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La santé mentale des musicien.nes est de plus en plus fragile. Voici pourquoi.

Les artistes témoignent.

Par
Guillaume Mansour
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Récemment, je partageais sur mon fil une nouvelle de Fact Magazine. 73 % des musiciens indépendants composent (c’est le cas de le dire) avec des problèmes de santé mentale. En guise de légende, j’avais simplement inséré l’emoji du petit garçon qui lève la main. Moi-même musicien (quand même pas mal indépendant), j’ai connu plusieurs manifestations d’un déséquilibre mental : attaques de panique, idées fixes, épisodes dépressifs, name it.

Les symptômes sont difficiles à ignorer, mais la relation avec ma carrière est plutôt ténue. Est-ce que mon anxiété sociale vient vraiment du fait que j’aie choisi la musique? L’article de Fact m’aidait soudainement à réaliser que je n’étais pas seul. C’est alors que mon chef de pupitre eut l’idée de me mettre sur une enquête : qu’est-ce qui, sur la scène locale, constitue des écueils à la santé mentale des musicien.nes?

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Après avoir fait un appel à tous sur les réseaux sociaux, j’ai récolté les commentaires et les confessions en messages privés… par dizaines. Quand on donne la parole aux artistes, on se rend compte que quelque chose cloche et qu’un tour d’horizon s’impose. Les témoignages récoltés font ressortir plusieurs aspects liés à la santé mentale des musicien.nes. Des pistes de réflexion qui, je l’espère, conduiront à des actions concrètes.

L’argent, toujours l’argent.

« L’argent qui ne rentre pas, c’est stressant », m’explique Anaïs Constantin, auteure-compositrice-interprète qui partage également son talent au sein d’autres projets.

À une époque où la pérennité des lieux de diffusion de la musique est en jeu, le stress de ne pas faire assez d’argent avec son art se combine à celui de ne pas en faire lors des spectacles en salles, comme le témoigne la multi-instrumentiste et compositrice Christiane Charbonneau : « Vais-je réussir à déplacer assez de monde pour que le bar/salle ait suffisamment de clients pour faire une bonne soirée? Tout le monde est tellement sollicité par 1000 shows en même temps, c’est difficile d’avoir confiance. Vais-je être “barrée” de cette salle si jamais c’est vide? »

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L’artiste Sabrina Halde résume bien la situation. C’est l’équivalent de« travailler à s’en rendre malade pour un salaire de misère. »

Il est d’ailleurs important de noter que la pauvreté est le déterminant social numéro 1 en matière de santé mentale.

La game des réseaux sociaux.

À la suite de sa sortie d’album s’intitulant Maladie d’écran, Vincent Appelby dresse un portrait clair de la situation. « Le public change beaucoup, il est sollicité 24/7. Juste d’avoir son attention sur un cellulaire c’est super complexe et s’il vient au show, c’est un autre défi. L’illusion sur les réseaux que plein de groupes/artistes fonctionnent en décourage beaucoup d’autres. »

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Un sentiment qui est partagé par Samuele.« Avoir une présence médiatique est un truc éprouvant. C’est difficile d’accepter de ne pas avoir le contrôle sur ce qui est dit sur toi et ça demande une sagesse de fou de ne pas être obsédé par son image publique. »

« L’obligation de passer par les médias et réseaux sociaux, d’avoir un personnage, ça joue pour beaucoup. Perso, je ne suis pas pro en communications et apprendre tout ça parallèlement à la musique c’est beaucoup de temps et d’énergie. Ça fait mal des fois », ajoute Mariève Harel-Michon, membre (comme moi) de Perdrix et idéatrice du projet Bayta. « Il n’y a rien de plus isolant que d’être partout et nulle part en même temps », ajoute-t-elle.

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« Rien n’explique mieux les 8 dernières années de ma vie que cette quote de Mariève », acquiesce également Maxime Sanschagrin, membre d’Autruche, de Stevenson et de Bleu Nuit.

L’épuiiiiiiiisement.

Ce n’est pas seulement faire de la musique qui est drainant, mais aussi toutes les activités connexes, comme l’explique si bien Samuele. « Même entre les shows, la tournée implique de rencontrer de nouvelles personnes tout le temps, de donner des entrevues, d’être “on” constamment. Ma vie entière est un état de performance quand je suis en tournée. Bien manger, bien dormir et faire un minimum de sport est aussi un défi colossal sur la route et ça pèse énormément dans la balance. »

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Meggie Lennon (Abrdeen) décortique le problème : « Faire TOUT, tout seul : composition, écriture (en plus de l’enregistrement, production, etc.) requiert des connaissances, mais aussi beaucoup de temps, une base de communication solide, des disponibilités et de l’engagement. Ce n’est pas toujours facile parce que, souvent, ça se déroule dans un contexte où on n’est pas payés. Ça force souvent à avoir un 2e emploi, ce qui implique qu’on est moins dispos. »

Cocktail drogues et météo.

Artistes et artisans me racontent des pans de leur vie en messages privés : « Pour ma part, je pense que c’est l’accessibilité et la quantité d’alcool (et de drogues, pour plusieurs) qui affectent le plus ma santé mentale ».

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D’autres confirment le phénomène. « L’excitation, l’adrénaline, la camaraderie, l’aventure, le dépassement de soi avec le travail…. L’insouciance aussi, de ne pas avoir besoin de penser à trop de choses sauf à nailer sa job le mieux possible, qui elle, est une passion viscérale. […] À l’extérieur du pays se rajoute le côté “découverte rapide“ d’une nouvelle culture, nouvelle ville, nouveau pays, nouvelles personnes, etc. Rajoute à ça en plus le côté festif du milieu de la musique, et c’est un cocktail explosif d’énergie. La recette parfaite pour vivre dans une bulle étanche à la “vraie” vie à la maison. […] Et ça, c’est sans parler de la consommation… »

Bref, c’est d’accéder à de hauts sommets, puis crasher une fois la fête terminée.

Dude, le sexisme.

« Et là t’arrives dans une salle et tu te fais expliquer ton gear par un dude, mais le dude fait ton son, alors tu peux pas trop l’envoyer promener. » Le phénomène que me raconte Samuele, je l’ai vu de mes yeux arriver à mes comparses au sein du groupe Perdrix. Le sexisme est un problème monumental, un poids de plus qui s’ajoute sur les épaules de tout artiste qui ne jouit pas d’un statut d’homme cisgenre. « Je m’identifie comme personne non binaire et la valorisation de la masculinité dans le milieu participe au maintien de l’exclusion de plusieurs », me confie un.e artiste.

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Barbara Finck-Beccaficio fait état de ce perpétuel marasme où les artistes féminines, trans ou queers doivent justifier leur existence. « La bataille constante, ça épuise ». La multi-instrumentiste et A.C.I., Agathe Dupéré décline le problème dans toutes ses facettes : « C’est la reproduction d’un système toxique, capitaliste jusqu’aux confins du band (dominations multiples – sexismes, classismes, racismes + culture du silence) ». Le portrait n’est pas jojo.

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Les problèmes psychologiques créent des problèmes… psychologiques.

Jane Ehrhardt d’Alexandra Lost, explique : « Je pense qu’à part tous les autres éléments qui ont déjà été mentionnés, un des gros facteurs qui contribue à la problématique, c’est que les problèmes de santé mentale restent encore un tabou, surtout dans le milieu de la musique. C’est tellement un environnement dur, je pense qu’il y a ben des gens qui ont peur d’être jugés et rejetés encore plus s’ils en parlent, par peur de perdre le tout petit peu de dignité et de revenus qu’ils leur restent. Pis les ressources sont tellement limitées dans le système de la santé… c’est facile de dire à quelqu’un qui souffre “tu devrais consulter”, mais souvent c’est extrêmement difficile de même obtenir une consultation! Et une fois dans le système, il n’y a pas de remède magique! »

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Jane nous propose une voie à suivre : « Je pense que le milieu a besoin de plus d’empathie, de love, d’humanité.. Il faut s’entraider, il faut parler de ces choses, pis ça prend plus de soutien pis plus de ressources! »

C’est peut-être ça que l’expression « plus on est de fous, plus on rit » voulait dire, tout ce temps-là.