La vie en Rau_Ze

– Non, on n’est pas un couple.

– Peux-tu l’écrire en lettres majuscules dans ton article, s’il te plaît?

Rose Perron et Félix Paul sont un peu maganés. La veille, les membres du duo Rau_Ze remportaient le tout premier Félix décerné à l’album R&B/Soul de l’année au Premier Gala de l’ADISQ, également leur toute première statuette en carrière. Une maudite bonne raison d’arriver lendemain de veille à une entrevue.

Et lors du gala de l’ADISQ de dimanche, Rose et Félix seront en lice dans deux autres catégories : chanson de l’année et révélation de l’année. Et ça, c’est en plus d’offrir une prestation avec les autres finalistes de la seconde catégorie.

« J’ai jamais eu la fibre académique, mais là, j’ai vraiment l’impression de graduer. C’est l’fun », raconte Rose Perron, les yeux brillants.

Rau_Ze ont commencé à faire parler d’eux à la suite de leur victoire aux Francouvertes en 2022, alors qu’ils n’étaient même pas encore un groupe au moment de s’inscrire, quelques mois auparavant.

Avec une maquette comprenant seulement dix minutes de matériel à soumettre aux organisateurs de la compétition, le tandem d’étudiants en musique du Cégep Saint-Laurent était déjà rodé depuis un certain temps. Comme plusieurs jeunes de leur âge, ils interprétaient des reprises, mais n’avaient ni chansons originales ni même un nom.

C’est dans ce bel élan de spontanéité que Rose et Félix ont joué leurs trois premiers spectacles dans le cadre de la compétition des Francouvertes, pour ultimement triompher sur la scène du Club Soda au printemps. Leur récompense? Une prestation d’une heure aux Francofolies, un mois plus tard. Pas le temps de célébrer, Félix s’est immédiatement mis à la composition de 35 minutes de musique qui n’existaient pas encore.

« Y a pas eu de déclic en tant que tel. Ç’a été une série de déclics qui se sont produits dès le moment où on a mis le pied sur scène », affirme Félix Paul.

Rapidement, le groupe part en tournée et cumule, à leurs dires, environ une centaine de spectacles aux quatre coins du Québec à raison d’environ un par semaine et s’apprêtent à fouler pour la première fois la scène de la prestigieuse salle Wilfrid-Pelletier. Mais à quoi attribuent-ils ce succès? « Quand je rencontre des gens non-binaires ou queer qui me disent connecter avec ma musique, ça me touche énormément. Notre musique ne s’adresse pas qu’à eux, mais c’est super gratifiant de sentir qu’on représente quelque chose », avoue Rose.

Inspirée notamment par Les Louanges, Hubert Lenoir, Ariane Roy, Ariane Moffat, Erykah Badu et D’Angelo, l’offre musicale de Rau_Ze s’inscrit dans une mouvance qui élargit les codes de la musique québécoise et ils en sont bien fiers. C’est nouveau, mais c’est aussi rassembleur.

« Il y a des trippeux de jazz, des trippeux de prog, des gens avec les cheveux blancs. C’est ouvert et accessible », me dit Félix.

Avec exactement 32 346 auditeurs mensuels sur Spotify et bientôt 8500 abonnés sur Instagram, Rau_Ze compte déjà une audience plus large que des artistes qui roulent leur bosse depuis longtemps. « Quand les gens vont sur nos réseaux, ils voient qu’on n’est pas un produit. On fait notre contenu nous-mêmes et ça reflète qui on est vraiment », ajoute Rose.

Si le duo passe à travers les étapes et les accomplissements à vitesse grand V, ça ne veut pas nécessairement dire qu’ils n’ont pas vécu d’adversité.

À pareille date, l’an dernier, pendant l’enregistrement de leur album Virer nos vies, Félix a subitement perdu l’ouïe de l’oreille gauche. Puis, celle de l’oreille droite, ce qui a mis un frein à leur lancée. « Pendant un mois, j’ai pas travaillé. Tout ce que je faisais, c’était aller prendre des marches avec des bouchons dans les oreilles et pleurer », raconte ce dernier.

Avec beaucoup de patience et l’aide d’un ORL, Félix a pu retrouver la majorité de son ouïe, mais il demeure avec des séquelles. Il souffre d’acouphènes dans les deux oreilles et doit maintenant se protéger chaque fois qu’il est exposé à de hauts volumes sonores, au risque que son ouïe ne se dégrade de façon irréversible.

Bien qu’ils ne roulent pas sur l’or, Rose et Félix sont extrêmement reconnaissants de pouvoir gagner leur vie avec leur art. Depuis leur victoire aux Francouvertes, ils prennent un plaisir fou à se produire en spectacle et adaptent même leur approche à leur auditoire. « C’est plus rock que sur l’album. On expérimente avec des sonorités dubstep et nü metal, même », explique Félix qui ne voit pas de limites à l’identité que peut développer son groupe.

Pour le moment, Rose et Félix vivent donc de spectacles et d’eau fraîche (et occasionnellement de shots de tequila) et ils s’en portent bien. Le mode de vie qui vient avec le métier de musicien ne leur est cependant pas toujours naturel. « C’est toujours le party et je comprends pourquoi. Quand les gens viennent nous voir, c’est une sortie et c’est normal qu’ils veuillent boire et s’amuser. C’est une bonne chose que Félix et moi étions déjà sensibilisés aux enjeux de consommation, parce que ça peut vite devenir une pente glissante », raconte la jeune chanteuse.

Félix abonde dans le même sens. Originaires de Chambly et de Varennes respectivement, Rose et lui se sont rencontrés à l’école et ont bénéficié de quelques années pour apprivoiser le milieu avant de l’intégrer. « Si on était tombés dans cette dynamique en arrivant en ville à 17 ans, notre histoire aurait peut-être été différente. »

Le jeune duo franchit peut-être les étapes à toute allure, mais ils sont conscients que la route est longue et criblée de pièges parfois subtils. Malgré leur récente consécration, Rau_Ze garde le cap vers l’horizon. Le but n’est pas de gagner la course, mais de continuer à courir.

« Pour moi, le vrai plaisir de mon métier, c’est d’être sur scène », conclut Rose.

Rose Perron et Félix Paul ne sont pas en couple, mais les deux jeunes musiciens sont solidement unis par leur dévouement à Rau_Ze. Les prix, la reconnaissance, l’amour et tout le reste, ça arrive tout seul quand on fait les choses pour les bonnes raisons.