Logo

La ville de la semaine: Greenfield Park

Toute ma vie j’ai été Champenoise sans le savoir, pensant que le dépanneur sur Churchill s’appelait comme ça pour pas de raison.

Par
Charlotte Nadeau
Publicité

Mieux vaut tard que jamais, j’ai appris qu’on appelle Champenois, traduction très, très libre de Greenfield Parker, les habitants de Greenfield Park. Et dans ma ville, malgré son nom, il n’y a ni vert, ni champ, ni parc ou vivre sa vie et rester en vie. Par contre, on a notre propre livre d’histoire en anglais.

1. La vieillarde et la jeune première
Je dois prévenir mon lectorat : fort possible que cet article ne représente pas l’ensemble des habitants de la ville. En effet, la rive nord du boulevard Taschereau, le Nouveau Greenfield Park, m’est plus ou moins connue. Moi j’ai grandi au chaud dans le sud dans un voisinage à géographie quadrilatère, alors que le Nouveau date des années 60 et est très moderne avec ses allées de maisons identiques, ses rues qui n’aboutissent pas (genre Massena) et son festival de bungalows beiges et beiges. Voilà qui est dit, un lectorat averti en vaut deux.

2. Rien ne sert de courir, on peut se stationner

À Greenfield Park, on aime ça les parkings et y’a de la place pour tout le monde. Vu le ratio parc/stationnement de la ville, on aurait pu s’appeler Greenfield Parking. On a des épluchettes de blé d’inde sur parking, des ventes de trottoir sur parking, des concours d’échec sur parking et plein d’autres projets sur parking. La St-Jean et la fête du Canada se célèbrent dans leurs parkings attitrés. Et, même si la ville et ses voisines proposent leur lot de crèmeries artisanales, c’est toujours le Dairy Queen qui a la cote avec son légendaire parking à vue imprenable sur le panorama Taschereau. Bu-co-lique. Quoi de mieux que de manger une molle à côté de ton char en respirant le vent du nord, la ville au nord immédiat étant St-Hubert? C’est sûrement là que se tenait Régine Chassagne quand elle a composé sa magnifique chanson sur Greenfield Park, Sprawls II. Elle le dit pas dans la toune, mais elle l’a dit à Osheaga 2010, c’est à Greenfield Park que se trouvent les « dead shopping malls » qui « rise like mountains beyond mountains ».

3. Les ang… quoi ?

Greenfield Park, c’est aussi les anglais, ces étranges créatures qu’on « comprend-rien-quand-ils-parlent-et-qui-soupent-tôt ». J’ignore à ce jour si une vraie rivalité existe, mais mettons que ça nous faisait plaisir de créer des alliances et inventer des conflits quand on était jeune. Geneviève et moi avons même fini une guerre anglo/franco avec des boules de pic-pics collées dans les cheveux et la peur d’avoir à nous raser le coco. Toutefois, notre guerre imaginaire a aidé au référendum de 1995 : on a compris que ça faisait chier les anglais qu’on veuille se séparer, donc on s’est mis à dessiner plein de pancartes pour le OUI et à les afficher dans le voisinage. On avait même une ennemie anglaise, une madame du genre pas de vie pour qui le plus grand plaisir était de scruter les jeunes sur la rue et leur confisquer chaque ballon qui touchait à sa précieuse pelouse pleine de pesticides, son « bébé », pour finalement appeler la police. Je l’ai connue dans mon temps, mes parents l’ont « spotté » depuis longtemps et les jeunes d’aujourd’hui la subissent encore, comme quoi elle n’a toujours pas de vie.

Publicité

4. La guerre des rives
Il existe une rivalité inter rives et c’est très sérieux. Si tu veux qu’on fasse des calculs, faudra que t’admettes que tous les cent’d’achats sont de notre bord et que notre partie de la ville est incomparablement mieux servie en transport en commun. Le nouveau Greenfield Park est comme la banlieue du vieux qui, lui – et j’ai des faits historiques pour le prouver si tu veux qu’on se batte – est la banlieue de St-Lambert, qui elle est une banlieue de Montréal. Le nouveau Greenfield Park est donc une banlieue de banlieue de banlieue. Heureusement, aucun chien n’est mort durant le conflit.

5. Welcome to the motel Greenfield Park
Le Greenfield Park actuel a été conçu à la veille de l’expo 67, c’est pourquoi on y a construit une panoplie de motels pour accueillir les touristes. Avec une économie presqu’entièrement basée sur les motels, Greenfield Park est comme devenue une capitale internationale de la sieste, et on observe une corrélation directe entre cette observation et la quantité de nightlife proposée. Il y a eu Chez l’Père Gédéon où les serveuses étaient sexy et le public moyen né avant 1948, avant même le nouveau Greenfield Park. En 2004, un article du devoir à ce sujet était coiffé d’un titre assez juste : Poutines, poitrines et strings. Les gars qui n’avaient pas peur de sortir de leur zone de confort, eux autres, allaient traverser la rue King Edward pour se rendre au Cabaret Doric à Lemoyne où, paraît-il, tu peux avoir une danse à 10 à 3$. Finalement, il y avait la brasserie Rustic sur Victoria, mais là il fallait sonner pour entrer et c’était gênant, ça faisait peur aux clients.

6. Potinage, quand tu nous tiens !

Malgré son aire d’à peine cinq kilomètres carrés, Greenfield Park est le berceau d’un grand nombre de vedettes. Côté sport, il y a Emilie Heymans, Torrey Mitchell et Frédéric St-Denis. Côté culture, notre municipalité est celle où les non moindres Kevin Parent, Julie Snyder, Lucie Laurier et Antony Kavanagh ont vu le jour, sans oublier Elisha Cuthbert, connue par nous autres au primaire pour ses mémorables rôles dans Fais-moi peur! et Super Mechanix, puis aujourd’hui pour sa carrière dans des productions telles que 24 et un incontournable du temps des fêtes, Love Actually.

Publicité

7. Drôles d’oiseaux
Un autre genre de vedette : les Énergumènes. À Greenfield Park, ils sont partout, tu peux les sentir à 100 mètres. Littéralement. J’ai travaillé dans un café où venait régulièrement un jack avec une odeur à lui vomir dessus. Il venait lire l’avenir de mes collègues qui n’en « revenaient donc pas! » et qui « devaient s’asseoir pour digérer ça! » et me laissaient fermer toute seule. Un jour, alors qu’il payait son café, il m’a annoncé que je n’étais pas stérile. Pas que ce soit une inquiétude que j’avais, mais ça reste bon à savoir. Il a dit à une de mes collègues qu’elle aurait des jumeaux : elle les a eus. Coïncidence? Puis, dans la ruelle derrière le même café, il y avait un gars qui se cachait dans le conteneur et hurlait quand on lui lançait les poubelles dessus. « C’EST MA MAISON TAB?&*%$!#». Il va sans dire que, lui non plus, ne sentait pas la lavande.

8. Prix assez citron
Comme on est pas pires que les autres, on a eu droit nous aussi à nos petites fiertés passagères. On a temporairement eu le plus gros cinéma au Québec et le Bowling Champion, en face du Dairy Queen, à côté de chez Gédéon, a longtemps été le plus grand bowling au Canada, oui monsieur! Il publie toujours son propre journal, « Abat les nouvelles ». Ensuite, selon l’historien Michel Pratt, il semble qu’on a eu le premier centre commercial digne de ce nom au Québec et le premier hôpital de la rive sud. On aurait aussi, toujours selon monsieur Pratt, parlant du boulevard Taschereau, probablement le record de la rue la plus laide en Amérique du nord. On a aussi eu de la grande visite à quelques reprises, entre autres quand Stephen Harper est venu distribuer des hot-dogs à l’aréna. Finalement, Le Gros Cave, (J-F Mercier) nous a offert une grande visibilité dans son émission éponyme en disant des aberrations comme lui seul est capable d’en concevoir au sujet des habitant de Greenfield Park.

Publicité

9. Le sport anti-sport
À l’âge d’or de ma ville, soit entre les années 1985 et 1997, on bloquait les rues autour de l’hôpital pour faire des courses en lit d’hôpital ou en chaise roulante, d’où le nom Ral-Lit. Le rallye était composé de 20 équipes de 30 à 50 compétiteurs (y compris ceux qui sont couchés sur le lit ou assis sur la chaise) et chaque coureur devait compléter un tour du circuit d’environ deux kilomètres pour ensuite passer le flambeau à un coéquipier alité et ainsi de suite pour dix tours (20 kilomètres), le tout pour ramasser des fonds pour la recherche et l’équipement médical de l’hôpital. Je n’ai jamais personnellement assisté au Ral-lit, mais ma tête est remplie d’images, dont celle des propos que le commentateur tenait sur la chose. En plus, c’était le bordel, parce que qui bloque les rues autour de l’hôpital bloque une partie du boulevard Taschereau, et qui bloque une partie du boulevard Taschereau bloque aussi une bonne part du trafic provenant de la sortie du pont Jacques-Cartier.

10. Fun et loisirs
Greenfield Park, c’est pas rien que ça. C’est le cul-de-sac où les enfants du quartier ont appris à faire du vélo en toute quiétude et les « sonne-décrisses » chez la vieille sorcière sur James E. Davis. Son terrain était une forêt vierge et sur sa porte étaient dessinés au crayon à l’encre une croix et des trucs en latin. C’est aussi le flânage à la forêt du Dollar et au défunt Petland, l’animalerie où tu pouvais flatter les animaux, même les serpents. Et quand le Guzzo a ouvert ses portes, c’était le paradis : un cinéma avec bowling, arcades, autos tamponneuses et carrousel. Le week-end, tu pouvais aller pêcher la truite au Super Mercado et, jadis, boire la slush la plus bleue et manger la frite la plus grasse chez Papa George. Très fun.

Publicité

Ça fait que si un jour t’as 48 heures à passer à Greenfield Park, tu vas sûrement jouer au bowling, aller au Guzzo et probablement y voir un film ou deux ou trois, visiter les pitounes, te faire crier dessus par JF Mercier, faire plusieurs siestes, croiser de drôles d’odeurs, visiter un hôpital, te perdre dans le labyrinthe qu’est le Nouveau et, finalement, parler anglais. Deux journées bien investies, quoi.

NDLR: Urbania mettant Greenfield Park à l’honneur cette semaine, nous offrons
10% de réduction sur les abonnements à tout résident de la ville!
Écrire à [email protected]