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Non, je ne connais pas personnellement Mario Dumont. Et je n’ai jamais voté pour lui non plus. Une connaissance éloignée a bien un jour réparé son tracteur et je l’ai déjà vu « en ville », […]
… […] mais ce n’est pas parce que l’ancien chef de l’ADQ vient de Rivière-du-Loup qu’il faut oublier toutes les autres particularités de ce coin du Québec.
1- Une ville de passage
« Rivière-du-Loup est une ville où on passe, mais où on ne s’arrête jamais longtemps. » C’est un autre exilé louperivois qui m’avait avancé cette théorie un jour. Dans une certaine mesure, celle-ci s’applique tant à ses habitants qu’aux voyageurs qui roulent sur la 20.
Il m’est arrivé plusieurs fois de dire à un Montréalais que je venais de Rivière-du-Loup et de me faire répondre « Ah oui ! Je suis déjà allé en Gaspésie. » C’est sûr que ça sonne moins bien d’être un Bas-laurentien(*) que d’être un Gaspésien, mais le Bas-Saint-Laurent existe tout de même et Rivière-du-Loup est un de ses chefs-lieux… après Rimouski.
2- Rimousquoi ?
Au chapitre des guerres régionales, le conflit qui oppose Rimouski au reste de ses voisins vient de bien plus loin que mémoire d’homme. D’aucuns racontent que la rivalité entre Rivière-du-Loup et la capitale du Bas-Saint-Laurent remonterait au XIXe siècle(**), mais rien n’est moins sûr. Une chose est certaine, les gens de Rimouski (dans le jargon local, on dit « Riki ») ont une réputation apparentée à celle que peut avoir un Montréalais à Québec. Avec son Festival de Jazz, son Université et son centre de production cinématographique, Riki est un peu le Plateau des Louperivois.
3- Capitale du KRTB
Faute d’être aussi importante que la métropole bas-laurentienne, Rivière-du-Loup est tout de même le centre économique et culturel du KRTB, KRTB voulant dire Kamouraska, Rivière-du-Loup, Témiscouata et Les Basques. Il n’est pas rare de voir sortir « en ville » des gens de Cabano, Saint-Pascal ou Pohénégamook qui se déplacent spécialement pour profiter des attraits de la rue Lafontaine.
Ceux qui viennent des rives du Saint-Laurent n’ont pas de nom générique (ils ont des noms particuliers comme les Barlettes à L’Isle-Verte, les Pipes-de-plâtre à Saint-Éloi et les Cacounachons à Cacouna), mais ceux qui viennent des terres sont appelés par la population locale « les gens qui viennent des terres » comme dans l’expression, « Steve, c’est un gars qui vient des terres ». Venir des terre ne veut pas dire grand-chose hormis que ça donne généralement plus de chance de posséder un quatre roues et un permis de chasse au chevreuil.
4- Ça se passe sur « la Laf »
Il était question plus haut de la rue Lafontaine parce que c’est bel et bien sur « la Laf » que ça se passe. Hormis quelques égarés, la majorité des bars de la ville est située sur la rue principale. On y rencontre, entre autres, la chic discothèque chez Kojak qui propose des activités comme « Flush ton ex » ou la visite de « L’escouade Coors Light » ou encore la Brasserie Lafontaine où j’avais mes cours du soir quand j’étudiais en sciences humaines au cégep …
5- Turelis prend vos demandes spéciales
Bref, il suffit de passer sur la Lafontaine pour trouver un endroit où boire une bière. C’est également sur la Lafontaine qu’est la bouquinerie Turelis. À l’époque où elle était située dans une vieille maison en bois, la boutique était un endroit envahi par les livres au point où leur poids faisait courber le plancher du deuxième étage(***).
Aujourd’hui, la boutique a déménagé plus bas sur la Laf, mais les sacs de plastique pour les clients sont toujours ceux du IGA ou d’une autre entreprise, la caisse enregistreuse est toujours mécanique, pas électrique, les livres s’empilent toujours sur le comptoir et Madame Dubé garde toujours les demandes de ses clients dans un cahier à spirale. Il y a plusieurs cahiers à spirale, certains remontant à des années. J’ai d’ailleurs peut-être encore une demande écrite quelque part…
6- Il fait froid à Rivière-du-Loup
Avec une moyenne de températures de 17,8 degrés en juillet, autant bien dire que la canicule demeure la plupart du temps un concept abstrait pour le Louperivois. Quoique le Saint-Laurent tempère le climat en hiver, quiconque s’est aventuré près de la rive un jour de nordet sait qu’il y a tempéré et tempéré.
Note au lecteur : le nordet est le vent qui vient de l’aval du fleuve – soit le Nord-Est – et qui peut vous faire des lentilles cornéennes en glace en l’espace de quelques minutes lorsque le mercure est au plus bas. C’est aussi le vent qui amène le temps froid et sec. Un ami me racontait récemment que sa grand-mère utilisait l’expression « être sèche comme le nordet » pour signifier qu’elle n’avait pas de jeu lors d’une partie de carte. On peut évidemment imaginer une foule d’autres applications à cette expression particulière (****) .
7- À Rivière-du-Loup, le vélo s’utilise dans un seul sens
À moins de vouloir se faire des mollets d’enfer, il peut être parfois hardi de faire du vélo à Rivière-du-Loup. Une personne ayant déjà tenté de monter la côte Saint-Pierre ou la côte Saint-André pourrait en témoigner : il y a un bon dénivelé. À part de donner une sacrée vue sur le fleuve, cette caractéristique a pour effet de créer une situation étrange où les stations de télévisions de la ville doivent posséder deux antennes afin de couvrir le territoire. Ça fait réfléchir…
8- Rivière-du-Loup, ville de rêves
Lorsque j’étais petit, il y avait à Rivière-du-Loup un parc d’attractions nommé le Château de rêves. Le parc était fait d’une sorte de réplique en toc du château de Disney, d’un mini-putt, d’une piste de go-kart légèrement inquiétante parce que les murs de pneus bancals donnaient directement sur l’eau, d’une baleine en fibre de verre sur le lac aux pédalos et d’une collection de voitures anciennes.
Le but était sans doute de faire de ce château un parc d’attractions qui attirerait les touristes. Le château a été laissé à l’abandon pendant un moment avant d’être remplacé par une exposition de Noël permanente. On voit toujours la baleine, échouée quelque part dans un terrain vague. Elle n’était pas faite pour durer. Comme beaucoup de choses à Rivière-du-Loup.
9- Raisin
Raisin a sans doute été pendant longtemps un des personnages les plus célèbres de Rivière-du-Loup. Seul sans abri de la ville, il était reconnu pour ses cheveux et sa barbe hirsutes de même que pour le mystère qui l’entourait. Peu de gens savaient quel était son véritable nom ni d’où il venait ; il ne souhaitait pas non plus réintégrer la vie sédentaire, même s’il passait l’essentiel de son temps dans le même périmètre. Après plusieurs années, il a fini par se trouver une place et par abandonner la vie de vagabond. Aux dernières nouvelles, il ne semble plus y avoir de sans abri à Rivière-du-Loup.
10- Le fleuve
Il serait difficile de parler de Rivière-du-Loup sans parler du fleuve. Une légende locale, qui se retrouve dans plusieurs documents touristiques, voudrait que le National Geographic ait nommé l’endroit comme ayant le deuxième plus beau coucher de soleil au monde. Personne n’a jamais réussi à retracer la source réelle de cet hommage.
Peu importe. C’est sacrément beau (certainement plus qu’à Riki). Avec les montagnes de Charlevoix derrière, le coucher de soleil vaut la peine, bien sûr, mais tout le reste aussi. Les locaux ont d’ailleurs développé cette étrange tradition d’aller faire le tour de la Pointe en voiture pour profiter du paysage (la Pointe est un parc près du fleuve, pas un restaurant de pizza).
Si l’automobile ne vous branche pas trop, il est toujours possible de poursuivre jusqu’à Notre-Dame-du-Portage. Là, il y a un rocher un peu plat, juste parfait pour s’installer en agréable compagnie (plutôt rousse, si possible, mais chacun ses préférences) et attendre soit qu’il fasse trop froid, soit que les moustiques finissent par sortir, soit que la marée entoure le rocher, mais attendre, ne rien faire, s’arrêter plus longtemps, calculer le temps en comptant les nuages et regarder ce qu’il y a de mieux à Rivière-du-Loup.
(*) Pour les Montréalais qui m’ont souvent demandé si je venais du coin de Trois-Rivières, il existe bel et bien une rivière du Loup en Mauricie, mais elle n’a rien de celle du bas du fleuve qui a ses rapides, sa chute de « cent pieds de haut », ses falaises qui la bordent et sa (légère) odeur d’usine de pâtes et papiers. Chose impressionnante, ladite chute et lesdites falaises sont situés à quelques pas de la rue principale dans un endroit prosaïquement nommé « le parc des Chutes » (il y a, en fait, plusieurs chutes de moindre importance en aval de la plus grande).
(**) À cette époque, le gouvernement fédéral avait décidé de faire arrêter le chemin de fer du Grand Tronc à Rivière-du-Loup et ça avait servi au développement (fulgurant) de la ville qui s’appelait encore Fraserville (du nom du seigneur en place, Lord Fraser). L’architecture de la ville garde d’ailleurs les traces de cette heureuse époque et plusieurs bâtiments ont été érigés à partir de l’arrivée du chemin de fer. Comme rien ne s’arrête longtemps à Rivière-du-Loup, quelques années plus tard, les gens de L’Intercolonial achetaient la Grand Trunk Railway et prolongeaient le chemin de fer jusqu’à Rimouski. On soupçonnerait une magouille de la part des Rimouskois (qui sont par nature assez fourbes, dit-on).
(***) La quantité de livres disponibles chez Turelis est assez difficile à concevoir pour le non-initié. C’est le genre d’endroit qu’il faut fréquenter si vous cherchez un certain livre sur l’histoire des soupières publié une seule fois en 1972 ou un roman steampunk imprimé en trois exemplaires écrit par Marie de l’Incarnation. Pour y avoir travaillé quelques années, je me souviens avoir croisé, par exemple, un manuel de recyclage des années 1980, un livret sur la programmation de 101 jeux en langage de code Basic, des photoromans mettant en scène le groupe les Baronets (avec René Angélil), une édition originale de Speak White de Michèle Lalonde… le tout dans un capharnaüm que seule Madame Dubé était en mesure de déchiffrer.
(****) Parlant d’expressions, les gens de Rivière-du-Loup utilisent un français qui se rapproche de celui de la région de Québec. On entendra donc « poteau » prononcé « pau-teau » au lieu de « pô-teau », « baleine » prononcé « baléne » au lieu de « balaène », etc. Certaines expression demeurent typiques, on entendra par exemple chez les plus vieux l’archaïsme « hâler » au lieu de « tirer » comme dans l’expression « hâle ‘a porte pis pése s’à clenche » (tire sur la porte et appuie sur la poignée).