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La série « Big Little Lies » et le personnage trÚs confrontant de Meryl Streep

En quoi la série reflÚte-t-elle l'Úre post-#meetoo de façon aussi juste?

Par
Mali Navia
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La grande idĂ©e de la sĂ©rie Big Little Lies est de toute Ă©vidence le pouvoir des apparences. Liane Moriarty, l’auteure du livre sur lequel est basĂ©e la sĂ©rie, a probablement voulu faire une sorte de critique sociale sur les petits mensonges auxquels nul ne peut Ă©chapper. Les secrets qui, tranquillement, forgent une image de laquelle on devient prisonnier.

La premiĂšre saison a Ă©tĂ© couronnĂ©e d’un succĂšs public et critique, la barre Ă©tait donc trĂšs haute pour la deuxiĂšme. Jean-Marc VallĂ©e qui avait rĂ©alisĂ© la premiĂšre a dĂ©clinĂ© l’offre de rĂ©aliser la seconde. Est-ce qu’HBO Ă©tire la sauce? C’est la question que beaucoup se sont posĂ©e Ă  la suite de l’annonce de cette fameuse continuation. De quoi vont-ils parler maintenant que le meurtre n’est plus un mystĂšre? Il se trouve que l’aprĂšs est potentiellement plus intĂ©ressant que l’avant


Une deuxiĂšme saison sous le thĂšme de la culture du viol

Si la premiĂšre saison explore les apparences, la deuxiĂšme nous montre ce qui arrive quand on creuse et que toutes les vĂ©ritĂ©s Ă©clatent au grand jour. Dans le premier Ă©pisode, on fait la connaissance de Mary Louise, interprĂ©tĂ© avec brio par la grande Meryl Streep. Cette derniĂšre est la mĂšre du dĂ©funt Perry (Alexander Skarsgard) et vient faire son tour Ă  Monterrey parce qu’elle a visiblement un doute sur les circonstances de la mort de son fils. « Legit », peut-on penser. Mais ça se complexifie. Elle est mĂ©chante, guidĂ©e par une sorte de dĂ©ni qui la force Ă  voir son fils uniquement sous ses plus beaux jours.

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Il faut se rappeler que Perry Ă©tait dans une relation malsaine et abusive avec sa femme Celeste (Nicole Kidman) et qu’il a violĂ© Jane (Shailene Woodley). Mary Louise s’immisce dans la vie des personnages Ă  coup de questions indiscrĂštes et de mĂ©chancetĂ©s Ă  la fois directes et dĂ©tournĂ©es. Tel un serpent, elle va jusqu’à questionner Jane sur la fameuse nuit du viol. « Je suis curieuse, qui a initiĂ© la rencontre? La conversation? », lui demande-t-elle. Or dans cette question, il y a le sous-entendu le plus dangereux de tous. Elle sous-entend que si Jane a fait la premiĂšre approche, Perry n’est pas coupable : c’est sĂ»rement un malentendu, c’est de sa faute Ă  elle. À cette intrusion pour le moins violente, Jane rĂ©pond la seule rĂ©ponse possible « Qu’est-ce que ça change? ».

À travers les liens entre les personnages de Mary Louise, Jane, Perry et CĂ©leste, on nous montre la culture du viol de maniĂšre Ă©vidente et subtile Ă  la fois, dans ses grands dĂ©ploiements comme dans ses micro-violences.

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La quĂȘte de Mary Louise n’est pas injustifiable, aucune mĂšre n’accepterait de se dĂ©faire aussi facilement de l’image d’un fils parfait pour la remplacer par celle d’un violeur. C’est dans cette nuance, cette suite d’évĂšnements si rĂ©alistes qu’ils glacent le sang que rĂ©side tout le gĂ©nie scĂ©naristique de la saison. À travers les liens entre les personnages de Mary Louise, Jane, Perry et CĂ©leste, on nous montre la culture du viol de maniĂšre Ă©vidente et subtile Ă  la fois, dans ses grands dĂ©ploiements comme dans ses micro-violences. En tant que spectateur, on ne sait parfois pas oĂč se mettre. Une mĂšre en deuil n’a-t-elle pas droit de vouloir croire en la bontĂ© de son fils? De protĂ©ger ses petits enfants si elle les croit en danger? Est-ce qu’on y croirait plus facilement si on Ă©tait Ă  sa place? N’aurait-on pas envie de poser des questions qui justifient ses actes? La mise en situation est des plus confrontantes.

Les relations abusives aussi sous la loupe

À cela se mĂȘle la trame narrative du personnage de Kidman. Cette derniĂšre est complĂštement chamboulĂ©e par la mort de son mari qu’elle dĂ©teste autant qu’elle en est follement amoureuse. Par la complexitĂ© et l’incohĂ©rence apparente de ses actions, elle rĂ©pond Ă  la question la plus posĂ©e de toutes : « Si une femme se fait abuser, pourquoi ne quitte-t-elle pas son partenaire? ». Celeste fait taire les raccourcis si souvent pris par ceux qui regardent ces situations de l’extĂ©rieur. On voit la profondeur de ses blessures, mais aussi ce qui l’a motivĂ© Ă  ne pas fuir. Cela dit, leur relation n’est jamais lĂ©gitimĂ©e, au contraire, on est loin du « mais il Ă©tait ben fin mĂȘme s’il Ă©tait violent ».

Par la complexitĂ© et l’incohĂ©rence apparente de ses actions, elle rĂ©pond Ă  la question la plus posĂ©e de toutes : « Si une femme se fait abuser, pourquoi ne quitte-t-elle pas son partenaire? »

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Au dĂ©part, on a tous Ă©tĂ© impressionnĂ©s par la majestuositĂ© de Perry Wright, on a tous voulu croire qu’il avait un bon fond. On est tombĂ© dans le piĂšge nous aussi. Alors on ne peut que la comprendre, sympathiser avec elle et constater avec douleur Ă  quel point ce genre d’amour est destructeur. Encore une fois, cette montagne russe, cet effet miroir qu’on ne contrĂŽle pas est le rĂ©sultat d’un scĂ©nario extrĂȘmement bien ficelĂ© et d’une distribution irrĂ©prochable.

L’hĂ©ritage du #moiaussi

Le fait qu’une sĂ©rie ose aborder ce thĂšme de maniĂšre aussi confrontante en 2019 est fort probablement dĂ» Ă  l’hĂ©ritage de la prise de conscience collective de 2017. Il y a une volontĂ© de brasser la cage encore parce que rien de tout ça n’est terminĂ©. À coup de questions intrusives, de sourires en coin et de sous-entendus qui vous feront grincer des dents, Mary Louise incarne parfaitement le caractĂšre inachevĂ© de la discussion. Ce sont les petits comportements qu’il faut continuer de scruter. Ce n’est sĂ»rement pas un hasard qu’ils aient choisi un personnage fĂ©minin pour montrer la culture du viol dans ces manifestations les plus insidieuses. Le choc est cent fois plus violent quand le doute vient de celle qui est censĂ©e comprendre.

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