.png)
L’une des villes les plus belles et les plus fascinantes historiquement au Québec, qui est sur le bord d’être intronisée au patrimoine mondial de l’UNESCO (depuis environ 50 ans).
Voici dix raisons pour lesquelles ça devrait être déjà fait :
1- Une ville de stars.
Disons-le d’emblée, Arvida a beaucoup de talent. Wikipédia nous apprend que les personnalités suivantes y sont nées: le joueur des Red Wings Bill Dineen, qui a été échangé trois fois au cours de sa carrière contre Bob Bailey (ça ne s’invente pas); le scientifique Thomas J. Hudson qui a contribué à la cartographie du génome humain; le compositeur Gilles Tremblay qui a été à Paris l’élève d’Olivier Messiaen; l’écrivain Hervé Bouchard que j’ai rencontré en juillet dernier au Couche-Tard avec mon père qui ne savait même pas qu’il écrivait des livres mais se rappelait qu’il était un bon petit joueur de défense; la délicieuse actrice Julie LeBreton, qui a pas dû rester là bien longtemps parce que je m’en souviendrais. Il ne faut certes pas oublier l’immortelle Louise Latraverse, dont la père a engagé mon grand-père à l’Alcan (le monde est petit, han), de même que le nouveau directeur de l’exploitation du Canadien Kevin Gilmore. Des rumeurs persistantes font naître Kevin Costner à Arvida, mais je n’y crois pas trop. Quant au Stradivarius des acteurs québécois, Rémy Girard, il est né à Jonquière mais il aurait déjà eu une ronne de journal à Arvida, avant d’être reconnu à la hauteur de son talent pour ses rôles dans Les voisins et La Florida (« Envoye dans l’litte, maudite chanceuse! — meilleure réplique ever).
2- Une ville imaginaire
Arvida est la capitale de l’aluminium. Elle a été construite en 1926 sur des plans d’urbanistes américains mandatés par le président d’Alcoa ARthur VIning DAvis (qui lui donna son nom) et financés par le milliardaire Andrew Mellon (qui passait à l’époque pour l’homme le plus riche du monde). La ville a été construite au beau milieu de nulle part, en 135 jours selon la légende. Elle a été fusionnée à Jonquière en 1975 puis refusionnée à la superville de Saguenay en 2002. Techniquement, donc, la ville n’existe plus, mais vous ne trouverez pas aujourd’hui une seule Arvidienne ou un seul Arvidien pour dire qu’elle est une fille de Jonquière ou un gars de Saguenay. Arvida existe pour toujours, parce qu’on l’a inventée.
3- Une ville née de la guerre
Durant la Seconde guerre mondiale, plus du deux tiers de l’aluminium utilisé par les alliés pour construire les fuselages d’avions étaient produits à l’usine Alcan d’Arvida. C’est aussi pendant la guerre que le boss de l’Alcan, Robert E. Powell, a essayé avec l’aide de son ami C. D. Howe, le Ministre fédéral des Munitions et Approvisionnement, d’écraser un mouvement de protestation ouvrier en accusant les grévistes de haute trahison et de sabotage en temps de guerre. Ce sont les policiers de Jonquière et de Chicoutimi qui ont sauvé les ouvriers de la pendaison en prenant leur parti devant les autorités fédérales. On dit donc que c’est en 1941 qu’Arvida fut adoptée par le Saguenay. Jusque-là, tous les aspects de la vie de la ville, des écoles à l’hôpital en passant par la mairie, étaient gérés par l’Alcan.
4- Une ville cosmopolite
Pour la construction de l’usine et de la ville, dès 1924, Alcan recrute de nombreux manœuvres étrangers dont plusieurs resteront là. Dès 1930, la population arvidienne compte bon nombre de Suédois, de Norvégiens, de Finlandais, d’Italiens, d’Espagnols, de Tchécoslovaques, de Russes et de Roumains. Sans compter les Anglais, les Irlandais et les Écossais. Cet afflux a continué après la Seconde guerre mondiale. Comme la religion était, à l’époque, un facteur plus déterminant dans la constitution des ménages que la langue, beaucoup d’employés allophones et anglophones ont marié, au fil du temps, des belles jeunesses catholiques des environs et se sont assimilés aux gens du cru. C’est la raison pour laquelle on trouve aujourd’hui au Saguenay des Steve Blackburn et des Fred Sheehy qui ne parlent pas un traître mot d’anglais, et aussi des Pettersen qui ne seraient pas capable de pointer la Norvège sur une carte muette.
5- La brasserie d’Arvida
À Arvida, on prend une bière à la Brasseria d’Arvida. La bière, par défaut, est grosse, et on ne vous servira une petite sans vous juger que si vous fournissez pour cela une raison valable (genre : je suis pressé, il faut que je ramasse mes enfants à la garderie dans 5 minutes). Fait à noter : comme la Brasserie d’Arvida a les mêmes initiales que « bonne action », le sens de l’expression « faire sa B.A. » n’est pas le même à Arvida que dans le reste de l’univers. Dans les années de l’après-guerre, les ligues de tempérance étaient pas mal fortes à Arvida ce qui fait qu’on y attribuait plus de licence d’alcool complète : on avait le droit de servir de l’alcool aux clients seulement s’ils commandaient à manger. Selon la légende, à la B.A. et dans un bar de la rue Lasalle, on a contourné le problème en servant aux clients, à côté de leur bière, des sandwichs en bois sculpté.
6- Le manoir du Saguenay
Il y a un manoir à Arvida. D’abord appelé le Saguenay Inn, il a été construit en 1939 d’après les plans de l’architecte Fetherstonhaugh pour loger le personnel célibataire de l’Alcan. Ses murs de maçonnerie, son toit à deux versants et ses cheminées enveloppées dans des murs massifs ont été conçus pour évoquer un antique manoir breton ou normand. Dans les années cinquante, l’édifice devient un hôtel de luxe jusqu’à sa fermeture en 1985. Il est occupé aujourd’hui par des bureaux administratifs de l’Alcan, mais on peut admirer les jardins et descendre jusqu’au Saguenay par un petit sentier à l’arrière, à travers une belle forêt jamais bûchée ou presque (ce qui est rare sous ces latitudes).
7- Le pont d’aluminium
Le pont d’aluminium est un grand prodige du génie civil réalisé par W. L. Pugh et les ingénieurs de la division Aluminium Laboratories de l’Alcoa. À l’époque de sa construction (1949-1950) il est le premier pont en aluminium au monde et Maurice Duplessis, le Cheuf en personne, se déplace pour son inauguration. Le pont relie, au-dessus d’un bras de la rivière Saguenay, la vile Arvida à la centrale hydroélectrique Shipshaw II. Mon père dit tout le temps que c’est là que les hommes d’affaires en faillite et les grands dépressifs d’Arvida et des environs vont pour se suicider, mais comme bien des affaires que dit mon père, ça se pourrait que ça soit inventé.
8- Le chic cabaret J.R.
Pour les plus aventureux, il y a aussi le chic cabaret J.R., en dessous de l’ancien Provigo, où des effeuilleuses venues des quatre coins de la province œuvrent vaillamment 7 jours sur 7. Il y a un grand parking devant, sur le boulevard Mellon. Personne ne se stationne jamais directement devant le cabaret, même si, à deux heures du matin, on se doute bien que les propriétaires des autos ne sont pas chez H&R Block. Dans la file à la boucherie ou devant le guichet automatique, mon père aime beaucoup mettre son interlocuteur à l’aise, en disant pour que tout le monde entende : « Heille, j’ai vu ton char parké en avant du J.R. hier soir. » Un grand classique.
9- Le foyer des loisirs
Le foyer des loisirs est le grand complexe sportif d’Arvida, dans le quartier Sainte-Thérèse, sur la rue du Centre. On pouvait jadis y voir des combats de lutte, on peut toujours y jouer aux quilles, patiner et se baigner, et on peut désormais y suivre des cours de danse. Ils ont rebâti récemment un gazébo sur le parterre en avant et ils y font jouer des orchestres comme dans l’ancien temps. On s’y croirait. L’amphithéâtre fut l’hôte de plusieurs joutes légendaires, mais aucune davantage que l’affrontement Anciens Canadiens vs. Étoiles de la ligue commerciale d’Arvida. C’est cette fois-là que le gardien de but des Arvidiens arrêta un snap foudroyant de Henri « Le Pocket Rocket » Richard et renvoya la rondelle vers lui comme pour dire « Tiens, mon grand, essaye une autre affaire ». C’est aussi cette fois-là que le promoteur de l’événement, à court d’arguments pour justifier les actions de ses joueurs, a fini par dire à l’entraîneur des Canadiens, Maurice « Le Rocket » Richard, de manger de la m… On s’en rappelle encore.
10- L’église Sainte-Thérèse
Témoin de l’héritage culturel bigarré d’Arvida, l’Église Sainte-Thérèse-de-l’Enfant-Jésus est l’une des seules églises catholiques au monde à être construite en brique rouge, un matériau traditionnellement réservé aux lieux de culte protestants. On raconte qu’elle a été érigée entre 1927 et 1928 par les ouvriers francophones de l’Alcan, selon les plans de l’architecte Alfred Lamontagne, en 135 jours (tout se construit en 135 jours à Arvida). De chaque côté de la nef, seize vitraux de Guido Ninchéri illustrent la vie de Thérèse Martin. De mauvaises langues murmurent qu’en 1987, l’écrivain Samuel Archibald y aurait interprété le rôle de l’archange Gabriel lors de la crèche vivante de Noël. Aveuglé par son auréole en papier d’aluminium qui lui était tombée devant les yeux, il aurait scandé l’Annonce à Marie tourné vers l’âne et le bœuf, ce qui avait fait énormément rire sa grand-mère, blasphème à part. Rien de tout cela n’a pu être prouvé.