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Magnifique village d’environ 2000 habitants, Cacouna mérite bien sa place dans l’association des plus beaux villages du Québec. Si son charme pittoresque ne fait aucun doute, il me semble qu’observer ce village du Bas-St-Laurent, de l’intérieur, du point de vue de ses contrastes et de ses côtés plus obscurs, peut s’avérer intéressant. Ce texte, qui ne se veut ni une exhaustive socioanalyse, ni un outil de promotion touristique, propose plutôt une perspective ambivalente d’une Cacounoise exilée depuis 11 ans.
Pour voir Cacouna en images, c’est par ici!
1. Ça sonne exotique!
Jadis, lorsque j’apprenais aux gens que je viens de Cacouna, on me répondait souvent : « Oulah! C’est exotique, ça! C’est où? » Quand je me rendais compte que la personne n’avait vraiment aucune idée d’où c’est, je leur disais souvent. « Cacouna, c’est une petite île francophone, près de Zanzibar, principalement connue pour son adage philosophique Kakouna matata, qui veut dire pas de problème. » Dit avec beaucoup de sérieux, vous seriez étonné du nombre de personnes qui ont cru à mon baratin. La vérité n’est pourtant pas moins exotique, puisque le nom de mon village natal tire son nom du mot malécite Kakonna, qui veut dire l’habitat du porc-épic.
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Maintenant, mon petit jeu ne fonctionne plus vraiment bien. Pas mal tout le monde connait de près ou de loin Cacouna. Dans le meilleur des cas, on me parle de crème glacée italienne aussi chère qu’excellente, ou d’architecture néo-gothique, dans le pire, on me parle de Mario Dumont ou de terminal méthanier/pétrolier.
2 Les Indiens
C’est à Cacouna que l’on retrouve la plus petite réserve autochtone du Canada, la Première Nation Malécite de Viger, avec son 0,17 hectare. Bien qu’il soit plus adéquat de parler d’autochtones, plusieurs villageois continuent de les appeler les Indiens. Malgré leur nombre très limité et le fait qu’ils ne résident pas sur la réserve de manière permanente, j’ai toujours trouvé que les Malécites apportaient une diversité essentielle à la population homogène du village. La réserve est idéalement située sur la pointe de la grève. On peut y admirer plusieurs tipis, le siège social du Peuple de la belle rivière, ainsi que magasiner de l’artisanat dans l’authentique et dernière maison malécite. J’y allais souvent quand j’étais adolescente, pour m’acheter des barrettes à cheveux en pénis d’ours, manger du ragoût de porc-épic, ou me faire raconter des histoires de fantômes d’arrières grands-mères. Une couple d’années plus tard, avec des amis, je suis allée dans un petit pow-wow. On a pas mal tripé!
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3 Amalgame de splendeur et de déréliction
Le rapport esthétique que l’on peut avoir à Cacouna dépend de la route empruntée pour s’y rendre. Sillonner la 132 Ouest, c’est en soi entrer dans un véritable musée architectural, où l’on voit se côtoyer l’héritage culturel et patrimonial légué par les grandes familles anglaises et canadiennes-françaises. C’est aussi comprendre pourquoi tous les villages du bord du fleuve revendiquent depuis des décennies le mythique titre de deuxième plus beau coucher de soleil au monde (après Hawaï!). Par contre, je ne sais pas si la gloire des Cacounois provient plus des beautés du fleuve que de la fierté de ne pas venir des Terres (par exemple de St-Louis-du-Ha!-Ha!). Néanmoins, on ne peut nier que Cacouna pourrait véritablement représenter une incarnation terrestre du paradis. C’est peut-être aussi la raison pour laquelle il y a autant d’ordres religieux au kilomètre carré : anglicans, catholiques, capucins.
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Entrer à Cacouna par la 132 Est peut aussi offrir son lot d’expériences hétéroclites pour l’amant des sorties hors des sentiers battus. À Rivières-des-Vases, tout près de la sublime pointe Moreau, se trouve le site d’enfouissement technique où plus de 50 municipalités jettent ses ordures. Une visite au dépotoir vaut le détour, que ce soit pour constater en direct les résultats de la surconsommation ou pour redonner une seconde vie à des objets gaspillés. À quelques kilomètres de là, la cour à scrap présente un panorama hautement prisé des pseudo petits bums. D’ailleurs, je ne crois pas qu’il puisse y avoir plus mémorable endroit pour fumer ses premières cigarettes que sur le banc d’un vieux char accidenté.
4 Les Anglais
Bien que l’achalandage touristique du début du 20e siècle ne fut que rarement en provenance directe d’Angleterre, à Cacouna, on parle des Anglais. C’est que Cacouna était une destination balnéaire de prestige et un haut lieu pour la bourgeoisie new-yorkaise des années folles, qui venait y passer les vacances estivales. Apparemment, il n’y a rien de mieux que des séances prolongées de bains de mer à l’air salin pour guérir ses petits bobos. Aujourd’hui, l’héritage culturel des Anglais se matérialise surtout visuellement, par la couleur qu’il donne au village. Littéralement, les couleurs des maisons d’origine anglaises apportent quelque chose de funky au village ; que l’on pense au Château vert de la famille Molson, au toit orange du manoir Ross, à la maison Dunningham rose-fuchsia (nouvellement blanche!) ou aux multiples tons de brun du golf. Les Anglais ont aussi tenté de perpétuer une tradition culinaire avec le Cacouna Cake, qui est un genre de brioche au lait caillé et raisins secs. Entre vous et moi, je suis bien contente que la coutume ait plutôt conservé les cretons maison de la famille Desbiens.
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5 Ti-Louis VS Raymond
Parler de Cacouna sans parler de Raymond ou de Ti-Louis serait un acte iconoclaste. Entre le porte-étendard et la mascotte, ses deux charmantes personnalités publiques distinguent incontestablement Cacouna de tous les autres villages. Féru de lois, on voit quotidiennement Ti-Louis se promener fièrement sur sa mobylette et faire des signes aux automobilistes pour qu’ils roulent moins vite dans le village. En plus d’être la police informelle de la place, il est aussi le brigadier scolaire des enfants de l’école primaire. Sa petite maison, juste à côté du musée des maisons miniatures, est le lieu où s’opère son side-line de vente de caps de roues et de sangsues.
Quant à lui, Raymond occupe davantage le territoire de l’ancienne paroisse fusionnée de Cacouna. Il n’est pas rare de le voir se promener à dos de vélo en direction d’un champ de beulvets (bleuets). Il vous fait oublier un instant votre envie folle de posséder une machine à voyager dans le temps, car lui jaser vous ramène directement dans un Cacouna rural de 1900. « El’bonhomme Dancausse, lui qui reste au Sû (Sud), din Terres. Ben y’é allé à pital (hôpital). Sa vessie avait pu d’retient ben. (Il était incontinent) » Vieil anarchiste sans le savoir, il parcourt les champs pour en cueillir les fruits dans le but d’en faire la vente à ses voisins. Futé, il s’immisce aussi sur le terrain de golf municipal pour ramasser les balles perdues et les revendre immanquablement aux personnes qui les ont perdues dans la journée. J’avoue avoir un faible pour ces deux spécimens, qui vivifient à leur manière une communauté que l’on voit tranquillement s’endormir.
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6 La Fille à Nicole
Une des particularités de tous les petits villages, c’est que tout le monde se connait. On dit que les nouvelles se propagent plus vite que la lumière. Le monde est tissé serré et on se rencontre forcément aux points névralgiques : l’épicerie, le dépanneur, le bureau de poste ou la caisse populaire. On aurait même tendance à penser que, contrairement à la vie en ville, l’anonymat dans un petit village est quasi impossible. Faux! Bizarrement, lorsque tu as une mère qui travaille à la caisse populaire depuis 40 ans, oui, l’anonymat est possible. Comme pour Madonna, Prince, Céline ou Jésus, un genre de fait de saillance s’est produit autour du nom de ma mère. C’est Nicole. Il peut bien y avoir 12 Nicole dans le village, il reste qu’il n’y a qu’une seule Nicole. Résultat : À Cacouna, mon nom importe peu, je suis la “Fille à Nicole”. Phénomène encore plus réel depuis que j’ai quitté le village, j’ai aussi découvert récemment qu’on pouvait en retirer des avantages, comme lorsque le restaurant est sur le point de fermer et que tu n’as pas encore soupé. “Vu que t’es la Fille à Nicole, je vais rester ouvert.”
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7 Village des Interdits
Peut-être n’est-ce qu’une impression, mais Cacouna semble se transformer doucement en panoptique à ciel ouvert. Un nombre étonnant de pancartes d’interdiction percent le village, limitant la liberté des individus au profit de la sécurité ou de la tranquillité. Interdit de passage, d’aller aux clams, de pêcher du quai, de faire du quatre-roues, de faire des feux, de prendre des photos, de posséder un slingshot. Il semble qu’au lieu de faire confiance à sa population ou de baliser raisonnablement les activités, on préfère interdire tout ce qu’il y a de plaisant à faire. Un peu plus on interdit le fun. J’exagère à peine ; l’article 25 du règlement sur la paix s’intitule : Défense de jouer. C’est sans compter mon interdiction préférée, celle qui interdit de faire du cheval sur la grève. Difficile d’être plus spécifique! À mon avis, ça sent le règlement de compte enfariné dans un processus législatif.
8 Fou de la grève : gardien de la tranquillité
Les Cacounois décrivent souvent le village comme un havre de paix, une belle petite place tranquille où il fait bon vivre. Ça explique sans doute pourquoi les résidences de personnes âgées poussent comme des champignons depuis quelques années. Avec ses kilomètres de grève, on ne peut imaginer meilleur endroit pour camper sa tente et faire un petit feu avec les morceaux de bois restitués par le fleuve. Mais comme vous vous en doutez, c’est interdit.
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Pour assurer le calme plat, ils peuvent se fier à un gardien de l’ombre, qu’on appelle affectueusement le Fou de la grève. On a l’impression qu’il appartient désormais à la légende, car ça fait longtemps qu’on en a entendu parler. Peut-être a-t-il pris une retraite bien méritée ou pratique-t-il le yoga, je ne sais pas. Une chose est certaine, c’est qu’il prenait sa mission à cœur : veiller à ce que personne ne circule sur la grève après la nuit tombée. Pour empêcher les odieux fautifs, il sortait brusquement des bois avec son allié, un 12 à pompe, qu’il n’hésitait pas à utiliser pour faire respecter la loi. Si vous êtes prêts à vous faire soulever de terre par la gorge ou encore à vous fouler une cheville en échappant au fou, la grève est définitivement un endroit rêvé où se balader en soirée.
9 Ave Mario
Certains se méprennent souvent à dire que Mario Dumont est un Louperivois. Or, rien n’est plus faux, Mario est un Cacounois. D’ailleurs, une tranche ahurissante de la population s’en enorgueillit et écoutent avec ferveur ses polémiques télévisées. Qu’on se le tienne pour dit, il n’est pas bien vu en ces lieux d’émettre des critiques à son égard. Les quelques inadaptés sociaux qui se le permettent sont irrémédiablement voués à l’exil. Pour ma part, je lui dois l’apprentissage du mot démagogie.
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Paradoxalement, c’est aussi lui qui m’a rendue sympathisante à la cause écologiste. En deuxième année du primaire (sa mère nous enseignait parfois), je me souviens qu’il était venu nous rencontrer en classe pour nous sensibiliser à l’importance de la protection de l’environnement. Tel un Steven Guilbeault, il nous avait fait sortir dehors et nous avait donné à chacun des petits chênes à planter dans nos cours pour contrer la déforestation. Décidément, les temps changent.
10 Gros Cacouna
Gros Cacouna, c’est le nom du port de mer. Si Gros Cacouna était la meilleure place pour aller necker avec la voiture parentale à 16 ans, c’était aussi un excellent endroit pour pêcher l’éperlan. Suffisait de s’assoir sur le quai, à côté des paquebots, avec ta tite-chaise pliante, tes sangsues (achetées préalablement à Ti-Louis), un plat de bourgots et tu étais en business pour une pêche miraculeuse. Dois-je mentionner que toutes ces activités sont dorénavant interdites? On voulait en faire un port méthanier, maintenant le projet vise plutôt la construction d’un oléoduc et d’un port pétrolier. Une chose est certaine, le village est divisé par les opinions mitigées sur le projet. D’un côté comme de l’autre, on sent beaucoup d’émotivité dans les discussions, ce qui jette de l’ombre sur l’idéal d’un débat rationnel. En attendant, une lecture rapide du Principe Responsabilité de Hans Jonas en début du prochain conseil municipal pourrait offrir un point de départ captivant pour une discussion plus éclairée. Ça éviterait peut-être d’entendre des phrases comme : « On s’en crisses-tu des bélugas, ils payent pas de taxes. » Cela étant dit, en tout amour pour Cacouna, je lui souhaite de ne pas troquer son essence pour de l’essence.
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