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La tragédie des pensionnats autochtones en une photo
De la migration forcée des Mundurukus brésiliens au vol de zébus malgaches en passant par la guerre du pavot dans l’état du Gerrero, eh oui, c’est l’inévitable retour du World Press Photo, la grande messe du photojournalisme destinée à tou.te.s les passionné.e.s d’actualité et de clichés déchirants.
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Qu’elles expriment les symptômes de la crise écologique, les soulèvements de la rue ou les grands conflits géopolitiques, les photographies mises de l’avant par le jury sont, comme à leur habitude, aussi magnifiques que violentes d’intimité. La force de l’exposition réside dans cette volonté renouvelée, année après année, de transmettre une émotion forte tout en permettant de mettre en lumière un éventail d’enjeux, dont plusieurs provenant de régions reculées.
Ouverte au public depuis hier et jusqu’au 2 octobre entre les murs du Marché Bonsecours dans le Vieux-Port de Montréal, l’exposition offre une rare occasion non pas de se réconcilier avec l’humanité, mais de confronter sa propre impuissance face à l’intranquillité du monde.
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L’édition actuelle a reçu près de 65 000 soumissions venant de 4000 photographes originaires de 130 pays différents. La lauréate de la photo de l’année se nomme Amber Bracken, pigiste d’Edmonton en Alberta, avec qui j’ai eu la chance de m’entretenir. Retour sur un cliché, maintenant au panthéon du photojournalisme.
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Mai 2021, une fouille au géoradar permet d’identifier 215 sépultures juvéniles près du pensionnat indien de Kamloops, en Colombie-Britannique, le plus grand du système canadien. Cette macabre découverte déclenche les recherches et l’identification de plusieurs lieux d’enterrement anonyme, plongeant le pays dans un profond examen de conscience face à son histoire coloniale.
« Ma photo tente de porter le poids de la tragédie, de la perte, mais aussi de parler du réveil d’une époque sur une politique d’assimilation trop longtemps ignorée », lance d’emblée Amber Bracken, qui s’est rendue sur les lieux un mois après les premières découvertes.
L’ambition de la mise en scène créée par la communauté – des croix habillées de robes rouges le long d’une autoroute – était de confronter les passant.e.s à la présence physique des enfants disparus. « La sérialité de l’installation créait un effet très fort, mentionne Amber Bracken. Il y en avait tellement. On m’a expliqué que les croix sont également une représentation des étoiles, lieux vers où les enfants se sont dirigés. Les vêtements sont une façon de les habiller vers leur dernier voyage, avec le soin et l’amour qu’ils méritaient. »
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L’ambiance à Kamloops était assez sombre selon la photographe de 38 ans. « J’avais l’impression de rencontrer une famille juste après une cérémonie funéraire, voire pendant. Dans la communauté, il y a un fort sentiment de deuil. »
Le jour de la photographie, Amber Bracken explique qu’il a plu tout l’après-midi et juste au bon moment, le soleil s’est faufilé à travers les nuages, offrant la complexité d’une lumière horizontale de fin de journée à travers un ciel dur. « La force du sujet était là, j’ai été chanceuse avec les conditions. Il y a même un arc-en-ciel derrière. Je ne devais juste pas foirer au moment d’exposer », admet avec humilité la Canadienne, dont le travail a été publié dans le National Geographic, The Guardian et le Globe and Mail.
Un très grand honneur difficile à croire sur le moment, confie la gagnante. « J’étais à Rome pour couvrir la rencontre entre les représentants des Premières Nations du Canada et le Vatican. J’étais en plein décalage horaire, j’avais une tonne de choses à faire, le pape François était tout près de faire son entrée et sans avertissement, je reçois l’appel. C’était complètement surréaliste. Ça a pris du temps pour réaliser ce que signifiait un prix aussi prestigieux. »
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Je lui demande quelle est sa relation avec le cliché qui est paru en juin 2021 dans les pages du New York Times. « Les photographes ont souvent une relation compliquée avec leur pratique, souligne-t-elle. Pour ma part, c’est toujours une épreuve d’être en confiance. J’aimais assez cette photo pour la soumettre, mais je n’ai jamais pensé que c’était nécessairement “the one”. De mon travail à Kamloops, elle était toutefois celle que je jugeais la plus évocatrice de l’atmosphère, et elle représentait symboliquement la tragédie de la façon que je souhaitais. [On y comprend] que ce n’est pas tous les enfants qui sont revenus à la maison. »
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À l’étage, l’artiste multidisciplinaire montréalaise Caroline Monnet présente Ikwewak, « Femmes » en Anishnabe, un travail éloquent sur la représentation de la femme autochtone tournée vers demain. Une offrande colorée créant une belle continuité avec le propos de la lauréate canadienne.
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On y croise également une série de portraits réalisée par Justine Latour sur Claire Sigouin, une aînée un peu punk et autonome malgré ses 107 ans. Les clichés dévoilent la complicité d’une relation étalée sur six ans avec une douceur apaisante.
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Je vous invite chaudement à visiter l’exposition, ne serait-ce que pour admirer la photo de Amber Bracken. Se trouver physiquement devant l’impression grand format perpétue la notion de présence souhaitée par la communauté. Sans oublier de s’offrir un passage devant les clichés du Livre de Vélès, un projet absolument remarquable du Norvégien Jonas Bendiksen. Je ne vous en dis pas plus.
Le World Press Photo est un voyage déroutant, difficile, mais demeure un vertige d’exception pour prendre le pouls de notre planète et, peut-être, tenter de mieux la comprendre.