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La valeur sociale d’un journaliste n’est pas un leurre complaisant

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Cette semaine, le Wall Street Journal nous apprenait, via un palmarès CareerCast, que le métier de journaliste constitue la lie de toutes les professions. Et si c’était plutôt notre manière d’appréhender la chose journalistique qui était à revoir?

« Pas de job » disent les journalistes. « De la bullshit, des pubs et du vide, partout » disent les intellectuels. « Le journalisme est en crise », n’a-t-on de cesse de s’alarmer. Bien sûr.
Mais cette crise, elle n’a rien avoir avec le papier, la sauvagerie du web, la montée de l’info orientée à la Fox News ou la médiocrité intellectuelle de Richard Martineau.
En fait, ces éléments dégénérés ne sont que les douloureux symptômes de notre renoncement à attester la valeur sociale et politique de la pratique journalistique.
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Sauf que cette valeur, précieuse et profonde, nous nous y aveuglons tranquillement.
infotainment
On crée donc une scission malsaine entre les volets critique et factuel de l’information, niant ainsi que les faits ne peuvent être mis en perspective dans le processus même de leur transmission.
Or, entre le remâchage incessant de l’info vide et la prégnance de l’opinion – ou plutôt de l’humeur : quelle place reste-t-il pour le journaliste, le vrai?
Une place dérisoire, somme toute. Comme s’il n’y avait encore que l’humeur qui savait suggérer une posture intellectuelle par rapport à l’information.
Mais la réalité, c’est que la valeur de la critique de l’information s’ancre au cœur même de son développement didactique. Et le travail du journaliste, précisément, c’est de réaliser cet assemblage avec l’expertise qu’il détient; sa méthode et son discernement.
Malheureusement, on ne lui laisse ni le temps, ni l’espace, ni les ressources pour réaliser pleinement cette tâche. C’est qu’il faut plus d’info, toujours plus d’info. Qu’elle nous sorte par les oreilles, l’info. Sauf qu’elle ne constitue en fait qu’un discours exsangue.
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La première conséquence de la marchandisation de l’information, comme ils disent, c’est précisément sa lente et inquiétante mutation en carcasse factuelle obsolète.
Et à la vacuité de la nouvelle en continu, on réplique par la surenchère de l’opinion, de l’humeur, de la rhétorique à l’emporte-pièce. Et le journaliste – pas le sténographe, le chroniqueur ou la sentinelle du Web : le journaliste – s’enlise tranquillement dans le fossé qui se creuse entre ces pôles dont on s’entête à croire qu’ils se complètent.
Nous régressons à la définition strictement fonctionnelle de la tâche journalistique : transmettre systématiquement la nouvelle. Comme un automate dans une fabrique à saucisse, mais en pas mal plus stressant.
C’est la pire profession car constamment on l’aliène. Et on pallie cet avilissement par un culte étrange de la bébelle, de la vedette et du momentum.
Le tout-à-l’économie, visiblement, prime aussi dans notre conception des médias. Et la pratique journalistique avisée va à l’encontre de tous ces diktats. Nous sommes donc placés devant un impossible, dont les journalistes seuls semblent faire les frais.
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Sauf qu’à mon avis, il y a des limites à faire plus avec moins, dans n’importe quelles conditions, selon n’importe quelles exigences de polyvalence et moyennant n’importe quel bricolage. Qui y gagne, au fond? Personne.
Par ailleurs, appréhender la montée du journalisme citoyen et le décloisonnement de la production médiatique comme des pistes de solution enviables m’apparaît risqué.
Car le recours à un médium plus accessible et, dit-on, libéré de tout cadre idéologique imposé par la vilaine classe dominante ne s’accompagne pas forcément d’une meilleure méthodologie. Bien au contraire.
spin
plus-value
Et déjà, nous assistons au règne de l’information qui n’existe que par elle-même et pour elle-même. Le « fait » est présenté dans l’espace public comme une fin en soi.
Comme si l’information n’était plus destinée qu’à susciter mécaniquement une émotion ou un choc momentané, puis à se dissiper. Et le public s’y est habitué.
À ce réflexe aliéné, donc, je doute fort que le journalisme citoyen, si émancipé soit-il, puisse remédier pleinement.
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La valeur sociale d’un journaliste n’est pas un leurre complaisant, nourri d’illusions corporatistes. Malheureusement, sa valeur marchande, elle, l’est. Et il s’agit d’un mal qui ronge la profession.
Heureusement que j’ai pas envie (pentoute) de devenir journaliste.
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