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La satire comme moteur de changement

Se moquer pour dénoncer ou faire bouger les choses, est-ce efficace.

Par
François Breton-Champigny
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Quand on survole la page Facebook du « journal » Le Revoir, on jurerait que les nouvelles qui y sont rapportées sont vraies.

«Des heures d’attente pour le dépistage à Laval: les organisateurs du Cocothon sont appelés en renfort». «Les frères Tadros veulent organiser un méga party karaoké à Québec pour l’Halloween».

Pourtant (et heureusement), elles ne le sont pas du tout. La page se paye la gueule d’à peu près tous les sujets d’actualité qui font rage au Québec à l’aide d’un humour absurde frôlant le réalisme.

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De son côté, le Ministère de la Nouvelle Normalité, une organisation «para-gouvernementale» qui ressemble en tous points à un vrai parti politique, a aussi décidé d’utiliser la satire pour faire passer un message écologique.

Qu’est-ce qui se cache derrière cet humour de clown triste et est-ce un moyen efficace pour passer un message?

«Pleurire» du sort du monde

Né il y a environ deux ans en réaction à l’ascension de la CAQ, Le Revoir s’est vite positionné comme un contrepoids humoristique à la « montée du nationalisme de droite » dans la province. « On voulait combler un vide sur le web pour les personnes progressistes pour qu’elles puissent rire de tout ce qui se passait», explique Lev Reffoir, collaborateur au Revoir, qui a choisi lui-même son pseudo.

«On pensait mettre la hache dans le projet après la soirée électorale, mais quand on a vu le fameux baiser de Legault à sa soeur, on a sauté là-dessus et ça a explosé rapidement.»

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En une douzaine de jours, la page a rejoint un million d’internautes, un succès « un peu inattendu » selon Lev. « On pensait mettre la hache dans le projet après la soirée électorale, mais quand on a vu le fameux baiser de Legault à sa soeur, on a sauté là-dessus et ça a explosé rapidement », raconte-t-il. Quelques minutes seulement après le post, plus de deux millions de personnes avaient vu un montage du nouveau premier ministre embrasser fougueusement sa soeur sur la bouche.

«On a compris qu’il y avait de la demande pour une page comme la nôtre où la satire est utilisée pour “pleurire” de l’état du monde».

C’est dans cette même vague d’idée que le Ministère de la Nouvelle Normalité (MNN) a vu le jour. Devant l’«inaction» face à l’urgence climatique, des citoyennes de plusieurs horizons ont mis sur pied ce «gouvernement» artificiel dans le but d’éduquer et provoquer des réflexions sur l’environnement.

«On est fans d’humour absurde à la base. Un beau jour, on s’est dit qu’on devrait faire quelque chose d’un peu éclaté pour la cause environnementale donc on a créé le Ministère», raconte Hélène Touze (également un pseudonyme), Sous-ministre des politiques technologiques et cofondatrice de l’organisation.

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Sur le site web du MNN, qui est pratiquement une copie conforme d’un site gouvernemental legit, on peut voir les différents projets de lois et décrets de l’organisation. Parmi leurs propositions les plus audacieuses, on retrouve le projet de loi 2 sur les crimes climatiques. Selon le projet, qui vise à rendre toute activité contrevenant à la cible de zéro émanation de CO2 d’ici 2030 illégale, les stations d’essence devront fermer et les VUS seront interdits.

«La réalité dans laquelle on vit ne devrait pas être telle quelle si on veut sauver notre planète», lance Hélène Touze

«Ça peut paraître extrême comme mesures, mais on pense qu’on est rendu là. La réalité dans laquelle on vit ne devrait pas être telle quelle si on veut sauver notre planète», lance Hélène Touze, qui réitère que son organisation se veut satirique et éducative avant tout.

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N’empêche, MNN ne se fait pas prier pour faire passer son message avec des actions concrètes. Le 3 septembre dernier, les «agents» du Ministère ont placardé des affiches sur la devanture du magasin Zara au centre-ville de Montréal qui prétendaient que le magasin allait fermer ses portes en 2021 pour cause de «non-essentialité».

«Notre but n’était pas d’ennuyer quelqu’un en particulier. On voulait simplement faire un stunt qui allait marquer l’imaginaire et provoquer des réactions au passage, amène la sous-ministre. On a même eu de bonnes discussions avec des employés de la boutique sur nos convictions et la surconsommation», rajoute-t-elle, précisant du même coup que les affiches ont été enlevées peu de temps après sans laisser de trace.

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Drôle pour certains, offensant pour d’autres

Contrairement à une bourde de Mr. Bean, l’humour derrière la satire peut être difficile à comprendre, selon Alexandre Coutant, professeur au département de communication sociale et publique de l’UQAM. «C’est probablement LA forme d’humour la plus délicate à maîtriser. Si on a pas les codes pour déceler le message ou le but derrière l’outrance volontaire, on peut vite se sentir offusqué», explique-t-il.

Dans un univers où l’accès à l’information de qualité est de plus en plus difficile à obtenir, l’utilisation d’un humour surfant sur le deuxième degré peut avoir le contraire de l’effet escompté, croit-il. «Les gens peuvent penser qu’on rit d’eux ou que ce que l’on présente est sérieux. C’est d’autant plus délicat comme méthode quand on s’attaque à des sujets sociaux clivants comme les changements climatiques», observe-t-il.

«Toutefois, pour les initiés, la satire peut être un excellent moyen de faire passer un message. C’est moins aride que d’être exposés à de l’information brute. Tout est une question d’adapter son discours à sa cible», nuance le professeur.

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Selon lui, des stunts comme ceux perpétrés par le Ministère peuvent être un moyen vraiment intéressant pour attirer l’attention d’un grand nombre de personnes.

«Les gens peuvent penser qu’on rit d’eux ou que ce que l’on présente est sérieux. C’est d’autant plus délicat comme méthode quand on s’attaque à des sujets sociaux clivants comme les changements climatiques.»

De son côté, Lev Reffoir ne croit pas que la satire adoptée sur sa page puisse porter à confusion ou garnir les rangs de fausses nouvelles des complotistes qui pullulent sur le web. «En général, les gens à qui l’on s’adresse saisissent pas mal l’humour derrière nos posts. Il arrive que certaines personnes partagent nos trucs avec de mauvaises intentions, mais on a un suivi très rigoureux de notre contenu donc il n’y a pas de débordements» assure le collaborateur.

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Hélène Touze elle est consciente que la méthode de communication du MNN n’est pas très orthodoxe. «Mais face à une situation aussi absurde que l’immobilisme de notre gouvernement face aux changements climatiques, il ne reste rien d’autre à faire que de se battre avec l’absurdité», conclue la sous-ministre.

Si vous êtes dans le coin de Québec lundi, vous verrez peut-être un groupe de gens en costard cravate pas loin du parlement faire une conférence de presse sur l’heure du midi. «C’est une vraie conférence de presse! On va enfin dévoiler nos projets de loi au grand public!», s’enthousiasme Hélène Touze à l’autre bout du fil.

P.S: les masques de clowns tristes ne seront malheureusement pas fournis.