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Avant d’aller plus loin, soyons d’une transparence totale : le reportage m’a été inspiré par The Gazette, qui a consacré récemment un article complet sur le sujet. Mais bon, comme les lecteurs d’URBANIA ne comprennent pas l’anglais, mon reportage est théoriquement exclusif.
Donc.
EXCLUSIF – Une cinquantaine de résidents vivent présentement dans un parc de maisons mobiles au cœur de l’arrondissement Saint-Laurent, sorte de mirage vintage au cœur d’un quartier industriel et à l’ombre de deux autoroutes.
Je suis allé y faire un tour cette semaine.
« Parc de maisons mobiles, lot : 1 à 56 », peut-on lire assez subtilement sur une pancarte à l’entrée d’une route étroite menant à un cul-de-sac, flanquée de deux rangées de maisons mobiles.
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Un parc, en ville.
La sensation est bizarre. Je viens à peine de quitter l’autoroute 40, imité par d’immenses camions qui se sont ensuite éparpillés en direction des nombreuses entreprises du secteur, et pourtant, j’ai l’impression de débarquer en campagne.
Au bout de la route, des poids lourds s’activent autour d’un dépôt de neige qui atteint déjà une hauteur de catégorie « tu ne sortiras pas indemne d’une descente en crazy carpet ».
Avant de stationner ma rutilante Matrix sur le chemin désert et partir à la découverte de ce joyau immobilier de l’après-guerre, j’ai quand même fait mes devoirs (comprendre ici « lu plusieurs fois le reportage de The Gazette »).
Selon « mes recherches », il faut remonter presque cent ans en arrière pour aller aux sources de ce projet de maisons mobiles. À l’époque, le terrain appartenait (et appartient toujours d’ailleurs) à une famille qui gérait alors une ferme de légumes.
Un potentiel acheteur ne pourrait pas exproprier les gens, raser le terrain et s’ouvrir un restaurant Scores ou une tour à condos (c’est une zone industrielle après tout).
Selon la légende, le patriarche de cette famille – un homme intègre – aurait tenté maintes fois de faire approuver des projets domiciliaires un peu partout en Ville, sans succès. L’administration municipale corrompue de l’époque mettait apparemment des bâtons dans les roues dans ses projets de développement.
Comme quoi les temps ont vraiment changé.
Le monsieur, découragé, aurait alors accepté d’accueillir une première maison mobile sur son terrain, puis une autre, jusqu’à la création de ce parc locatif improvisé. L’endroit est en vente depuis plusieurs décennies, mais personne ne semble prêt à allonger les quelques millions nécessaires pour en faire l’acquisition.
Le hic, c’est qu’un potentiel acheteur ne pourrait pas exproprier les gens, raser le terrain et s’ouvrir un restaurant Scores ou une tour à condos (c’est une zone industrielle après tout). Les résidents, qui paient des loyers pour leur terrain (300-350$ par mois), ont des droits et devront être relocalisés et dédommagés. Les critères d’éviction sont encore plus sévères pour les résidents âgés de plus de 70 ans, qui sont nombreux.
Résultat : le parc de maisons mobiles profite de ce statut unique dans le paysage pour traverser le temps sans se faire déranger.
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Oui, c’est à Montréal.
« Ouin pis »
Ça explique en tout cas pourquoi personne n’a sauté de joie en voyant débarquer un journaliste émouvant de candeur (moi), croyant être venu faire un feel good story relaxe.
J’ai senti que je ne n’étais pas le bienvenu dès que je suis allé à la rencontre d’une dame âgée en train d’aller chercher son courrier à la boîte aux lettres.
«Bonjour madame, j’ai entendu parler de cet endroit récemment en lisant un article de la Gazette!»
-« Ouin pis », m’a répondu la résidente, avant de me fausser compagnie avec sa circulaire.
Côté bruit, ça va. Bizarrement le gazouillis des oiseaux l’emporte sur le vrombissement sourd de l’autoroute, située à un jet de pierre. Des avions volent assez bas dans ce secteur de la Ville, mais beaucoup plus loin que je pensais. Je pense que je les entends plus à Rosemont même.
Je m’approche d’un trio qui discute sur le balcon d’une maison mobile. Je me présente, une des résidentes se braque.
«Honnêtement, je n’aime pas trop parler de cet endroit à des journalistes. La seule chose qu’on aime, c’est que ce soit tranquille», m’explique-t-elle poliment, mais sèchement.
À l’heure où le prix moyen des propriétés montréalaise oscille autour de 500 000$ (j’ai volé l’info dans Ze Gazette), on peut ici mettre la main sur une des maisons mobiles pour environ cinq fois moins.
Elle ajoute avoir investi toutes ses économies dans l’achat de sa maison et vit dans la peur de se faire exproprier. Et des reportages sur le parc risquent justement d’attirer d’éventuels acheteurs ou, pire, des voleurs, plaide-t-elle. « S’il vend, moi je suis dans la rue et c’est pour ça que je ne veux pas en parler », renchérit-elle.
Fair enough. Je la rassure en lui disant que les seules personnes qui lisent URBANIA sont des émeutiers de l’UQAM, qui vivent en commune près d’une épicerie en vrac.
Parlant d’argent, j’ai oublié de mentionner LA raison qui explique pourquoi les résidents conservent aussi jalousement leur spot. En même temps, vous n’avez pas besoin d’un dessin je pense.
À l’heure où le prix moyen des propriétés montréalaise oscille autour de 500 000$ (j’ai volé l’info dans Ze Gazette), on peut ici mettre la main sur une des maisons mobiles pour environ cinq fois moins.
C’est assurément le meilleur deal en Ville pour un toit avec deux chambres, une salle de bain, une cuisine, un salon et DEUX espaces de stationnement (psst psst, une des unités est justement à vendre).
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À l’abri de l’embourgeoisement. Mais pour combien de temps?
Le village Gaulois
Et on est loin du taudis à en juger par les quelques maisons que j’ai pu visiter. À commencer par celle de Marc, achetée il y a deux ans seulement. Ce «patenteux» s’est isolé une jolie devanture avec une clôture. Ses décorations de Noël sont encore là, mais on lui pardonne puisqu’il rentrait la veille de Cuba avec sa blonde. Les valises sont encore dans l’entrée, lorsqu’il m’accueille en me faisant promettre de ne pas photographier l’intérieur.
Décidément.
L’endroit est spacieux, pour une maison mobile. « La plus grosse de la rue », souligne Marc, qui a payé la sienne 120 000$.
« Ici c’est comme un village Gaulois avec des Romains partout autour », résume Marc.
Trois chambres, trois balcons, un salon avec une murale formidable de paysage forestier, un aquarium et un foyer même, avec des bûches déjà dedans. « Je ne l’ai encore jamais utilisé », précise celui qui aime la chaleur, mais qui ne semble pas vouloir en faire.
Une des chambres a été convertie en atelier. « Une de mes filles (il en a 4) vient chaque semaine après le cégep. Elle dort ici avec son chien », me raconte-t-il en pointant un lit à deux étages dans la pièce du fond.
Il adore la maison, qu’il a découverte en prenant des marches durant ses pauses alors qu’il travaillait pour la compagnie derrière, aujourd’hui relocalisée à l’étranger. « Ici c’est comme un village Gaulois avec des Romains partout autour », résume Marc.
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Jean-Marie à l’oeuvre. Absent sur la photo : moi, le perdant.
Jouer à Tetris avec Jean-Marie
De l’autre côté de la « rue », Jean-Marie aussi se montre d’abord réticent à me parler. Mais quinze minutes plus tard, nous voilà en train de jouer à Tetris dans sa cuisine sur son Super NES. «3-4 reportages peuvent nous nuire. On a la paix ici et on veut continuer à l’avoir», bougonne l’homme de 68 ans, redoutant comme ses voisins que le terrain soit vendu. « Ils ne peuvent (les propriétaires) pas nous expulser de même non plus, parce qu’ils devront nous relocaliser et ça coûte cher des maisons à Saint-Laurent », nuance-t-il, prêt à partir si on lui donne 120 000$.
Un profit honorable pour cet homme qui a payé sa résidence 29 000$ il y a 33 ans, pour y vivre avec sa femme et son fils. « Je roulais sur la 13 quand j’ai vu le parc immobilier par hasard. Au début, je faisais du ski de fond sur ces terrains-là autour», raconte ce gaillard à la poigne d’acier, en pointant les compagnies voisines du menton.
«Ils ne peuvent (les propriétaires) pas nous expulser de même non plus, parce qu’ils devront nous relocaliser et ça coûte cher des maisons à Saint-Laurent.»
La famille de son fils habite à deux maisons de chez lui, séparées par le doyen de la place. Sa petite-fille de quelques mois est, quant à elle la plus jeune résidente du parc et un des rares enfants. « Il y a 30 ans, il y avait une vingtaine d’enfants, tout le monde se parlait et se connaissait. C’est encore pareil, mais tout le monde est plus vieux», explique Jean-Marie, qui m’invite à entrer chez lui pour une visite du proprio. Sa femme n’est pas là. On découvre à l’intérieur deux chambres, dont une sert de débarras. En plus du salon, il y a une télévision dans la cuisine, où Jean-Marie joue quotidiennement depuis 15 ans à Tetris avec sa femme après le souper. « Elle est meilleure que moi », concède-t-il.
Je m’improvise champion de Tetris et Jean-Marie relève le défi, en me tendant un Coke diète.
Je mange une volée, Jean-Marie est déçu de l’absence de challenge.
On se quitte quand même en bons termes.
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Chat flou.
Avant de quitter, je photographie un chat à travers la fenêtre d’une autre maison en me disant que ça sera une bonne photo. J’avais tort, c’est ordinaire sur un moyen temps.
Un gars en pick-up viril me voit faire et s’immobilise à ma hauteur. «Qu’est-ce que tu fais icitte toé?»
C’est le temps de partir je pense. Je leur souhaite de vivre en paix, loin des journalistes.
En tournant le coin, j’ai quitté la quiétude campagnarde du site pour rejoindre les gros camions sur l’autoroute 40 perpétuellement congestionnée.