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La science de l’échantillonnage selon Toast Dawg

Par
Malik Cocherel
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Le “sampling” ou échantillonnage est une science que maîtrise parfaitement Julien Cloutier alias Dj Naes alias Toast Dawg. Après son aventure avec Atach Tatuq (dont l’album Deluxxx vient tout juste d’être réédité), le producteur et “digger” montréalais s’est plongé dans la musique brésilienne pour sortir deux EP d’instrumentaux, Brazivilain I et II, en 2014 et 2015.

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Pour URBANIA, Toast Dawg est revenu sur cette expérience enrichissante et sur sa quête perpétuelle du bon échantillon.

URBANIA : Tu as fait tes armes dans le hip-hop, notamment avec Atach Tatuq. Comment as-tu développé un intérêt pour la musique brésilienne?

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Mes parents écoutaient de la Bossa quand j’étais petit, du Stan Getz, du João Gilberto… Donc ça a toujours été présent en fond chez moi. J’ai toujours trouvé que la musique brésilienne, c’était le match parfait avec les beats hip-hop. En 2002, je suis allé à São Paulo pour une convention de street art, avec une dizaine d’artistes de Montréal et de Québec. J’avais trouvé deux ou trois trucs en vinyle, mais je pensais pas encore à chercher des échantillons à l’époque, même si je faisais déjà quelques beats. Dans ce temps-là, j’étais plus dans le scratch. J’ai commencé à travailler sur un projet en 2008, avant de le mettre de côté. Puis, il y a eu le premier Brazivilain en 2014.

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URBANIA : Comment fais-tu aujourd’hui pour trouver tes échantillons?

Deux fois par année, il y a des conventions de vinyles à Montréal, et tu peux trouver des particuliers qui vendent des disques de leur collection. C’est comme ça que j’ai trouvé, l’année dernière, des trucs pour mon dernier EP. C’était tout écrit en portugais sur les pochettes, des trucs un peu expérimentaux, avec de la narration, des claviers, des drums. Je te dirais bien les noms, mais faudrait pas que je m’autosnitch non plus! Mais je n’ai pas été trop sauvage. Je n’ai pas pillé des échantillons de 5 minutes, j’ai juste repris des petits trucs comme des doubles percussions. En même temps, si je n’avais pas fait cette découverte-là, mon disque n’aurait pas ressemblé à ça.

URBANIA : Il y a une part de hasard et de chance dans l’échantillonnage?

Oui. Dans ce genre de conventions de vinyles, tu peux pas trop écouter les disques. Alors, tu fais ton choix un peu au hasard, tu rentres chez toi, tu l’écoutes et t’es chanceux ou tu l’es pas. Mais tu peux aussi te fier à la pochette, aux crédits qu’il y a en arrière, les instruments qui sont mentionnés. On parle de disques datant des années 70, et dans ce temps-là la vibe générale de la pochette était très significative par rapport au contenu. Ce qui fait que je me trompe quand même rarement.

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URBANIA : L’art de l’échantillonnage, c’est de trouver un échantillon sans qu’on puisse le reconnaître facilement?

Pas forcément. Quand Puff Daddy sample Sting (pour I’ll Be Missing You), je pense pas qu’il veuille s’en cacher. Mais c’est vrai que dans mon cas, c’est souvent des trucs super difficiles à catcher pour le commun des mortels. Si t’écoutes To Pimp a Butterfly Kendrick Lamar, tu as de l’échantillonnage, mais trouver et identifier ses échantillons, c’est tough, et c’est aussi ça qui est fun.

URBANIA : Avec l’épuisement du filon de la soul et de la funk des années 70-80, l’échantillonnage est-il toujours aussi ancré dans la culture hip-hop aujourd’hui?

Je pense qu’il y a toujours du monde qui utilise des échantillons. Mais avec l’évolution de la technologie et du matériel, c’est de plus en plus tough de les isoler et de savoir d’où ils viennent. Les premiers échantillons utilisés dans le hip-hop, qui ont été largement puisés de la musique black des années 60-70, ont laissé place à d’autres choses moins identifiables, comme de la musique électronique expérimentale. Je connais aussi pas mal de gens qui vont sampler des bands obscurs sur SoundCloud, et qui arrivent à faire des gros hits avec ça. Aujourd’hui, il n’y a plus de tabous ou de limites à ce niveau. Kendrick Lamar a samplé, par exemple, des trucs actuels qui sont sortis uniquement l’année d’avant. Le beatmaking 2.0 c’est d’aller chercher ailleurs, loin des musiques qui ont déjà été largement échantillonnées.

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URBANIA : Plus récemment, tu as collaboré à l’album Brown réunissant Snail Kid des Dead Obies, son frère Jam et leur père Robin Kerr…

Oui, j’ai fait la réalisation et les arrangements de l’album. J’ai aussi produit la chanson Brown, la première de l’album, où tu retrouves encore une vibe brésilienne avec des percussions. Donc j’ai pas encore vraiment décroché du Brésil, même si j’aimerai passer à autre chose pour la suite!

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Comme Toast Dawg, de nombreux producteurs de hip-hop cherchent de nouvelles influences, après avoir échantillonné la musique noire américaine jusqu’à épuisement du filon. Réalisée par le journaliste Fabien Benoit, la série Dig it!, à retrouver en exclusivité sur URBANIA.ca, a consacré un épisode à Victor Kiswell, un digger parisien, qui parcourt justement le monde à la recherche de nouvelles sonorités. Son métier: dealer d’échantillons et de sons rares…

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Pour lire une autre entrevue de Malik Cocherel : “Un jour du disquaire 100% québécois”

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