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La vie après « La Coche Pète sa Coche »
C’est la semaine des encombrants dans l’ouest de Sherbrooke, où les meubles démantelés et les carcasses de sommiers maquillent de pittoresque le paysage de ce quartier défavorisé.
J’entre dans le parc Alfred-Élie-Dufresne sans véritable repère. Je passe devant une patinoire, une piscine encore vide, un tunnel recouvert de graffitis. Je m’approche du terrain de tennis et m’arrête devant la table de pique-nique en sortant mon cellulaire.
Je relève la tête : oui, c’est bien ici.
Je suis à l’endroit précis où, en 2008, la légendaire vidéo « La Coche Pète sa Coche » a été tournée.
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Ce premier arrêt aux airs de pèlerinage a pour but de démystifier les origines d’un succès culte dont les détails demeurent encore flous. Quelles circonstances ont conduit à sa création et quelle est l’identité véritable de son célèbre protagoniste?
Au même titre que l’enfant-truand qui proclame « la loi de 50 Cent » et la gang du Mutchmore qui se réunit « En arrière du Burger King », La Coche a atteint un statut mythique dans la viralosphère québécoise. Ils font tous partie du panthéon incertain des anti-héros du quotidien, figurant aux côtés d’autres grands noms comme le bonhomme « J’ai l’doua » et l’ineffable Yolande Ouellet.
Grâce à un algorithme qui les met en relation, ces vidéos semblent défier les années et continuent à fasciner un public sans cesse renouvelé. S’ils ont en commun de tordre le réel, leur petite misère brouille également les frontières entre divertissement et moquerie. Suffit de jeter un coup d’œil aux commentaires sous « La Coche Pète sa Coche » pour se faire une idée :
il devrait me remercier: c’est mes impôts qui vont payer sa cellule
La coche lâche la pinote
Est-il toujours vivant?
La legende
Cailou dans le hood
sa doit etre rendu beau aujourdhui se monde la lol
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Je prends quelques clichés et regarde l’heure sur ma montre. Il est temps pour moi de partir. J’ai rendez-vous avec lui.
Pas très loin du parc, la rue sans trottoir est bordée par de grands immeubles locatifs dont les pelouses sont parsemées de pneus et de matelas qui attendent la fin.
Je descends les escaliers et frappe à l’adresse du demi sous-sol. La porte s’entrouvre et La Coche m’accueille un brin confus, toujours en sous-vêtements. Il enfile un t-shirt en s’excusant du manque de mobilier. Il me tend la seule chaise disponible dans son appartement, débranche une climatisation portable dont il doute de l’efficacité, place un oreiller dessus, puis s’assoit confortablement.
L’appartement est peu éclairé, avec une décoration inexistante. Dans un coin, on trouve une moppe, un marteau et un lot de canettes Sélection. Ma visite a interrompu un film d’action, les explosions provenant de sa chambre rythmeront notre entretien.
Sur la table, une perceuse industrielle, un paquet de smoke et un sac réutilisable du Valentine. La Coche s’allume une cigarette.
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La Coche, de son vrai nom Bruno Préfontaine, est natif de Sherbrooke et a grandi au sein d’une famille de la région.
Il m’explique que l’origine de son surnom remonte au temps du Happy Groove, un after situé sur la King Est, qui était une ancienne grange. « J’étais toujours le premier à danser et le dernier à m’arrêter. On dansait toute la crisse de nuite. Ça continuait même après la fermeture, dans le stationnement. Ça vient d’un soir comme ça, où j’étais sa coche. »
Lors de ces fêtes, il arborait un style vestimentaire à l’empreinte yo minutieusement étudiée. Sur la vidéo, on remarque une casquette Playboy, un hoodie à zip Slim Shady et un faux maillot FUBU. Une tendance mode qu’il a aujourd’hui abandonnée.
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Bruno se souvient que les événements menant à la vidéo ont eu lieu le matin. Il explique qu’à l’époque, lui et ses amis utilisaient le parc Dufresne comme un terrain de jeu pour rompre l’ennui et essayer toutes sortes de substances : « du buvard, de la mess, du mush. N’importe quoi qu’on pouvait mettre la main dessus ».
De son propre aveu, Bruno ne faisait pas grand-chose pendant cette période. Alors âgé de 27 ans, il vendait un peu et bénéficiait de l’aide sociale « pour payer sa batch ». L’ecstasy était sa drogue de prédilection et il en mélangeait différentes variétés pour obtenir un effet plus prononcé. Son débit de parole rapide et ses gestes saccadés, tels qu’observés dans la vidéo, laissent deviner une consommation de E. « Ça devait faire 5-6 jours qu’on veillait là-dessus quand on a filmé ça », admet-il en se croisant les bras.
Bien que ce soit l’un de ses amis qui se trouvait derrière la caméra miniDV, Bruno ne savait pas que le moment était immortalisé. « J’ai remarqué sul tard que la petite lumière rouge était allumée. C’est pour ça que je dis : “R’gard le beurré” et que j’essaie de lui sacrer un claque en arrière d’la tête. »
Il m’apprend qu’un beurré désigne un homme en situation d’itinérance., avant d’avouer qu’il n’aurait jamais pu imaginer la tournure que prendraient les événements par la suite.
Les 43 secondes sont mises en ligne et, rapidement, son public grandit jusqu’à captiver l’attention de toute une génération.
La vidéo a été retirée après avoir dépassé 800 000 vues en raison d’un désaccord concernant sa monétisation. Bruno était persuadé que son ami tirait profit de sa notoriété, alors qu’il n’avait jamais touché un seul dollar. À l’heure actuelle, sa deuxième vie compte près de 316 000 vues, cumulant ainsi bien plus qu’un million de visionnements. Des chiffres impressionnants lorsqu’on sait qu’ils n’ont pas bénéficié de la même portée qu’aujourd’hui.
Si Bruno hésite à se lancer sur les raisons expliquant le succès de « La Coche », je lui demande quel impact la popularité de la vidéo a eu sur sa vie.
« Ça me gossait! Ostie que j’aimais pas ben ça au début, mais crisse, un manné, j’arrivais dans d’autres villes et on me reconnaissait. “La Coche! Heille! C’est La Coche!” Mes amis m’appelaient la vedette. J’me suis mis à aimer ça! »
Encore aujourd’hui, Bruno constate que de nombreuses personnes à Sherbrooke connaissent mieux la vidéo que lui. Même après toutes ces années, il n’est pas rare qu’il soit reconnu dans la rue, malgré les changements survenus dans ses traits.
Et ses parents? « Ils l’ont jamais regardée. Ma sœur non plus. Tabarnak, c’est une citoyenne. Elle sortait avec un docteur à Québec, faudrait pas qu’elle voie ça, elle aurait honte. »
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Il me confie d’ailleurs ne pas se laisser affecter par les commentaires négatifs qui pleuvent sous la vidéo. En fait, si pour certains, La Coche donne un show inquiétant, c’est aussi le simple portrait d’un jeune sous emprise qui fait le bouffon. À sa manière, il incarne le petit voyou à haute énergie qui ne refuse jamais une occasion d’aller jusqu’au bout de la nuit. Des gars comme lui, il y en a dans chaque patelin de la province.
C’est la petite lumière rouge qui a tout changé.
Devant un spectacle aussi singulier, les réactions n’ont jamais cessé de diverger. En dépit de la vulgarité du discours, c’est son authenticité brute qui suscite l’imaginaire. Ses expressions faciales, sa musicalité et son charisme sans filet ont réussi à captiver une audience qui chérit son imprévisibilité et la partage entres amis.
Mais au fur et à mesure que sa renommée s’étendait, Bruno, lui, s’enlisait.
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Sans diplôme secondaire, mais détenteur d’un DEP en carrelage, Bruno menait une vie relativement calme en travaillant dans ce domaine aux côtés de son père et dans une manufacture de meubles. Cependant, tout a basculé au milieu de sa vingtaine lorsqu’une peine d’amour le bouleverse. « Après ça, ça a vraiment dégringolé », déplore-t-il en se remémorant sa première arrestation à l’âge de 25 ans.
Au sommet de la popularité de « La Coche Pète sa Coche », la vie de son protagoniste semble hors de contrôle. « Je n’arrêtais pas de commettre des vols. Je pouvais faire 4 000 piastres d’un coup. Après, je passais 10-12 jours sans dormir. Crisse que je suis pas fier de ces niaiseries-là. »
Une spirale qui le mène derrière les barreaux.
« J’ai fait trois-quatre sentences à la garderie », livre-t-il, évoquant la prison Talbot de Sherbrooke. S’ensuit un transfert à l’Établissement de détention de Montréal pour soupçon de trafic.
« J’arrive dans une grosse wing à Bordeaux, j’pensais qu’on allait me casser la yeule, j’avais ben peur, mais non : “Checkez! C’est lui! C’est La Coche!”. Ah ben calisse! On m’a serré la main, plein de gars en d’dans connaissaient la vidéo par cœur! »
« Mais Bordeaux, ça reste dégueulasse, ajoute-t-il. On était enfermés comme des rats en cage. En été, il fait chaud en calisse et y’a juste de l’eau brûlante pour se doucher. Pas moyen de se rafraîchir. Pis la lumière est fermée à 10h le soir, moi j’aimais ça, lire pour m’endormir. »
Le début de sa trentaine est donc rythmé par des épisodes de « in and out » carcéral. « Chaque fois que je sortais, je me disais que je reviendrais jamais icitte. Mais j’partais sur la rumba en tabarnak. Une fois, j’ai été dehors seulement huit heures. J’ai wipé sua track après avoir bu trop de jus [GHB]. On m’a retourné en dedans pour bris de condition. »
Sa dernière période d’incarcération remonte à 2015, pour trafic de stupéfiants. « J’ai pogné 22 mois pour 22 speed. Je capotais! C’était ceux de ma copine, en plus. J’ai fait 15 mois, c’était long en tabarnak », raconte-t-il, déplorant être emprisonné dans un système criminalisant les toxicomanes au même titre que des récidivistes violents.
« En prison, tu travailles sur toi, tu fais le ménage », dit-il en s’allumant une autre cigarette, le regard fragile.
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Bruno a tenté d’arrêter de consommer comme le faisait La Coche en raison de graves problèmes de santé. En 2018, sa jambe gauche a gonflé de manière inquiétante, devenant presque entièrement noire. On lui a dit que c’était son cœur. « Je mêlais pas mal de jus avec du speed. Avec le temps, mon cœur fonctionnait à seulement 10 %. »
Il a été hospitalisé pendant près d’un mois, à deux reprises. Le médecin lui a dit que s’il continuait à consommer, il en mourrait.
Malgré l’âpreté de cette période, il évoque son histoire avec une certaine légèreté tout en restant fort conscient des conséquences de ses choix. Il me parle de ses actuels problèmes de santé et de son ex qui consomme encore des drogues dures dans un environnement sans foi ni loi.
Après avoir échangé les vœux en 2016, la pandémie a marqué la fin de son mariage. Il s’attriste aujourd’hui de ne pas être père, mais reconnaît que cela est peut-être mieux ainsi. Il confesse avoir peu de passe-temps, mais aide son frère à réparer et revendre des laveuses d’occasion.
Pendant la pandémie, Bruno s’est impliqué dans la fabrication de cercueils en carton. En raison de l’absence de cérémonies funéraires, lui et son équipe ont travaillé sans relâche pour répondre à la demande des incinérations rapides. « Je travaillais en masse, mais à cause du crisse de jus, j’me suis endormi au volant à une lumière. Les cochons m’ont réveillé, ça devait faire un boutte que j’étais là. »
Bruno perd son permis et est assigné à une demi année de peine en détention à domicile. « C’est les screws de Talbot qui venaient cogner chez nous », s’indigne-t-il.
Depuis, Bruno m’assure être clean.
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Alors qu’il regarde la vidéo, visiblement moins svelte qu’il y a 15 ans, je lui demande ce que ça lui fait de vieillir. Il me répond avec une certaine nostalgie : « Ça a passé trop vite. J’aimerais revenir aux nuits du Groove ». Il prend une pause, puis éclate de son rire caractéristique.
Le Sherbrookois affirme qu’il n’a aucun regret concernant la vidéo, même qu’il aime encore la regarder de temps à autre. Il souhaiterait qu’elle poursuive son étonnante destinée en continuant à faire naître un sourire sur le visage de ses auditeurs. Sans rien de plus.
« Je serais peut-être plus là si j’avais trop regretté. C’est sûr que si c’était à recommencer, j’prendrais pas la côte, j’resterais sur le drette. »
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Bruno vient de fêter ses 42 ans. Il travaille à nouveau pour l’entreprise familiale qui se spécialise dans la pose de planchers, de tapis et de revêtements en vinyle. Il mentionne différentes variétés de bois, les subtilités de leur marché et les qualités des quincailleries locales. Je le sens habité par sa profession.
Malgré les blessures qui le suivent et le risque de rechute, il persévère dans sa quête d’une vie plus douce. Heureusement, la business ne manque pas de contrats. Il se dévoue au travail, assurant l’installation de revêtements pendant la journée et effectuant des livraisons d’électroménagers en soirée et les fins de semaine.
Rester actif pour s’éloigner des dangers du passé; l’ombre de La Coche n’est jamais très loin et il le sait.
Alors que Bruno enfile des pantalons pour aller chercher un nouveau paquet au dep, il insiste sur l’impatience de retrouver sa voiture. Je remarque le slogan inscrit sur le sac du Valentine : « Lâche pas la patate ».
C’est bêtement le motto que je lui souhaite en serrant sa main, faisant écho à un cœur certes affaibli, mais toujours bien en vie.