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On met les gens dans une petite boîte parce qu’on aime savoir à quoi on a affaire. On a beau dire qu’on aime les surprises, on a pourtant beaucoup de misère à laisser aux autres la chance de nous surprendre.
Ça ne fait pas longtemps que je le connais et j’ai l’impression de tout savoir. Un soir, un verre et je connaissais déjà l’histoire de sa vie et son plan pour le futur. Je l’ai envié d’être aussi clair et décidé. Alors, je me suis dit que «où y’a de l’envie y’a de l’espoir». Mon amie m’a dit que c’est moi qui venais d’inventer ce dicton parce que je n’avais pas envie de passer ma nuit toute seule.
Elle me connait bien.
Je me suis souvent fait reprocher de juger les gens trop vite, alors j’ai essayé.
Plusieurs semaines plus tard, je le trouve toujours aussi plate.
J’ai cette tendance à chercher les anguilles sous roches, à aimer les défauts plus que les qualités évidentes. Juste là, alors qu’il me sert une bouteille de vin d’une importation privée quelconque pour m’impressionner, je me dis que ça ne fera pas de flammèches parce que je ne fais pas la différence entre les vins de la SAQ et ceux du dépanneur.
Il y a ceux qui s’enferment dans la boîte tout seuls comme des grands parce que ça doit être plus rassurant de se définir soi-même. Mais le problème avec les définitions, c’est qu’elles sont toujours trop étroites et il y a ceux qui n’arrivent jamais vraiment à se définir parce qu’ils remettent tout en question. Le hic, c’est que ça donne parfois des humains un peu lourds. C’est souvent eux qui font des montagnes de rien dans leurs têtes. Ces riens-là, ils deviennent souvent quelque chose sans que personne d’autre ne comprenne pourquoi. Moi je suis de ceux-ci, lui il est des autres. C’est comme vivre dans deux mondes, mais un à-côté de l’autre.
Depuis le début, c’est à croire qu’il se met en scène. C’est un spectacle, trop parfait, trop répété. Ce qui me donne la fâcheuse impression de regarder sa page Facebook. J’ai accès seulement à de l’information filtrée. Ça manque de photos pas belles et de blagues pas drôles. Il n’y a que son lit fait parfaitement sans aucun pli, ses bouteilles de vin à 50 piasses et trop de coussins sur son sofa design pas confortable. Je ne comprends pas pourquoi il essaie de me faire fitter dans le décor alors que je ne suis clairement pas du même style.
Je continue de jouer le jeu. Peut-être que je vais apprendre quelque chose en bout de ligne.
C’est lui qui a fini par me dire que ça ne marchait pas.
La dernière conversation est toujours la plus honnête. Je l’ai vu baisser ses gardes et enlever son masque pour la première fois. Il a fini par me montrer autre chose que du beige trop parfait. Lui, dans toute sa simplicité me plaisait. Pas de jeu pour m’impressionner, pas d’auto-catégorisation, juste du vrai avec toutes les contradictions que ça implique.
Rien de plus frustrant que de finir une histoire sachant qu’on avait mal visé: je l’avais mis dans la mauvaise boîte. Pourtant, j’aurais dû savoir que personne n’est aussi unidimensionnel et que tous se protègent à leur façon. J’ai un peu mal, surtout à l’orgueil, de me rendre compte que malgré mes intentions d’avoir l’esprit ouvert, j’ai tout fait pour le remettre dans sa boîte. J’ai vu seulement les aspects de sa personnalité qui donnaient raison à mon idée préconçue.
Quand on veut quelque chose, on essaie; et quand on essaie, les gens ont tendance à trouver qu’on essaie trop. C’est le jour où on s’en fout qu’ils finissent par nous voir nous, et non la boîte dans laquelle ils nous ont mis.
Je fais partie de ceux qui veulent des « oui » gros comme la Terre et des certitudes partout, mais qui, ironiquement, n’en ont jamais eu dans rien. Comme si j’avais peur de l’erreur, du gaspillage de temps, et ce, même si je n’ai rien de mieux à faire avec. C’est vrai qu’il faut faire confiance à notre instinct. C’est vrai qu’il faut être capable de se l’avouer quand le courant ne passe pas. Mais il faut aussi se donner le droit de se tromper. Il faut arrêter de voir le doute comme un ennemi et arrêter de chercher une facilité qui n’existe peut-être même pas. Mettre des gens dans des boîtes, c’est leur donner un rôle avant de les avoir vus jouer. Connaitre quelqu’un, ça prend déjà assez de temps comme ça, s’il faut en plus prendre le temps de se défaire des premières impressions biaisées, on risque de passer à côté du plus beau.
Twitter: @malinavia
Illustration: Catherine Potvin
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