Logo
Publicité

Je n’y ai bien évidemment pas passé mon enfance mais ça ne m’empêche pas d’avoir ma ville d’adoption, Shanghai, dans la peau. Attachez vos tuques avec d’la broche, je vous emmène dans le ventre du dragon.

1. On snobe Pudong
En 1990 Pudong, à l’est du fleuve Huangpu, n’était que champs et marécages. Vingt ans plus tard c’est ici qu’on trouve les plus hautes tours de la ville : l’Oriental Pearl TV, la Jin Mao, le Shanghai World Financial Center (communément appelé le décapsuleur) et qu’on s’affaire à construire le deuxième plus haut gratte-ciel au monde, la Shanghai Tower (632 mètres). Mais malgré son look shiny, le quartier ultramoderne semble condamné à demeurer le 450 de Shanghai et n’arrive pas à damner le pion à sa rivale Puxi (le 514) qui reste le centre historique et culturel. En fait Pudong c’est plate et un peu trop stérile à notre goût, y a que des bureaux et des messieurs en veston cravate alors qu’à Puxi y a des petites ruelles pas toujours propres avec des pépés en pyjama qui jouent au mah-jong en fumant des cigarettes et en grignotant des graines de tournesol.

2. On est en mode survivor

Dans une mégalopole de 20 millions d’habitants, tous les coups bas sont permis pour arriver à nos fins. Vous voulez une place dans le métro ? Ne faites pas l’erreur d’attendre sagement sur la rame que tous les gens soient sortis avant d’entrer dans le wagon. Aussitôt que les portes s’ouvrent, affrontez plutôt la marée humaine à contre-courant et n’ayez de pitié pour personne. Si quelqu’un vous fait remarquer qu’il est vieux et aurait besoin de s’asseoir, faites semblant de ne pas comprendre et regardez vos mails sur votre iPhone.
Vous voulez un taxi à l’heure de pointe ? Installez-vous le long de la rue et demeurez en état d’alerte constant. Sautez dans le premier taxi qui s’arrête dans un rayon de 20 mètres de votre emplacement. Si quelqu’un vous fait durement remarquer qu’il était là avant vous, faites semblant de ne pas comprendre et ordonnez au chauffeur de démarrer rapidement.
Pas envie de faire la queue à la banque ? Approchez-vous du comptoir sous prétexte de demander une simple information. Puis prenez place nonchalamment sur la chaise devant le guichet pour remplir les nombreux formulaires en chinois nécessaires pour compléter la transaction. Si quelqu’un vous fait remarquer qu’il faut prendre un numéro et attendre son tour, faites semblant de ne pas comprendre, souriez à la préposée et surtout restez assis. À partir de maintenant, c’est chacun pour soi.

3. On distribue des cartes de visite

Mettons les choses au clair : on ne vient pas à Shanghai pour se cultiver (les seules vedettes internationales qui s’arrêtent ici sont Avril Lavigne et Elton John), on vient à Shanghai pour faire du business. C’est quoi ton job ? et Combien tu gagnes ? sont d’ailleurs les questions de circonstance quand on rencontre quelqu’un pour la première fois. Peur d’oublier ces précieuses infos ? Pas de panique, il existe un truc infaillible pour se rappeler du job de tous les gens qu’on a croisés : la carte de visite qu’on tend cérémonieusement avec les deux mains à son interlocuteur. Outil essentiel de promotion et de socialisation, tous les Shanghaiens en ont une, même la madame qui reprise les chandails de laine assise sur une chaise au coin de la rue. Habituellement, la carte de visite est composée des éléments suivants : ton vrai nom en chinois et le nom que tu as choisi en anglais, ton numéro de cell. perso (allumé 24h/24) et surtout ton poste. Étonnamment, les Chinois sont tous managers de quelque chose. C’est sûrement pour ça que le business marche si bien à Shanghai.

4. On se promène sur le Bund

Tous les weekends, une horde de Chinois provenant d’autres provinces et vêtus pour la plupart de complets en polyester prennent d’assaut la promenade qui longe le fleuve Huangpu. Le Bund est depuis toujours le spot qu’on se doit de visiter à Shanghai car c’est d’ici qu’on a la meilleure vue sur le skyline de Pudong. On se doit bien sûr d’immortaliser ce moment, en compagnie d’un Occidental pour vraiment faire envie à la famille et aux amis qui n’ont pas pu venir. Ça tombe bien, le Bund regorge de touristes en tous genres. Les critères de sélection du sujet diffèrent selon les photographes mais les enfants aux cheveux blonds et les femmes à la peau très blanche ont la côte. Les hommes poilus aussi. Une fois repérée la proie on s’en approche et on lui dit sans détour « You and me take picture my friend ». On aura bien prévu d’appeler d’autres Chinois curieux en renfort pour encercler l’Occidental afin d’éviter toute tentative de fuite de sa part. L’utilisation que fait le touriste chinois de ces photos reste encore à ce jour un mystère mais on imagine bien le portrait accroché au-dessus de la tv dans un salon du Hunan ou comme fond d’écran sur un vieux desktop du Guangdong.

5. On souffre de météoropathie

Vous pensez que le climat québécois est terrible ? Et bien j’ai de p’tites nouvelles pour vous car dans la catégorie du pire climat du monde c’est Shanghai qui remporte la palme. Tout ça à cause du haut taux d’humidité qui rend l’été asphyxiant et l’hiver glacial. Ce qui n’aide pas non plus notre cause, c’est qu’un jour, le gouvernement de Pékin a décidé que les régions situées au sud du fleuve Yangtze (donc nous) n’auraient pas de chauffage centralisé. Donc de novembre à mars il fait frette, partout, tout le temps. Ah parce que j’ai oublié de vous dire qu’ici, il est d’usage de laisser les fenêtres ou les portes ouvertes même en plein hiver. Il paraît que ça fait du bien au qi (prononcez chi) et que ça protège des maladies, genre la grippe mais pas la pneumonie.

6. On mange au resto du coin

C’est la folie ! Tous les chefs étoilés Michelin veulent se mettre aux fourneaux à Shanghai. Mais heureusement, la ville n’offre pas seulement des croustillants de foie gras aromatisés à l’orange confite et la facture salée qui vient avec. Au resto du coin, pour la modique somme de 30rmb (5 $), vous aurez un repas équilibré à base de riz blanc et de légumes sautés dans la sauce soya. Vous aurez aussi probablement un éclairage au néon, un set de cuisine en contreplaqué, un menu traduit en anglais par google et un poster du Père Noël version 2007 car étonnamment, ici, on n’accorde aucune importance à l’ambiance et au décor. Le seul paramètre qui garantit la qualité de la bouffe, c’est le nombre de clients attablés dans le resto.

7. On est accro au shopping

Ici, on ne se fait pas prier pour faire rouler l’économie : le shopping est en voie de devenir un sport national au même titre que le tai-chi. Louis Vuitton, Chanel et compagnie ont flairé la bonne affaire et se sont fixés comme objectif de vendre un sac à main griffé à toutes les Shanghaiennes, peu importe leur âge et leur situation financière. Les fashionistas qui ont un gros compte en banque ne se laissent même pas décontenancer par les prix devenus exorbitants en raison des taxes d’importation (même si on sait très bien que tout est fait ici en Chine). Mais n’en déplaise aux grands designers, le plus grand centre d’achat reste virtuel : taobao.com avec ses 370 millions d’utilisateurs. Ça en fait du monde et des bébelles à acheter.

Publicité

8. On cherche l’homme rose
L’homme shanghaien est une espèce rare, presqu’en voie d’extinction. Selon la légende urbaine, il s’accommoderait sans rechigner des tâches ménagères, ferait la popote et irait même jusqu’à remettre l’intégralité de son salaire mensuel à son épouse afin qu’elle gère la maisonnée. L’homme rose que toutes les Québécoises cherchaient dans les années 90 se cacherait-il en Asie ? C’est bien ce qu’on pourrait penser en voyant le mâle shanghaien trimballer le sac à main Hello Kitty de sa belle et l’attendre patiemment entre deux cabines d’essayage dans un H&M surchauffé. Les mauvaises langues (et les jaloux) ont beau remettre en question sa virilité, il continue de marquer des points chez la gent féminine qui, loin de le trouver mou, apprécie le fait qu’il soit aussi attentionné. Alors mesdames, on déménage à Shanghai?

9. On s’amuse au parc

Quand on est juste pus capable de voir du béton mais qu’on n’a pas de voiture pour se payer un road trip en campagne (à plus ou moins 8 heures de Shanghai), on part se réfugier au parc. Lieu de prédilection pour les personnes âgées, on pourrait penser que c’est un peu looser comme endroit mais pas du tout ! Au parc, y’a pléthore d’activités quelque soit le moment de la journée. Y’a des couples qui font de la danse de salon sur des hits chinois, y’a des p’tits vieux qui font de la musculation sur des appareils de gym Playmobil et le dimanche, y’a même des parents qui essaient de matcher leurs grands enfants encore célibataires. Y’a aussi beaucoup de gens qui marchent par en arrière. Au début, ça surprend un peu mais il paraît que ça aide pour l’équilibre. En fait, au parc tout est possible. Tout, sauf se coucher sur l’herbe et dormir… mais qui aurait l’idée saugrenue de faire ça dans un parc ?

10. On achète des grosses autos
Oubliez le mythe du Chinois à vélo ! De la basique Volkswagen Santana utilisée par les compagnies de taxi à la rutilante Mercedes grise qui vient souvent avec chauffeur, le Shanghaien contemporain roule maintenant à quatre roues, « made in Germany » de préférence. Les personnes qui optent pour un modèle italien sont clairement les plus créatives et se laissent souvent emporter par l’envie de peinturlurer leur Ferrari avec des teintes improbables comme l’argent ou le rose Barbie. Customisation, qui va sans dire, donne des sueurs froides à toute la communauté italienne installée à Shanghai et fait retourner le pauvre Enzo dans sa tombe. Mais la couleur de la carrosserie n’est qu’un des tracas des automobilistes shanghaiens car il faut d’abord mettre la main sur une plaque d’immatriculation. À chaque mois, une vente aux enchères est organisée et les plaques tant convoitées vont au plus offrant. Avec tout ce beau monde au volant, la préoccupation principale des piétons est devenue de ne pas se faire écraser car tous les Shanghaiens semblent avoir trouvé leur permis de conduire dans une boîte de Cracker Jack.

Vu ma condition (Québécoise expatriée à Shanghai depuis 6 ans), un bonus sur la communauté des expats.

Publicité

11. On apprivoise l’homo-expatus
Introduit en nombre par les sociétés occidentales aux yeux brillants devant le marché chinois, l’homo-expatus (l’expat comme il aime à se nommer) est maintenant une espèce commune à Shanghai. On le rencontre particulièrement près des terrasses, lieu qu’il affectionne pour se regrouper, à rêver de vacances à la plage dans un Sheraton et d’ayi (femme de ménage) qui comprendrait enfin l’importance de ne pas utiliser le même torchon pour nettoyer l’évier de la cuisine et le WC. Pourtant l’expat lui a dit mille fois, certes dans une langue que l’ayi ne comprend pas, mais c’est un détail.

L’expat adore se mêler aux locaux et les imiter. Il aime manger avec des baguettes pour rigoler (mais pas pour manger, n’allons pas trop loin). Il aime louer des apparts « pleins de cachet » dans de vieux buildings délabrés et il aime pratiquer son chinois qui progresse à la vitesse fulgurante de 3 mots et demi par an.

Les Chinois ont accueilli cette nouvelle espèce aux mœurs étranges avec curiosité. Businessmen dans l’âme (voir point 03), ils ont vite compris que souvent l’homo-expatus a le mal du pays et que dans des moments comme ceux-là, ce dernier est prêt à payer des sommes folles pour avoir sa dose de légumes bios, de carrot cake et de vin importé. Les Chinois se font alors un plaisir d’étancher cette nostalgie en dénichant d’on ne sait où ces denrées improbables. Ils se font également un plaisir de tendre la facture par la suite.

Publicité