Oublie pas de dire bonjour à ton père! ». Je suis certaine que les Bouvette ont aussi éventuellement acheté la clientèle fidèle des enfants du coin à coup de boules surettes.
3. La belette de St-Cyrille
Chaque village a son excentrique. Pour St-Cyrille, c’est un monsieur très gentil à la démarche boiteuse, laissant deviner les ravages d’une polyo dans son jeune temps. Mon père le surnomme « la belette », parce qu’il passait énormément de temps à se promener de long en large de la rue principale et il collectionnait les ragots précieusement. À sa retraite, sa place dans le foyer de personne âgées des Bouvette (Oui, les même que le dépanneur) a quadruplé l’étendue de ses potins, ayant maintenant accès aux déboires des neveux, cousins, brus exilées en ville [i.e. Drummondville] ou encore, à Mourial.
4. La guerre de la poutine, version St-Cyrille
L’une des institutions sacrées de St-Cyrille est la fromagerie Lemaire. Située un peu à l’écart du centre du village, c’est le pit-stop fromage en crottes en revenant de la ville. C’est de loin le meilleur fromage en crotte que la terre ait porté, et quiconque dit le contraire risque de subir les foudres et les insultes de n’importe quel natif de St-Cyrille. Et qu’est ce qui va bien avec du fromage en grain? Des frites pis de la sauce! C’est ce qu’a compris Mario, lorsqu’il a ouvert la cantine Marathon juste en face de la fromagerie. La belle histoire d’amour a duré de nombreuses années, et c’était très commun de voir un employé de la cantine avec son petit-filet-pour-pas-qu’il-tombe-des-cheveux traverser la rue en courant pour aller chercher du fromage en catastrophe. Jusqu’à la grande trahison: l’ouverture du resto Lemaire. Le brave Mario, défait mais n’ayant pas dit son dernier mot, change son fusil d’épaule et son fournisseur de squick squick pour passer au fromage Kingsey. C’était la fin de la meilleure poutine de tous les temps: le combo des grosses frites maison de Mario avec le fromage frais du jour de Lemaire. Les nostalgiques peuvent toujours acheter le fromage et la frite sauce séparément, mais il y a quand même un petit goût de regret à chaque bouchée.
5. L’aréna de St-Cyrille
À St-Cyrille ce qui rassemble les gens, c’est l’amour du hockey. Et qui dit hockey dit équipe locale : les Ace, fiers membres de la ligue de Hockey senior AA des Cantons de l’Est. L’aréna, c’est pas mal le hang-out spot des gens les soirs et la fin de semaine. Les petits et les grands chaussent des patins pour se donner rendez-vous sur la glace, pour une partie ou pour une des fameuses périodes de patinage libre. La cantine de l’aréna sert de greasy spot aux étudiants de l’école primaire Cyrille Brassard, juste à côté. Ceux qui ont la permission de sortir le midi y dilapident leur allocation, à grands coups de pogos.
6. La mère Teresa locale
Je t’invite maintenant à te plonger dans tes souvenirs, cher lecteur. Souviens-toi la voix de la grand-mère de Passe-Partout (pour les plus jeunes, insérez ici quelque chose de réconfortant, du genre la voix de Cornemuse). Imaginez que cette voix est une couverture de laine franchement sortie de la sécheuse. Le sentiment de turbo-réconfort jamais égalé représente à peu près à quel point Marie-Berthe Langlois est merveilleuse. Marie-Berthe, presque tout le monde la connaît. Elle enseignait pendant de nombreuses années la troisième année à la petite école. Non seulement c’était le genre de prof qui te donnait envie de faire tes devoirs de maths juste pour ne pas la décevoir, mais en plus, elle se souciait vraiment de chaque élève. Elle demandait des nouvelles de tes parents, ou de ton grand-frère, parce qu’elle leur avait probablement enseigné aussi. Gentille, empathique et dévouée. Comme une Mary Poppins sans l’accent british et les tounes qui gossent. À sa retraite, Marie-Berthe a commencé à travailler au salon funéraire. Elle aide les familles en deuil à travers la paperasse et l’organisation des obsèques. C’est probablement une des jobs les plus lourdes, mais elle le fait avec le même sourire que quand elle te rendait ta production écrite pleine de fautes. Dans un combat de gentillesse et d’empathie, Marie-Berthe bat à plate couture Claire Lamarche et Dr. Phil en tag team.
7. Le bar du coin
Après l’aréna, il y a un deuxième hang-out bien connu à St-Cyrille : le Bistro. Table de pool, machine à toutous et machines à sous cohabitent candidement dans ce petit spot gros comme feu la Paryse. Le classique du bar où tout le monde se connaît et où les serveuses se souviennent de ton nom et connaissent sur le bout des doigts tes préférences de bière ou de drinks. Et ça vire au petit bar. Une fois toutes les possibilités contenant le mot « hockey » exclues, il y a toutes les célébrations, les coups durs et les occasions de se réunir. La richesse du village est un concept presque étranger à Montréal : la communauté tricotée serrée. Ici, on partage les succès et les coups durs autant que les 3 premiers chiffres du numéro de téléphone. (397 Represent). Au mur, il y a une enseigne de néon Coors light et dans les vitres, l’affiche pour le prochain gala de lutte amateur (shout out à Pascal Laterreur, le cousin lutteur qui n’a pas besoin de changer son nom de famille).
8. Les rangs de campagne
Il y a vraiment très peu de rues avec un nom du genre : «les Mésanges» à St-Cyrille. Quand tu es un fier St-Cyrillois, il y a 80% de chances que tu habites dans un rang. Et les rangs, ça n’a pas vraiment de nom. Rang 3, 4, 5, 6, 7 et 8. J’ignore où sont les rang 1 et 2, mais je me plais à imaginer qu’on les a perdus au poker un soir de brosse au Bistro. Les habitants du fond du rang n’ont pas le choix de prendre la voiture pour aller au dépanneur. Ou marcher 3 minutes jusqu’au voisin le plus proche pour emprunter une tasse de sucre. Ou conduire le tracteur.
9. Attention, Ici le train ne siffle plus
Ce panneau routier est magique. Juste avant la voie ferrée dans le rang 4. C’est probablement l’affirmation la plus « drama queen » jamais vue sur un accessoire de sécurité public. On doit le lire avec une voix à la Clint Eastwood. J’aimerais savoir pourquoi le train ne siffle plus à St-Cyrille, mais personne ne peut répondre à cette question.
10. En vrac
Il y a beaucoup de roux à St-Cyrille. L’église du village est une des plus belles de la province. La bibliothèque municipale est dans une jolie petite maison. Le village est bâti sur deux cantons différents. Quelqu’un a déjà essayé de voler la Caisse en défonçant le mur extérieur avec un bulldozer. Le village a déjà brisé le record Guiness du plus gros bonhomme de neige.
Bref, St-Cyrille est un joli village, avec des habitants au grand cœur et de jolis paysages de campagne. La prochaine fois que vous devez faire la route de Montréal à Québec, faites un petit arrêt. M. Dupuis va peut-être vous donner des jujubes.
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