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La vie des autres

Par
Véronique Grenier
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La vie des autres. On n’en sait souvent pas grand-chose. Un peu plus, peut-être, depuis les réseaux sociaux. Mais encore. Ils sont des vitrines dans lesquelles on choisit bien ce qu’on veut exposer. Dans lesquelles on stage sa vie, aussi. C’est un peu ça le fun de la chose, qu’on puisse au moins, momentanément, stager ça, la vie. L’offrir belle et bien placée aux yeux de ceux et celles qui s’adonneraient à la regarder.

Se donner la semi-illusion qu’on peut avoir du contrôle dessus, qu’elle ne nous échappe pas complètement.

Qu’on peut remiser le laitte, se le garder juste pour soi. Trésor qui shine pas. Des fois je me dis qu’on est les premiers pour qui on le fait. Pas pour se bullshiter, juste pour prendre un break. On se défile le profil en se tenant les lèvres par en haut parce que c’tait beau, c’tait bon, c’tait plaisant ce qui s’y trouve. On se le rappelle à grands coups de pouce.

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Mais on sait jamais vraiment. La vie des autres. Tout ce qu’ils nous cachent, ne nous offrent pas. On se fait des idées, on a des avis, on se permet même parfois et souvent de savoir ce qui serait bon pour eux. Ce qu’ils devraient faire. Ou n’auraient pas dû faire. Pis là. Parce que des brèches, ça se fait dans les conversations de plus de deux minutes, t’apprends des choses sur un autre qui a décidé de s’ouvrir. T’apprends le laitte. Et il est vaste le registre du laitte que l’humain peut vivre. T’apprends l’anxiété, la solitude, le rejet, la vie de famille de marde, des agressions, des abandons, des séparations, des amours qui torturent, des coups, des maladies, en veux-tu en v’là.

Ça déboule. Ça te tombe dessus.

Y’a pas un post qui peut autant t’amener proche d’un humain qui te confie toute sa petite vie. Qui le fait en te regardant dans les yeux ou en regardant juste à côté de toi parce que c’est déjà assez de le nommer faudrait pas en plus le faire en soutenant de quoi. Ça m’arrive souvent d’être le récipient de la vie des autres. À chaque fois, je me dis que je devrais demander plus souvent aux gens comment ils vont. Leur être attentive. Dire à ma bitch intérieure de fermer sa yeule quand elle a un avis sur autrui. Parce que je sais.

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Pourquoi des gens boivent, ont le regard triste, ne parlent à personne, se défoncent dans le travail, se défoncent tout court, pleurent, sourient faux, vivent faux.

La vie des autres est souvent insupportable.

Ça n’excuse rien, ça ne justifie rien. Mais ça explique. Mais ça nous le rappelle. Ça nous remet dans la face ce que la vie au bout des pouces nous fait oublier. On souffre. Souvent. En silence. On ne sait plus où crier. On ne sait même plus si on a le droit de le faire. On devient sévère avec soi, avec autrui. On se replie. J’trouve ça triste. Parce que.

On l’a toute notre boulet qu’on traîne et qui nous ralentit le pas, notre petit paquet de marde dans le fond de la poche du manteau.

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On fait avec. On devrait pas se gêner de le montrer. On devrait y faire une place sur une étagère dans la vitrine de notre monde. Pas obligé d’être sous le spotlight, mais proche de la veilleuse, mettons. Comme ça, on pourrait en prendre soin. Enfin. Y’aurait peut-être même d’autres gens qui viendraient le voir pis qu’y lui amèneraient une décoration ou qui y ferait juste un tapote gentil.

La vie des autres, j’te dis. La tienne. La mienne. Celle dans nos lits, tard le soir. Quand on pleure un peu en boule. Quand on serre des dents ou de tout le corps. C’est pas des likes qu’il lui faut ou des émoticônes. Non. C’est juste de se laisser voir. Sans un mot. De se laisser prendre.

Qu’elle puisse se choir.

***

Pour lire un autre texte de Véronique Grenier : “Le respire”

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