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«C’est au bout de la 138. Si tu pars de Montréal pis que tu roules vers l’est pendant 15 heures, le bout, c’est Natashquan.» Avant, je disais tout le temps ça. Disons que ça faisait son effet chez le citadin moyen. Pis ça, c’était seulement à partir de 1996! Avant ça, je pouvais même dire que chez nous, la route ne se rendait pas.
Mais c’est fini ce temps-là. Depuis peu, la route se rend maintenant jusqu’à Kégaska, le village voisin. Fini le mystère, tué l’exotisme. Quand on me demande d’où je viens, je dois trouver autre chose pour impressionner.
Pour voir Natashquan en images, c’est par ici!
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«Ça veut dire là où l’on chasse l’ours. »
Il y a deux Natashquan: la municipalité, constituée de quelque 250 individus de type caucasien, et la réserve, dotée d’une population montagnaise quatre fois plus importante. Séparés par un ruban d’asphalte de 5 km, les deux patelins s’unissent sous le même nom: Natashquan, ou en innu Nutashkuan, qui signifie «là où l’on chasse l’ours.»
Rassurez-vous. Exceptionnellement, il peut arriver qu’éprouvé par sa diète hivernale, un ours traîne ses pattes d’ours jusqu’à votre délicieuse poubelle. Par contre, il est assez rare de les voir ouvrir votre moustiquaire, entrer dans votre cuisine par la fenêtre, manger votre pain frais et repartir avec le beurre. Mais une fois, c’est arrivé. Chez mes parents.
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« Ma-ca-cain, comme dans macaque.»
Décidément, pas facile, le jargon nord-côtier! Pas facile non plus d’établir l’origine de ce terme désignant les habitants de Natashquan. Selon certains, «Macacain» serait un dérivé d’«Acadien», peuple à qui l’on doit notre descendance. Selon d’autres, comme mon père par exemple, il s’agit d’une toute autre histoire: le résident du presque-bout-de-la-138, au lieu d’utiliser le classique «lorsque», use de fantaisie et le remplace par «mé que», comme le montre l’exemple suivant: «Mé que j’aie fini mon explication, tu vas capoter.». Ainsi, l’habitant de Natashquan, celui qui dit «mé que», serait devenu le Macacain.
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«Brout brout!»
À Natashquan, l’Halloween ne suffit pas. C’est pourquoi nous avons choisi de perpétuer une vieille tradition française: la Mi-Carême. Comme son nom l’indique, le mini-carnaval d’une durée de 5 jours prend place en plein milieu du carême, soit vers la fin de l’hiver (aussi appelé «printemps» dans certaines régions sudistes). Destiné en grande partie aux adultes, il offre la chance à qui le veut d’enfiler un déguisement et de participer à une récolte de type alcoolisée dans les maisons du village, annonçant son arrivée dans chaque domicile d’un joyeux «Brout brout!». Attention: un bon passeux de Mi-Carême ne dévoile jamais son identité. C’est pourquoi il modifie sa voix et demeure masqué jusqu’à la dernière journée des festivités, durant laquelle a lieu le grand dévoilement.
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«L’eau est bouillante.»
À la plage de Natashquan, l’eau n’est ni chaude, ni bonne, ni baignable: elle est bouillante. Cette charmante hyperbole n’est toutefois pas complètement étrangère à la réalité. Il faut savoir que le Macacain vient au monde armé d’une forte prédisposition au récit, lui permettant de passer à travers de longs hivers plus ou moins animés. Son langage coloré lui permet aisément de conclure que si dans la baie protégée de Natashquan se jettent deux rivières tempérées, l’eau au rivage ne peut être autre que bouillante. Ce plan d’eau à la chaleur extrême fait depuis longtemps le bonheur des nombreux baigneurs et kite surfers de la région, qui finissent souvent leur journée de bouillons bouillants autour d’un joli feu de camp.
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«On fait tu un feu?»
Il faut savoir qu’à Natashquan, il n’y a ni arcade, ni cinéma, ni plancher de danse sur lequel renverser son gin tonic en riant trop fort. Le soir venu, le jeune Macacain en âge de se dégourdir se retrouve donc devant l’option de se promener en char ou de faire un feu aux Galets, deux activités se retrouvant souvent combinées dans une seule et même soirée. Ainsi, il n’est pas rare de voir un véhicule passer de l’aéroport au quai, puis du quai à l’aéroport, dans un mouvement circulaire finement maîtrisé pour finalement s’immobiliser sur la plage, au son de ce crépitement familier et des rythmes contemporains de la radio locale.
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«CKNA, le son FM des cantons d’en bas.»
Telle est la devise de l’antenne macacaine! Car oui, avant d’avoir eu sa route, Natashquan a d’abord eu sa propre chaîne de radio. Depuis 1983, le village se laisse bercer au son de voix familières le mettant au fait de l’horoscope, du téléhoraire, des souhaits du jour, du monde qui se cherche un lift et des heures de marée. Une programmation adaptée à la réalité nord-côtière qui, grâce à sa saveur locale assumée, finit rapidement par nous charmer.
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«Tout le monde se connaît.»
Vous l’aurez deviné, tous les 264 habitants de Natashquan se connaissent par leur prénom, parfois même par leur arbre généalogique. Ce qui favorise certains comportements, comme la manie de souligner les ressemblances avec la descendance. Tu rêves secrètement de t’émanciper et de construire une identité qui t’est propre? Ben non! T’es la fille à Rita pis tu y ressembles donc que ça a pas de bon sens que t’as donc grandi. Même chose pour les garçons, qui eux se voient plutôt rebaptisés en l’honneur de leur paternel. Tes parents t’ont amoureusement nommé Maxime? Ben oublie ça mon garçon, parce que ton père s’appelle Wilfrid pis qu’on va t’appeler Ti-Will jusqu’à la fin de tes jours. C’est la vie.
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«Les gars ont levé 10 000 livres.»
On ne parle pas ici de dumbbells, mais bien des fruits de la pêche commerciale. Cette dernière est au centre de la vie économique du village, employant bon nombre de travailleurs durant la saison et attirant plusieurs curieux à leur rentrée du large. La nature des pêches varie d’années en années, allant du pétoncle à la mactre de Stimpson, en passant inévitablement par le crabe des neiges. Malheureusement, c’est un mythe de penser que les tables macacaines débordent de fruits de mer le soir venu. Faute d’installations industrielles et commerciales, des camions réfrigérés partent directement du petit quai de Natashquan vers les poissonneries de villes plus éloignées, amenant avec eux le gros des prises de la journée.
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«On mange des coques.»
À Natashquan, on est des mangeux de coques. Vous savez, la coque, ce petit mollusque plus exactement appelé mye commune? On adore ça. Chaque année, c’est un rituel: lors de ce que l’on appelle les grandes marées, c’est-à-dire lorsque le niveau de l’eau est particulièrement bas, on sort nos bottes de Niouf (lire: bottes de Newfie (lire: bottes en caoutchouc)), notre pelle et notre sceau, et on s’en va aux coques. On les mange la plupart du temps à la casserole, un peu comme des moules, sans autre assaisonnement que le sel qu’elles contiennent.
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«Les gens se jettent en bas du pont.»
Malgré sa petite taille, Natashquan aussi a son pont signature. Ce dernier ne sépare pas la ville de la banlieue, mais scinde le village en deux: d’un côté, le quasi-entièreté des commerces du village, et de l’autre, le restaurant John Débardeur (prononcé John Débordeur) et le quai. Au «centre» de tout, notre fidèle point de repère: le pont de la petite rivière Natashquan. Que vous habitiez avant ou après le pont, si vous avez été jeune à Natashquan, vous vous êtes probablement lancés du haut de ses quelques mètres pour vous rafraîchir en ses eaux bouillantes. Il fallait s’assurer de bien compter le nombre de poteaux sur la rambarde afin de sauter au bon endroit et ainsi éviter de se fracasser les talons sur une roche, comme l’a déjà fait ma gardienne. Cette époque riche en émotions fortes est malheureusement révolue, le pont ayant récemment été reconstruit plus haut dans la rivière.
Bonus: chose que personne n’ait jamais dite en parlant de Natashquan.
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«J’avais oublié mes clés dans mon char.»
Personne n’a jamais oublié ses clés dans son char parce que personne n’a jamais barré les portes de son char. C’est aussi simple que ça. On a la serrure lousse, on ne s’inquiète pas avec ça. J’ai réellement commencé à utiliser une clé en arrivant à Montréal, il y a maintenant 10 ans. Et croyez-moi, j’ai la serrure beaucoup plus tight aujourd’hui.