Avant même qu’elle n’ait eu le temps de répondre aux questions de Guy A. Lepage sur le plateau de Tout le monde en parle, elle s’est adressée directement à la caméra, le souffle court et la voix chevrotante, à son ami Billy, qui souffre de schizophrénie et est présentement incarcéré. Elle s’appelle Lawrence Côté-Collins et traversait alors un des pires moments de sa vie en direct devant tout le Québec.
« Tu peux pas rater la chance de faire Tout le monde en parle », raconte la réalisatrice du documentaire Billy et co-autrice du livre Billy à vie avec le principal intéressé. « Même si t’es en burn out et que t’enchaînes les attaques de panique depuis des mois, tu y vas quand même. »
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Non, Lawrence Côté-Collins n’allait pas bien du tout, le 17 novembre dernier. Après le décès de sa mère en 2019, la réalisatrice s’est plongée dans le travail pour fuir son deuil : Occupation double, Un souper presque parfait, un autre long métrage et Billy – un projet dépassant largement les confins de la création artistique —, le tout lui dictant un rythme de vie infernal.
Si Tout le monde en parle n’était pas la proverbiale goutte qui a fait déborder le vase, elle était une goutte qui s’ajoutait à un vase qui débordait déjà abondamment. L’entrevue a été un point de bascule, mais c’était difficile depuis un bon moment déjà.
« On s’était entendus pour que je contextualise ce qui allait se passer au public avant qu’elle ne s’adresse à Billy, mais c’est du direct, et elle était nerveuse. Ça arrive », se rappelle Guy A. Lepage, qui garde un souvenir moins tranchant de l’entrevue. « Oui, c’était un peu plus difficile au début, mais elle a mené son entrevue à bon port. »
Six mois plus tard, à l’aube de la sortie de son documentaire en salles, Lawrence Côté-Collins est prête à revenir sur les événements.
« Accepter d’être vulnérable à ce point, ça te traverse. Ça m’a fait mal à toute mon âme d’accepter d’être fragile et ordinaire comme ça devant le Québec, mais comment j’aurais même pu être autrement? », se questionne encore notre hôtesse, flanquée de Coco, son chihuahua du troisième âge.
Ce que vous n’avez pas vu à la télévision
La relation qui unit Lawrence Côté-Collins et Billy Poulin est considérablement plus complexe que ce qu’une entrevue de quinze minutes peut laisser entrevoir. Mais dans son film, la réalisatrice parvient à l’expliquer : il s’agit du parcours de guérison mutuelle de deux personnes aux prises avec un problème de dépendance, vecteur d’une amitié profonde et rédemptrice.
Ce soir-là, il y avait beaucoup plus qu’une simple entrevue promotionnelle en jeu. C’était des années de travail qui risquaient d’être mises à mal.
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« J’avais fait trois attaques de panique pendant la journée. J’ai dû prendre deux douches glacées juste pour être capable de sortir de chez moi. Je hurlais. J’avais la chienne de ma vie », admet-elle.
Lawrence est encore fragile lorsqu’elle parle de Billy, de Tout le monde en parle et de comment sa vie personnelle et professionnelle se sont enchevêtrées jusqu’à un point de rupture, l’automne dernier. À plusieurs reprises, pendant notre conversation, elle retient ses larmes. Elle appelle ça « faire de l’incontinence émotionnelle ».
En 2015, Billy Poulin a été condamné à la prison à vie sans possibilité de libération avant 11 ans. Les deux homicides auxquels il a plaidé coupable s’inscrivaient dans une spirale de violence qui n’a pas épargné Lawrence non plus. Dans son film, elle en fait la mention afin de contextualiser sa démarche, une décision de dernière minute en réponse à l’incompréhension et l’hostilité à laquelle le projet se heurtait.
Peu de temps après sa condamnation, Billy était diagnostiqué schizophrène et il s’écoulera une autre précieuse année avant qu’on ne trouve une médication apte à le stabiliser et plusieurs autres avant qu’il ne comprenne et accepte la nature de ses actes. Ce travail, il a pu l’accomplir avec l’aide de Lawrence, qui s’est pour sa part sentie responsable de son bien-être lors de son passage sur le plateau de Tout le monde en parle.
« Billy savait que j’allais lui parler à la caméra. Sa sœur Audrey était descendue de Matane cette fin de semaine là pour passer le plus de temps possible avec lui. On était constamment en contact téléphonique. On s’était fait un plan », explique Lawrence.
Sauf que les choses ne se sont pas passées comme prévu. Affaiblie par la fatigue et le stress, Lawrence est apparue fragile à la télévision. Plusieurs se sont inquiétés pour sa santé, et Billy, lui, a mal réagi.
« Quand je suis passée à la télé, il m’a vue fendre en deux. Il pensait que j’avais attrapé sa schizophrénie et que tout le monde savait qu’il n’avait pas été fin avec moi », précise Lawrence.
Il est entré en crise. Billy n’est plus violent depuis plusieurs années grâce à la médication, mais il a quand même refermé la porte de sa cellule et ses symptômes ont pris le dessus. Quand la relationniste de presse de Lawrence lui a annoncé que Billy n’avait pas appelé sa sœur Audrey pour lui dire qu’il était correct, la réalisatrice est entrée en crise à son tour. « J’ai explosé. Je me sentais comme un déchet. J’avais honte. J’ai perdu la carte. J’ai demandé à ce qu’on me ramène à ma cellule au lieu de ma loge », se souvient la réalisatrice.
Même s’il est coutume que les invités sortent tous prendre un verre ensemble après l’émission, Lawrence Côté-Collins est immédiatement rentrée seule en taxi. Elle a affronté le reste de cette lourde soirée seule avec Coco.
« Je me suis réfugiée dans ma chambre et j’ai mangé du Kraft Dinner dans mon lit. J’ai pas fermé l’œil de la nuit. J’ai appelé une ligne d’aide 24h vers 3, 4h du matin parce que je ne savais pas comment j’allais survivre à ça. J’avais besoin d’aide pour m’ancrer dans la réalité et respirer. »
Et si vous pensiez que le monde de Lawrence avait fini de s’écrouler, détrompez-vous.
Pendant la nuit, elle s’est mise à entendre des cloches.
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Ce qui s’est passé après
Selon le site de la Société québécoise de la schizophrénie, ce que Lawrence a vécu ressemble à un trouble psychotique bref. Ça arrive et ça dure environ une journée avant de faire un retour complet au mode de fonctionnement précédent, et ce n’est pas un signe précurseur de troubles psychiatriques plus grave.
« Ce que j’entendais, c’était la sonnerie Messenger. Des fois, ça accélérait et des fois, ça ralentissait. J’avais l’impression que ça rebondissait sur les murs, à un moment donné. Je savais plus quoi faire. »
Le lendemain, à l’ouverture des téléphones de la prison, Billy, encore en crise, l’appelle. « Billy peut dire des choses plates quand il est en crise, mais c’est la maladie qui parle. C’est perceptible, parce qu’il change de voix. Là, il m’a dit : “T’as tout raté. On pourra plus jamais se parler. Tout le monde sait que t’as attrapé ma schizophrénie.” »
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En pyjama, encore maquillée et coiffée de la veille, Lawrence avait besoin de se rendre auprès de son ami. Encore trop bouleversée pour conduire, des amis lui ont fait un lift jusqu’à l’établissement. « Les gardiens faisaient des blagues. Ils me demandaient si j’étais aussi stressée de venir voir Billy que je l’avais été de rencontrer Guy A. Lepage. »
La réalisatrice m’explique que le contact physique est une méthode efficace pour faire revenir Billy à la réalité. Il suffit souvent de le prendre par la main. Cette journée-là, Billy et Lawrence se sont serrés dans leurs bras pendant 90 minutes. « On est redescendus ensemble », précise-t-elle.
Les cloches ont cessé et elle ne les a plus entendues depuis.
Pour Lawrence, ce moment marquait le début d’une longue reconstruction encore inachevée. La semaine suivant son apparition à Tout le monde en parle, elle a donné deux autres entrevues à la suite desquelles elle a fondu en larmes. C’est alors qu’elle a compris qu’elle n’avait plus la force de remplir ses obligations.
Elle n’a pas encore recommencé à travailler.
« Pour vrai, j’étais brisée. Je ne faisais que manger, pleurer et dormir. L’équipe m’a arrêtée parce que je ne fonctionnais plus », raconte Lawrence.
La clé de sa rémission? Le sommeil, selon elle.
Après avoir fermé les livres, Lawrence n’a pas répondu à un seul courriel pendant plus d’un mois. Elle n’a pas célébré le temps des Fêtes. À la place, elle s’est reposée. Sa batterie était à terre et elle estime qu’aujourd’hui, elle doit être rechargée à environ 65, 70 % de ses capacités.
« C’est quelqu’un de très courageux d’avoir pris la défense de quelqu’un comme Billy sur une plateforme publique. Je sais pas si j’aurais eu un tel courage », raconte Guy A. Lepage.
Revenir d’un épisode de noirceur, c’est long.
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La suite pour Lawrence et Billy
« Billy va mieux que jamais, aujourd’hui. Il est devenu un expert de lui-même. Il connaît toutes les terminologies associées à sa condition. Il a beaucoup progressé. »
La fin heureuse de cette histoire, c’est que le pari de Lawrence Côté-Collins a fonctionné. Elle en a payé le prix fort, mais son travail est non seulement parvenu à rétablir entre Billy et son passé, mais en a aussi créé d’autres avec des gens émus par son histoire. Lawrence affirme recevoir chaque semaine des messages de gens qui, à la suite de la lecture de son livre, ont repris contact avec des membres de leur famille atteints de schizophrénie.
« On dit que ça prend un village pour prendre soin de quelqu’un, et maintenant que les gens comprennent que Billy était malade, ils reviennent auprès de lui. Il reçoit beaucoup de feedback positif. Il sent les regards changer », explique Lawrence.
Mais si le ciel s’éclaircit pour Billy, son avenir demeure tout de même limité par sa sentence de prison à vie. Son amie aimerait beaucoup le voir en maison de transition avec des soins adaptés lorsqu’il sera prêt, mais ses conditions de remise en liberté le verront confiné à un périmètre donné et obligé de rencontrer un agent de liberté conditionnelle jusqu’à la fin de ses jours.
Lawrence Côté-Collins n’a jamais eu la prétention de tout régler pour Billy, mais plutôt d’équiper la population avec les outils pour comprendre une situation comme la sienne afin d’éviter des glissades similaires jusqu’à la violence meurtrière, qui a coûté la vie à deux personnes et en a hypothéqué tant d’autres.
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« Je ne regrette pas d’avoir fait tout ça », affirme-t-elle au sujet du processus de sept ans qui se terminera lorsque le film sera lancé en salles, le 23 mai prochain. « Ça m’a permis de guérir et de devenir radicalement moi-même. Le milieu des arts, c’est une game. Il faut séduire le public pour qu’il vienne voir tes films, mais je ne veux plus faire de compromis. Je ne veux plus faire semblant que je vais bien si je ne vais pas bien. »
Malgré les situations extrêmes, Lawrence Côté-Collins n’a pas perdu le nord. Elle a fait ça pour aider Billy, contextualiser son crime et aider le public à comprendre sa propre tragédie. Sinon, le soleil revient aussi dans la vie de la réalisatrice. Elle a quelques projets à l’horizon (dont un déménagement en campagne) et a hâte de retrouver son ami en dehors des confins du travail.
« Le sens de la vie, je le trouve fragile. Aider Billy, ça m’a donné envie de vivre et de continuer d’être sobre. J’ai pas eu le choix d’apprendre à m’aimer et à m’aider moi-même pour pouvoir l’accompagner. On est devenus des amis avec un grand A », conclut-elle.
Oui, la vie change, après Tout le monde en parle. « Il y a des gens qui se font parler de leur passage à l’émission pendant des années, mais c’est impossible de prédire qu’est-ce qui va résonner avec le public, et surtout, comment ça va résonner », convient Guy A. Lepage.
Le soir de l’émission, la vie de Lawrence Côté-Collins s’est assombrie. C’était le signal d’alarme dont la réalisatrice avait tant besoin pour réaliser qu’il était temps pour elle de prendre une pause. « Pour vraiment aider quelqu’un, ça prend beaucoup de temps et de bienveillance. »
Elle l’a fait pour Billy pendant plusieurs années et compte bien continuer de le faire. Mais aujourd’hui, le temps et la bienveillance, elle se les offre aussi à elle-même.