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Mettre en valeur une ville en mille mots est tout un défi, surtout lorsqu’elle est située dans un pays qui fait généralement la une des médias sous les thématiques de violence, de pauvreté et de corruption. C’est un défi que j’ai voulu relever parce que Jacmel est belle, colorée, accueillante, artistique et paisible, et parce qu’Haïti a besoin de toute la publicité positive qu’elle mérite malgré les remous politiques actuels (certains diraient, habituels).
DÈYÈ MÒN, GEN MÒN (DERRIÈRE UNE MONTAGNE, IL Y A TOUJOURS D’AUTRES MONTAGNES)
La ville de Jacmel est située au bord de la mer, dans le sud-est du pays.
Pour s’y rendre de Port-au-Prince, il faut compter deux à trois heures de conduite sur une route goudronnée (en parfait état), qui sillonne les montagnes aux flancs tristement dégarnis par la déforestation et l’érosion. Ayiti, de son nom amérindien d’origine, signifie “terres montagneuses”.
Attention aux estomacs fragiles!
Si j’ai fait le chemin la toute première fois sans problème, trop enchantée par la vue pour m’inquiéter des ravins ou des camions surchargés conduisant à toute vitesse dans le sens inverse, les autres trajets ont été plus rock and roll. Merci Gravol Extra Fort!
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Sur la route de Port-au-Prince à Jacmel
JACMEL : PETITE VISITE GUIDÉE
De l’autre côté des montagnes s’étendent la baie de Jacmel et la ville du même nom, centre artisanal du pays et bijou architectural. Le centre-ville, qui se parcourt très bien à pied, offre un véritable voyage à travers le temps.
Sur le plan architectural, l’ancien se mêle au plus moderne. D’une part, des maisons d’inspiration coloniale aux balcons en fer forgé ou en bois travaillé ont été transformées en hôtels et en restaurants. D’autres établissements d’époque abritent aujourd’hui des ateliers et des boutiques-souvenirs où des artisans locaux exposent tableaux, bijoux, mais surtout animaux et masques en papier mâché qui font la réputation de la ville. Ces masques sont au centre du carnaval de Jacmel, qui a lieu chaque année au mois de février.
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L’hôtel Florita de Jacmel
À certains endroits, les rues sont pavées et de vieilles murailles de pierres avec de grandes portes métalliques ont été préservées.
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Puis, on tombe sur des murs récemment décorés de mosaïques en céramiques qui ajoutent une touche de couleur et de gaieté à la ville.
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VILLE DE DIVERTISSEMENTS
Le bord de mer a aussi été pavé de céramiques typiques de la région. Des petits bars servent alcool et nourriture sur le sable. Beaucoup de Jacméliens, jeunes et adultes, viennent se promener par là le soir et prendre une Prestige bien glacée avec des fritay (des mets frits). Les Haïtiens sont extrêmement fiers de leur bière Prestige, médaille d’or du concours World Beer Cup en 2010.
C’est aussi dans ces bars qu’on se réunit pour regarder le football (soccer), sport favori des Haïtiens. Durant la Coupe du Monde, le pays au complet est divisé entre les supporteurs de l’Argentine et ceux du Brésil – allez comprendre pourquoi! Ils sont nombreux, généralement des hommes, à se regrouper autour d’une toute petite télévision où l’image est si mauvaise qu’on reconnait à peine les joueurs, mais il suffit d’entendre hurler “GÔÔÔÔÔÔÔLLLLLL” par le commentateur haïtien et une musique tonitruante pour suivre le score.
… ET DE FARNIENTE
Les plages de Timouillage, Cabic, L’Amitié et Raymond-les-Bains sont à une vingtaine de minutes en voiture et sont des destinations idéales pour prendre le soleil, faire du surf, manger des langoustes.
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La plage de l’hôtel L’Amitié, près de Jacmel
Jacmel attire surtout des vacanciers haïtiens aisés, quelques touristes nord-américains ou européens, des travailleurs humanitaires, et des missionnaires américains portant des t-shirts “God Loves Haiti” venus reconstruire une école ou un centre de santé.
Avec un peu de chance, on peut croiser les membres du groupe Arcade Fire, qui ont tourné la vidéo de leur chanson Here Comes the Night Time à Jacmel.
MANGER LOCAL
Pour les amateurs de bonne bouffe, il ne manque pas de restaurants où se gaver de fruits de mer et de poissons pêchés du jour, de kabrit (chèvre) grillé ou en sauce, sans oublier un diri ak pwa (riz et fèves rouges) et des bananes pesées.
Au petit marché à aire ouverte, les fruits et les légumes frais se vendent pour presque rien : trois énormes avocats mûrs coûtent environ 100 gourdes, soit un peu moins de 2 $ US. Contraste frappant avec le supermarché du coin, fréquenté par les Haïtiens aisés et les étrangers, les seuls pouvant se permettre la boîte de Frosted Flakes à 550 gourdes (je vous laisse faire le calcul mental) et autres denrées importées.
L’ENVERS DE LA MÉDAILLE
Jacmel n’est pas qu’un lieu de divertissement : comme partout ailleurs dans le pays, la ville offre aussi un rappel de la dure réalité de ses habitants. Des maisonnettes, dont on devine sans peine la fragilité, construites avec un mélange de terre, de roches et de tôles; la sécheresse qui menace les récoltes; le chômage élevé parmi les jeunes.
Et pourtant, les Jacméliens conservent leur bonne humeur, leur bon humour et leur attachement à leur ville natale, que certains refusent de quitter plutôt que de migrer vers la capitale à la recherche incertaine d’un emploi. Au coucher du soleil, il est parfaitement normal de voir des adolescents, filles et garçons, regroupés autour du seul lampadaire de la rue, récitant leurs leçons à voix basse. C’est que l’électricité est un privilège, et les Haïtiens accordent beaucoup d’importance à l’éducation.
Dans les environs de Jacmel, les services publics sont encore moins présents. Certains villages sont retirés si haut dans les montagnes qu’avec l’effet de la brume, on se croirait presque dans les nuages.
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La Vallée-de-Jacmel, à 1h30 de route environ de la ville
On ne peut s’y rendre qu’en motocyclette ou en véhicule tout-terrain à travers des routes rocailleuses qui mettront votre vessie à rude épreuve. Et s’il a plu, mieux vaut porter des chaussures confortables, car les pierres glissantes et la boue menaceront de vous précipiter dans le fossé le plus proche.
Mais le voyage prend vite tout son sens.
La vue à n’en plus finir est époustouflante, l’air beaucoup plus frais que dans la ville; le paysage étonnamment vert pour un pays où la déforestation est un défi à la survie; et les gens vous accueillent chez eux chaleureusement, avec sourire et dignité.
Au final, c’est ça, Haïti : un pays dont le peuple continue de faire preuve de ténacité, malgré les cartes que la vie lui a distribuées.
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