« Sur la scène, je suis jamais malade. Jamais déprimé. »
Une déclaration simple, mais lourde de sens. Le comédien et humoriste Serge Thériault a disparu de nos écrans depuis vingt ans et les rumeurs à son sujet tourbillonnent comme des feuilles à l’automne, sans jamais se poser. Reclus, Serge est en dépression majeure. Serge n’est plus capable de faire son métier.
Depuis, son absence alimente le mythe et la légende s’est transformée en mystère.
Bien qu’il ait refait surface dans le cadre d’un épisode spécial de La petite vie en 2023, pour une entrevue avec son complice de toujours Claude Meunier l’année suivante et qu’un documentaire ait mis en lumière ses proches en 2021, personne n’avait encore jamais remis les projecteurs sur Serge Thériault pour parler du bon comme du mauvais tel que l’a fait la scénariste et réalisatrice Catherine Proulx dans le documentaire T’étais où Serge?, disponible sur ICI Tou.tv dès le 12 décembre.
Dans ce nouveau documentaire, on peut observer l’homme à qui le rire du public donne des ailes, mais dont le silence les coupe. Serge Thériault ne s’est pas éclipsé parce qu’il souffrait sur scène. Le problème pour lui aura toujours été d’en sortir.
De La Quenouille bleue à Gaz Bar Blues
Malgré son titre sans équivoque, T’étais où Serge? n’est pas un documentaire sur la maladie et la réclusion de Serge Thériault. Il vise plutôt à recontextualiser l’artiste au sein de la culture québécoise.
On remonte à l’époque de La Quenouille bleue, un collectif humoristique à l’origine d’une kyrielle de talents s’apprêtant à marquer l’histoire culturelle du Québec. Parmi eux, Thériault fait l’unanimité. Michel Rivard, un ancien membre du groupe, participe au documentaire pour parler de sa rencontre avec le futur interprète de Môman. À l’époque, l’intensité et la précision de son jeu faisaient déjà de lui un interprète à part.
« L’interprétation, c’est pour moi une opportunité de sortir de mon corps », raconte Thériault qu’on voit parcimonieusement à l’écran. Aujourd’hui âgé de 77 ans, il porte une barbe qui le rend méconnaissable. Bien qu’il ait consenti à ce que l’équipe de tournage saisisse des images de lui, l’entrevue est seulement à l’audio, question de le mettre à l’aise.
T’étais où Serge? rappelle au public québécois que Thériault a été un formidable comédien dramatique en plus d’un de nos humoristes les plus célébrés. Trop peu s’en souviennent, mais il a été l’interprète de Bernie, alias Bernard Lacasse, l’un des premiers personnages LGBTQ+ non caricatural à apparaître dans une série à heure de grande écoute, Jamais deux sans toi. Les cinéphiles se souviendront aussi de lui pour son rôle de François Brochu, le bouleversant patriarche de Gaz Bar Blues.
Il serait facile d’assigner à Thériault le stéréotype de clown triste, mais la réalité est beaucoup plus complexe. Diagnostiqué bipolaire, il exorcise son mal de vivre en devenant quelqu’un d’autre, mais retombe inexorablement dans sa propre peau.
À la toute fin de T’étais où Serge?, on peut voir une entrevue d’archives réalisée en marge du tournage de Gaz Bar Blues. La journaliste demande à Thériault comment il entrevoit de quitter la peau de son personnage. On perçoit une douleur qui lui traverse le visage. L’excellence de Serge Thériault est le produit d’un besoin de guérir de lui-même. C’est l’essence de la beauté tragique qui habite ce grand monsieur.
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La réalité plate de la souffrance
Cette rétrospective met également en lumière une réalité tout aussi banale qu’évidente de la « disparition » de Serge Thériault de nos écrans : il n’y a pas de grand mystère ni de souffrance secrète derrière cette retraite. Il n’allait pas bien et avait besoin de se soigner. Une recherche d’équilibre à travers les hauts et les bas.
C’est tout.
Lorsque quelqu’un disparaît sans fournir d’explications, on a tendance à se raconter des histoires qu’on finit par croire, par exemple qu’il est parti refaire sa vie sous des cieux plus cléments. Guylaine Tremblay, interprète de Caro dans La petite vie et qui intervient aussi dans le documentaire, explique que la force du jeu de Serge est de toujours livrer sa vérité à lui. D’être capable de la comprendre et de l’articuler. Le travail de Catherine Proulx est à l’image de cette vérité très personnelle. On y déboulonne le mythe du génie torturé pour présenter un homme souffrant, ambivalent, qui se méfie un peu de ce besoin d’amour dévorant l’ayant autrefois transporté.
T’étais où Serge? met un point d’orgue sur un grand personnage ayant passé les deux dernières décennies à essayer de reprendre ses aises dans sa propre peau. Il était où Serge? Avec lui-même. Là où c’était important de l’être.
Si je vous en recommande le visionnement pendant le temps des Fêtes, je vous garantis aussi que ça vous donnera probablement le goût de revoir l’intégrale de La petite vie, Ding & Dong : le film, Gaz Bar Blues, Les Boys, Le Sphinx pour baigner dans l’univers de Serge Thériault un peu plus longtemps.
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