.jpg)
On est jamais sûrs d’être au bon endroit à Otterburn Park : ville, parc, passage? Ce patelin montérégien (et oui, la région, ça existe à moins de 50 km de Montréal!) tient autant du village gaulois que de la bourgade anglaise et en plus, on est autant Canadian que Québécois au pays de la loutre.
1. Un parc avant tout
Avant d’obtenir le statut de municipalité en 1953, puis de ville en 1969, Otterburn Park a été comme son nom l’indique… un parc. À la fin du XIXe siècle, il aurait même déjà été le plus grand parc du Dominion du Canada! Les Montréalais nantis venaient y faire des piques-niques la fin de semaine. Un convoi de la compagnie ferroviaire du Grand Tronc partait de la gare Bonaventure pour y laisser une heure plus tard des passagers enthousiasmés. En plus de pique-niquer et de profiter de la rivière Richelieu, les plaisanciers s’adonnaient à la pêche, faisaient des tours de calèches, participaient à divers jeux de société et courses, et exerçaient leurs talents de danseurs, là où aujourd’hui il y a la halte routière. Que de doux plaisirs en ces temps révolus!
2. Otterburn quoi ?
La ville doit son nom à Joseph Hickson, né le 23 janvier 1830 à Otterburn, Northumberland, Angleterre. En 1885, il fut demandé à M. Hickson, alors directeur général du Grand Tronc, par les riches frères Campbell, propriétaires de nombreuses terres sur les berges du Richelieu, de construire un débarcadère à l’entrée du parc. Pour le remercier, les frères lui proposent de nommer le lieu Hickson Park. Patriote, M. Hickson a plutôt proposé le nom de son village natal : Otterburn Park. Malheureusement, outre le nom, il ne reste plus grand-chose de l’époque faste du grand parc qui forme aujourd’hui une zone de verdure qui divise Otterburn Park en deux.
3. Bilingue un jour, bilingue toujours
L’histoire a donné à Otterburn Park un statut de ville bilingue. Si la communauté anglophone est pour beaucoup dans le développement initial de la municipalité, plus jeune, je me demandais ce que ça voulait vraiment dire une ville bilingue. Certes, il y avait des anglophones, mais ça ne justifiait pas tout. Le statut bilingue conféré à Otterburn Park donne simplement à la ville la possibilité de faire traduire du français, donc de rendre disponible en anglais les documents municipaux. Les assemblées et autres bulletins sont cependant seulement en français. Sur un total de 8643 habitants, il ne reste aujourd’hui guère plus de 6 % des Otterburnois dont la langue maternelle est l’anglais.
4. Les enfants, c’est (souvent) con
Enfants à Otterburn Park, nous avions, nous les petits francophones, des ennemis naturels. Et oui, comme d’autres avant nous, on n’aimait pas (on savait surtout pas pourquoi!) les petits anglophones… On trouvait qu’ils avaient d’étranges manières, habitaient d’étranges maisons en bois de toutes les couleurs et jouaient à des jeux différents des nôtres, donc forcément étranges. Je pense qu’on avait besoin de rivaux identifiables comme tous les enfants, c’est tout. Dans les parcs, sur la rue, ou encore à la piscine ou à la patinoire, on se jetait de féroces regards et l’on se promettait d’ardentes batailles. Rien de tout ça ne s’est jamais produit, mais à l’époque on se sentait investis d’une mission qui nous dépassait et ça nous suffisait. Dans le fond, on était fiers de vivre ensemble.
5. Refaire le monde au pont Noir
À l’entrée d’Otterburn Park, là où les plaisanciers descendaient gaiement des wagons, se dresse le pont de Beloeil que nous, on appelle plus familièrement le pont des trains, ou mieux encore, pont Noir, suite à la catastrophe de 1864 qui a fait 99 morts, alors qu’un train transportant près de 500 immigrants entre Lévis et Montréal s’est engouffré dans la rivière Richelieu. Les dessous de ce pont ont été pour beaucoup de jeunes le lieu de tous les vices. On y allait pour fumer les cigarettes volées à nos parents, écrire J’AIME CAROLINE sur les pylônes de béton ou s’embrasser et plus si affinités dans les broussailles. Aussi, pour les plus aventureux, on sautait du pont l’été, je ne sais pas si c’était un rite de passage, mais en tout cas, c’était niaiseux.
6. Nightlife otterburnois
Malgré l’emprunt à l’anglais, la vie nocturne n’est pas, ou plutôt n’a jamais été une réalité à Otterburn Park. Quand les abords du pont des trains ont été clôturés, les jeunes se sont rabattus sur la halte routière pour faire ce qu’ils avaient à faire. Cependant, question rafraîchissements, les adultes, eux, sont démunis. Avant, il y avait Au p’tit canot, institution en abord du Chemin des Patriotes, où un véritable canot trônait au-dessus du bar. Malheureusement, le seul bar de la ville a fermé ses portes en 2008. La cause : le journaliste Daniel Renaud la révèle dans son article révélateur Perquisition «poudrée».
7. Les clubs : divertissement intemporel
Patrimoine oblige, Otterburn Park possède encore les traces de la tradition britannique des clubs. La ville en compte deux : le Otterburn Legion Memorial Curling Club et le Otterburn Boating Club. Le premier peut se vanter d’attirer presque tous les jours sur sa surface glacée un nombre important de joueurs parmi sa centaine de membres, et sait rallier les nostalgiques le vendredi soir pour sa ligue de dards. Le Club situé dans un bâtiment sans prétention à l’extérieur et intemporel à l’intérieur (boiseries type chalet suisse, photo d’Elisabeth II, monument aux vétérans, mobilier et bar d’une autre époque) est l’un des secrets les mieux gardés de la ville. Le Club de canotage est lui aussi un incontournable de la ville, et son magnifique bâtiment principal qui avait été construit en 1922, a été la proie des flammes en 2002, détruisant trophées, documents et photographies relatant l’histoire du Club. Relocalisé depuis dans le nouveau centre communautaire de Pointe-Valaine, le Club n’a rien perdu de son aura d’antan. Qui n’a jamais rêvé d’être un athlète de la rame?
8. Le meilleur restaurant de la ville… est à Mont-Saint-Hilaire
Si vous faites une recherche pour casser la croûte, les résultats qui s’afficheront sur votre écran ne seront pas à Otterburn Park… En fait, le meilleur (et le seul restaurant) de la ville, se trouve à Mont-Saint-Hilaire. Ironie du sort, le Casse-croûte du Pont noir, est à un jet de pierre des limites de la ville, tout juste de l’autre côté du fameux pont au destin funeste. D’ailleurs, les amateurs de frites (maison, s’il vous plaît!), hamburger et autres délices forts en calories, peuvent déguster leur repas tout s’informant sur Otterburn Park et Mont-Saint-Hilaire, le restaurant étant décoré d’anciennes photos et illustrations retraçant les débuts des deux villes limitrophes, la fondation du parc et la tragédie ferroviaire de 1864, un mur complet y est par ailleurs dédié. Sinon, les amateurs de chocolat se font plaisir à la Cabosse d’or, le commerce le plus connu d’Otterburn Park.
9. Centre-ville? Vous avez dit centre-ville?
À Otterburn Park, il n’y a pas de centre-ville. Oui, bien sûr ici et là, un dépanneur, une école, un garage, mais pas de centre-ville, de point central à proprement parler. Et de vieille ville ? de vieux bâtiments? Certes, Otterburn Park étant construit le long de la rivière Richelieu, les bâtiments les plus anciens ou représentatifs sont situés sur ses rives. Il y avait bien sûr le Club de canotage qui était également la salle d’assemblée, mais bon, nous on se demandait toujours comment la ville avait été pensée et qu’est-ce qui en était représentatif. Otterburn Park est surtout résidentielle; les villes autour, Mont-Saint-Hilaire, Beloeil, McMasterville offrent tous les services et commerces nécessaires. D’ailleurs, alors Otterburnoise, j’appelais cette ville le trou. Coincée, enchâssée, sans identité propre, pensais-je, cette ville était soit un passage obligé, soit un arrêt forcé. Je me trompais. C’est dans les détails invisibles aux néophytes qu’Otterburn Park est la plus surprenante.
10. Le Parc de la loutre brûlée
J’ai pas été toujours fière d’habiter Otterburn Park. Plusieurs d’entre nous prétendaient parfois venir de Mont-Saint-Hilaire, ou encore de Beloeil, ou même de Saint-Hyacinthe. Il y avait là plus de prestige et au moins, nos interlocuteurs situaient d’où l’on venait. Je pense qu’on faisait ça autant pour rester anonymes que pour cultiver l’ignorance des autres, mais surtout pour préserver notre ville. Il y a toujours eu une compétition latente entre Otterburn Park et Mont-Saint-Hilaire, et même, en 1999 s’est tenu un référendum pour fusionner les deux villes. Si une majorité d’Otterburnois a accepté la fusion, les Hilairemontais, eux, ont rejeté massivement ce mariage. Depuis, l’honneur et l’unicité de la ville étant saufs, nous sommes davantage fiers d’appartenir à la communauté d’Otterburn. Qui ne voudrait pas habiter au Parc de la loutre brûlée?
NDLR: Urbania mettant Otterburn Park à l’honneur cette semaine, nous offrons
10% de réduction sur les abonnements à tout résident de la ville!
Écrire à [email protected]
Otterburn Park en images
Photos noir et blanc: Collection SHBMSH, (Société d’histoire de Beloeil – Mont-Saint-Hilaire)