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La vie des gens riches et… inconnus

Gagner à la 6/49, «Ça ne change pas le monde, c’est les autres qui changent autour».

Par
Hugo Meunier
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« On nous a fait passer pour une famille qui en arrache au bout. On est considéré à faibles revenus, mais on n’a jamais eu de misère à payer nos affaires », confie Rita Lesage, flanquée de son conjoint Shawn Marchand, devant le dépanneur Laval situé dans le Vieux-Hull, à Gatineau.

Depuis le 30 septembre, leur ménage a toutefois perdu l’étiquette à « faible revenu », après avoir remporté il y a un mois 833 333 ,33$ au Lotto 6/49, en compagnie de cinq autres chanceux qui ont tous récolté le même pactole dans un gros lot totalisant cinq millions de dollars.

Quand j’ai sollicité une entrevue au couple gagnant, Shawn m’a fait savoir qu’il acceptait à condition de rectifier le tir au sujet de leur précarité.

« Gagnante d’un gros lot au 6/49, une mère de sept enfants n’aura plus à ramasser les canettes vides », titrait d’ailleurs un média, ce qui a grandement déplu au couple.

«Les canettes c’est pour s’offrir des vacances, je peux me ramasser 3-4 000$ par année et on fait de maudits beaux voyages.»

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« Je reste à la maison et je fais des impôts. Les canettes c’est pour s’offrir des vacances, je peux me ramasser 3-4 000$ par année et on fait de maudits beaux voyages. L’an dernier on est allés à Halifax! », raconte cette mère de sept enfants, dont la vie vient de prendre un virage à 180 degrés.

Le couple qui s’apprête à déménager au Nouveau-Brunswick dans quelques jours n’avait évidemment pas prévu cette manne tombée du ciel.

Comme Rita et Shawn changeaient de province, ils n’avaient pas prévu renouveler leurs cartes d’assurances-maladie expirées, obligatoires pour mettre la main sur leur gain.

Résultat: le couple faisait le pied de grue chaque matin près de la boîte aux lettres en attendant leurs cartes, pour ensuite régler les formalités bureaucratiques d’usage avant de toucher leur magot. « L’argent devrait être transféré aujourd’hui ou demain. On a demandé deux chèques, un pour chacun », souligne Rita, âgée de 45 ans.

En attendant le déménagement, le couple habite avec leurs cinq enfants dans un logement à prix modique situé à un jet de pierre du dépanneur, où ils m’ont donné rendez-vous.

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En raison de la pandémie, les enfants ( âgés entre 2 et 14 ans) sont scolarisés à la maison. Rita a aussi deux enfants plus vieux, qui n’habitent plus sous son toit. « On a essayé l’école virtuelle, mais ça prenait une raison médicale. On a donc opté pour l’école à la maison conditionnellement à l’envoi d’un programme d’enseignement », explique Rita, qui gère l’école avec l’aide de son chum. « Le restaurant où je travaille à Ottawa est fermé, alors je donne un coup de main, surtout en anglais », explique ce cuisinier d’origine acadienne, qui a grandi sur une base militaire en Nouvelle-Écosse.

Le couple devant le logement qu’il quittera sous peu

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Au risque de sonner comme une vieille pub des années 80, j’ai voulu savoir si ça change le monde de gagner une aussi grosse somme d’argent.

«Des inconnus me demandent de leur acheter un camion, de payer leurs factures, leur loyer, de donner à des bonnes oeuvres. Un monsieur bloqué en Afrique à cause de la COVID m’a demandé de le ramener en avion.»

Leur réponse avait quelque chose de déstabilisant. « Ça ne change pas le monde, c’est les autres qui changent autour », constate Rita, qui confie se faire solliciter sans arrêt depuis que leur photo est apparue dans les médias. « Des inconnus me demandent de leur acheter un camion, de payer leurs factures, leur loyer, de donner à des bonnes oeuvres. Un monsieur bloqué en Afrique à cause de la COVID m’a demandé de le ramener en avion », énumère Rita, qui reçoit des dizaines de messages via Facebook chaque jour. « J’en ai eu 150 en une seule journée. Je reçois des nouvelles d’ « amis » à qui je n’ai pas parlé depuis 20 ans », soupire Rita, qui ne compte qu’une soeur parmi ses proches. « On n’a pas gagné 50 millions non plus! », peste-t-elle.

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Shawn trouve d’ailleurs le phénomène sexiste, puisqu’il n’est pour sa part presque jamais sollicité pour de l’argent, sauf par quelques courtiers désirant suggérer de « bons placements ». « Comme si les gens se disaient qu’ils ont plus de chances d’en recevoir en passant par elle », déplore Shawn, qui n’a pas l’intention de virer fou avec cette rentrée d’argent imprévue. « On achète la maison d’une tante au Nouveau-Brunswick et le reste restera comme coussin à la banque », explique-t-il.

S’il manque à première vue un peu de la magie habituelle dans ce genre d’histoire, Rita et Shawn cultivent quand même un rêve: celui de se faire construire un château.

Oui oui, un vrai château au Nouveau-Brunswick.

Et pas n’importe comment! « On a acheté une terre de 8 acres à Petit-Chockpish et on va bâtir le château avec des shipping containers, du bois cordé pour la façade et des tours », explique Shawn, fébrile juste d’en parler.

Sans partir en peur, il ajoute caresser un autre important fantasme, si tout va bien. « Il y a un terrain de 16 acres derrière le nôtre et on aimerait l’acheter pour ouvrir un camping », explique l’homme qui aura 44 ans dans quelques jours et n’a pas l’intention de prendre sa retraite. « On a même pensé démarrer une entreprise de recyclage pour Rita appeler “Ritacyclage” et une compagnie de déneigement pour moi baptisée “ Snowmoshawn” », lance-t-il en riant.

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L’entrevue s’étire. Rita s’éloigne un peu pour appeler chez elle afin de s’assurer que la marmaille est en vie.

Au fait, j’ai oublié de raconter comment ça s’est passé quand ils ont su qu’ils gagnaient le presque million.

J’imagine que tout le monde veut savoir ça, right? La base.

« Le gars a regardé le billet, nous a regardé, a regardé le billet, puis m’a tendu ses clés en disant: barre la porte », raconte Shawn.

En gros, Rita achète religieusement des billets de 6/49 depuis l’âge de 18 ans, comme sa mère avant elle et sa grand-mère avant elle. C’est Shawn qui est allé au dépanneur (où il se rend presque chaque jour d’ailleurs) pour chercher le numéro gagnant. « J’ai pris des cigarettes, du lait, du jus et le billet de groupe avec cinq autres personnes inconnues », raconte Shawn.

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Comme il dort mal, il a vérifié le billet à 3h du matin la nuit même. « On a gagné! », a-t-il crié en sortant une calculatrice pour diviser cinq millions en six.

Un peu avant 6h du matin, le couple faisait les cent pas devant le dépanneur en attendant l’ouverture. « Le gars a regardé le billet, nous a regardé, a regardé le billet, puis m’a tendu ses clés en disant: barre la porte », raconte Shawn, qui a croisé deux autres gagnants, une mère et son fils habitant un appartement voisin. « Ils semblent un peu plus confortables financièrement. Ils étaient mieux habillés que nous en tout cas! »

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«Tu travailles fort, tu récoltes!»

Le dépanneur Laval a empoché 50 000$ comme commission, soit l’équivalent de 1 % du gros lot. Une récompense bien méritée souligne pince-sans-rire le propriétaire M. Tedy. « Je suis ici depuis 14 ans. Je travaille très fort et quand tu travailles fort, tu récoltes, c’est normal! », lance le sympathique gaillard, pendant que Gigi passe les clients à la chaîne derrière sa caisse. « C’était déjà achalandé ici, mais oui on voit plusieurs nouveaux visages depuis trois semaines », admet Gigi, qui a grandi dans le quartier.

Elle ajoute qu’un gratteux gagnant de 77 000$ et un billet de loto de 10 000$ ont aussi déjà été remportés ici. Un dépanneur chanceux? « Ou une fille magique! », rétorque du tac au tac Gigi en tournoyant sur elle-même.

«J’ai donné de l’argent à ma fille et mon garçon, le reste me servira de coussin pour ma retraite», résume Johnny.

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Un client entre. M.Tedy s’exclame aussitôt. « Tiens, un autre millionnaire! », rugit le propriétaire à la vue de Johnny, un des six gagnants du récent gros lot et un client régulier du dépanneur. « C’est Gigi qui m’a appelé pour me dire que j’avais gagné, pendant que je fumais une cigarette tranquille dans le garage », explique Johnny, 65 ans, un surintendant d’édifice qui a décidé de devancer sa retraite prévue dans deux ans. « J’ai donné de l’argent à ma fille et mon garçon, le reste me servira de coussin pour ma retraite », résume Johnny, venu s’acheter une caisse de bières et….six nouveaux billets de loterie.

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Johnny a beau avoir gagné, il achète encore des billets de loto

Je raccompagne Rita et Shawn à leur appartement situé au fond du stationnement, à proximité d’un parc. Des couvreurs s’activent sur le toit du complexe locatif. La tête d’une de leur fille apparait puis disparait aussitôt derrière le rideau. Les garçons de 14 et 9 ans sortent et demandent la permission d’aller faire du skate.

Pis les jeunes, votre vie a changé? « Pas tant », répond le plus vieux.

« C’était quand même bizarre pour eux les premiers jours, leurs amis leur disaient: hey les riches! », raconte Rita.

On se quitte. Shawn et Rita m’invitent à aller les voir si je passe par le Nouveau-Brunswick.

Ça ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd, ne serait-ce que pour me vanter d’avoir des amis presque millionnaires.