.jpg)
Des fois je dis que je viens de Sherbrooke. C’est plus simple. Des fois je dis que je viens d’un village à 20 minutes à l’est de Sherbrooke. Le village qui pue (puait) – à cause de la pulperie de Cascades. « Ah oui oui, je suis déjà passé par là ».
Le monde arrête pas souvent. Qu’est-ce qu’il y a à faire, là-bas? Bah t’sais, le fun est local (ski-doo, quilles, golf, whatev), le tourisme s’invente du patrimoine, tu peux toujours aller faire un tour en campagne (aka en dehors d’East Angus). Un village ouvrier comme un autre, peut-être, cette année centenaire, laisse-moi te parler de ça mon pit.
1. La prononciation
L’initiale population anglo (loyaliste) est presque complètement disséminée (probablement partie à Bury, village voisin, avec sa parade de la Confédération – on s’en fout), ce qui laisse deux choix quant à la prononciation francisée du nom de la place : Istingusse, ou son diminutif Inguèsse (mais pas juste Ingusse tout seul, dis pas ça jamais, personne va comprendre rien). Obtenant le statut de ville distincte le 14 mars 1912 (centenaire ben live – wout wout), East Angus tire en fait son nom de William Angus, un industriel écossais qui y a fait construire un moulin à scie et une papeterie en 1881. Désormais sous la bannière de Cascades, c’est l’industrie la plus importante de la ville, et celle qui lui a valu le titre de :
2. La ville qui pue (L’odeur)
Pendant longtemps, les étrangers riaient d’East Angus à cause de son odeur de vidanges caractéristique qui lui venait des cheminées de chez Cascades. Not anymore, les poussins. Révisez vos livres de tourisme régional, la section de l’usine qui puait (la pulperie), ne pue plus : elle est fucking fermée depuis l’automne 2011. Win! (Sauf pour l’économie locale). Tu ris de quoi, maintenant? Ben fais comme nous autres, ris du monde d’Ascot Corner (Asquette Corneu – village à l’ouest d’East Angus, dont l’approximative jeunesse allait au secondaire à Sherbrooke et dont on n’entendait pas souvent parler). L’usine de pâtes et papier a été le lieu d’une grève violente en ’68, ce qui est quand même vraiment fucking fou parce qu’East Angus c’est tranquille d’habitude (bon, y a déjà eu une balle perdue dans la cuisine d’un prof d’anglais pis une tentative d’empoisonnement dans un cours de science, mais, pour vrai, d’habitude, c’est relax). Depuis, l’usine est rendue quand même correct fine : pour se faire pardonner sa pollution, elle offre un service de lave-auto gratuit (l’eau est puisée ben drette de la rivière Saint-François, dans laquelle elle déversait ses déchets auparavant, mais quand même, ça dissimule la saleté causée par la boucane, et les plus téméraires font leurs téméraires en courant là-dedans en costume de bain) et a même fait creuser la piscine municipale – drette à côté des cheminées. Comme ça, les Angussiens et leurs petites Angussiennes peuvent se baigner en se rappelant que l’usine est fine, et l’usine essaie d’être fine en barouettant pas trop de boucane sur les Angussiens et leurs petites Angussiennes en costume de bain (des fois, y avait des pluies de suie, c’était wack).
3. Les vedettes qu’on a fait pousser
Deux d’entre elles ont quitté le village en très jeune âge, et, par conséquent, ne font pas vraiment partie de l’histoire de la place, mais c’est chez nous que sont nés le polémiste et amant de la langue québécoise (merci RBO) Pierre Bourgault (23 janvier 1934 – 16 juin 2003) et le musicien et compositeur Michel Robidoux (10 juillet 1943), qui a le combien solide CV d’avoir joué sur L’Ostidshow (c’est aussi lui le Robidoux de « 100 ans c’est long, han, Robidoux » dans Engagement de Charlebois), coécrit cinq pièces de l’album Jaune de Jean-Pierre Ferland (dont Le petit roi), arrangé deux sur l’album I’m Your Man de Leonard Cohen et aussi collaboré aux musiques de Passe-Partout (bon). Il était le fils de Fernand Robidoux (17 janvier 1920 – 20 septembre 1998), aussi natif d’East Angus, qui fut le premier interprète à enregistrer des chansons originales québécoises, et premier aussi à vendre plus de 50,000 disques au Québec au début des années 50 (alors que la province recensait probablement autant de tables-tournantes). Aussi, toujours résident, artistiquement impliqué dans la communauté, il y a Bertrand Gosselin (7 mai 1952), musicien surtout connu dans les années 70 grâce au duo folk Jim et Bertrand (le Jim, c’est Jim Corcoran). Pis c’est à l’hôtel Commercial de East Angus que Michel Louvain (natif de Thetford Mines) a donné son premier concert, en 1955 ou 1956, genre, man.
4. Ti-Gilles Laramée
Ti-Gilles Laramée, c’était le gentil fou du village. Il se promenait toute la journée d’un endroit public à un autre avec un radio pis un sac de cossins, parfois avec une feuille d’érable dans la bouche (qu’il utilisait aussi comme éventail à l’occasion). Il aimait regarder les revues porno au dépanneur, avait une mémoire phénoménale des filiations et pouvait te donner ta généalogie au complet si tu lui disais ton nom (pour autant que tu viennes d’East Angus, s’entend).
5. La polyvalente Louis-St-Laurent
Elle accueille les élèves de jusqu’à aussi loin que Weedon (et son festival des Dalton) vers l’est mais ceux d’Ascot Corner, tout près à l’ouest, doivent s’exiler à Sherbrooke pour des raisons qui m’ont toujours échappées parce qu’ils font pourtant partie de la MRC. Dernier arrêt académique pour plusieurs : on y compte environ 800 élèves, dont seulement 80 en secondaire 5, et environ 10% de ceux-là prennent le choix (audacieux!) d’aller au CÉGEP. S’y vend pas mal de pot qu’on fait pousser dans les campagnes environnantes (la réputation de Dudswell ne serait plus à faire à ce sujet au Québec) : ces forêts sont un peu surveillées par des motards en 4-roues pour pas que des jeunes fanfarons aillent farfouiller dans leurs plantations la fin de semaine (assez facile de se ramasser une once en un après-midi). De mon temps, la seule équipe sportive qu’on y trouvait en était une de handball – ouf. Par rapport au nom de la bâtisse : en 1972, au lieu de prendre une personnalité vraiment locale, le frère Réal Boisvenue a proposé qu’on honore l’ancien premier ministre canadien Louis S. St-Laurent – deuxième Franco-canadien à occuper ce poste, soit, mais né dans le comté voisin, à Compton. Pas rapport, Boisvenue.
6. Ville de hockey
Moi, j’en ai pas grand-chose à cirer, de ce sport-là. Mais East Angus (comme sûrement ben des places au Québec), c’est une ville de hockey : en 2006, elle a été l’une des 50 finalistes d’un concours organisé par CBC qui visait à trouver la meilleure ville de hockey au Canada (pour une place de 3500 habitants, quand même). Drette à côté de la polyvalente, l’aréna Robert-Fournier héberge les Sharks du Haut-Saint-François (et une équipe de crosse l’été désormais, les temps changent). Apparence aussi que le gars qui passe la zamboni a juste un bras, qu’il aurait perdu l’autre en se faisant passer dessus par ladite zamboni.
7. L’hôtel de ville qui a passé au feu
Le 27 janvier 2005 en début de soirée, le feu (d’origine électrique) a pogné au 2e de l’hôtel de ville pendant qu’un groupe se faisait communautaire au sous-sol – pas de blessé, mais tout l’intérieur était scrap; tout, incluant toutes les contraventions qui n’étaient pas encore archivées dans le système informatique, semble-t-il, ce qui a permis à certains de pouvoir recommencer à chauffer leurs chars malgré les amendes accumulées, parce qu’il y en avait plus, d’amendes. Le nouvel hôtel de ville s’est bâti sur les cendres de l’hôtel (tout court, comme dans « pour faire dodo »), passé au feu (d’origine probablement moins électrique) quelques années auparavant, juste à côté de l’église du village.
8. L’église St-Louis-de-France
Imposante fierté du village depuis 1920, l’une des rares néo-gothiques au Québec, célèbre pour ses combien beaux vitraux du chemin de croix et son clocher qui lui a valu une subvention de près de 500,000$ en vue de sa restauration; l’était pas trop reluisant, entre autres à cause de la boucane de l’usine – voilà qu’il l’est en capitaine, tout en cuivre shiné (voir photos). Mes parents, jadis responsables des cours de préparation au mariage, ont pogné une chicane avec le ratoureux de curé qui a fait mettre le diacre dehors (oui, cherche ce que ça veut dire, diacre), et ne fréquentent plus l’établissement depuis – mais ça reste une ben belle église.
9. La 7e calvette
Jamais su où étaient les six autres, mais la rumeur pubère disait que c’était à la 7e que ça se passait. Comme l’endroit était un peu en retrait du village, il recelait sa part de risque et de mystère. Sauts du haut de la calvette jusque dans le bassin le jour (danger de mort) et bamboche en soirée (capotes sur les galets). Au sortir d’une baignade diurne, j’y ai déjà croisé deux Mexicains essentiellement hispanophones en road trip à pieds. Qui passaient par East Angus. Qui m’ont offert de la mangue. C’était un peu surréel, yo (presque aussi inouï que la fois où j’étais juché au haut d’un rocher sur le bord d’une route en campagne avec mon voisin pis qu’un monsieur à poil, roux (à poils roux) qui promenait son chien est sorti des bois derrière nous pour nous dire de faire attention de pas tomber – monsieur qui serait mon prof de bio en secondaire III).
10. En conclusion (deux anecdotes vraiment random)
– Un jour, à la garderie Fafouin (c’t’un chat), je jouais au jeu – plutôt masculin, me direz-vous – des super héros avec une amie. On se promenait sur les barreaux de singe (comme tous bons super héros) pis elle a dit : «Nous autres on est des gars». Ok, que je me suis dit, je suis genre Batman pis elle Superman ou whatev. Elle a renchéri : «Nous autres on est des gars, on a des pénis». Brillant adage que j’utilise tout le temps depuis.
– Deux amies (de l’extérieur de la ville) se sont frenchées dans un party. Les gars capotaient, y en a un qui a argumenté : «Si vous le refaites, je vous donne du pot». En me disant «LOL» j’ai embrassé un gars à côté de moi pis ça en revanche c’était vraiment tapette, selon eux, du genre «VRAIMENT dégueulasse». Ça a fait jaser les commis d’épicerie pendant des mois.
NDLR: Urbania mettant East Angus à l’honneur cette semaine, nous offrons 10% de réduction sur les abonnements à tout résident de la ville! Écrire à [email protected]