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La méfiance est palpable à l’intérieur de la succursale Dollarama de la rue Ontario, dans Hochelaga-Maisonneuve. Les clients se tiennent à carreau, se dévisagent et s’élancent stratégiquement dans les allées les plus désertes. À la radio, la chanson Hola Decadence des Respectables exacerbe bien malgré elle cette impression de fin du monde.
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L’empire Dollarama, qui regroupe près de 1300 magasins au pays, a été reconnu au début de la semaine comme un service essentiel. Le détaillant a même annoncé une augmentation de salaire de 10% à ses employés, et ce jusqu’en juillet prochain.
Pour observer comment se porte ce commerce essentiel en ces heures pandémiques, je m’y suis rendu en gardant soigneusement mes distances.
Le va-et-vient est incessant entre les murs de la succursale de la rue Ontario.
Les allées sont étroites par contre, ce qui compromet le respect de la distanciation sociale de deux mètres imposée par les autorités.
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Presque deux mètres, bel effort
Une employée fait d’ailleurs un pas de recul quand je « m’approche » (toujours à bonne distance) pour lui parler. « C’est sûr que des fois je dois rappeler aux gens de garder leurs distances, mais la plupart des gens se comportent bien », reconnait-elle, ajoutant que les portes et chariots d’épicerie sont nettoyés sans relâche.
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Je confirme. En vingt minutes dans cette succursale, j’ai vu les employés frotter deux fois la porte d’entrée, le comptoir devant les caisses et les chariots.
Une longue file s’étire d’ailleurs devant les caisses. Les clients tentent de maintenir une distance réglementaire, avec des succès modestes. « Quand ça se rapproche trop, je crie: Reculez! », raconte une caissière, qui n’a pas été surprise d’apprendre que son employeur était un service essentiel. « On a de la bouffe, de la nourriture pour animaux et des produits nettoyants », énumère celle qui porte des gants à l’instar de pratiquement tous ses collègues. « Je suis un peu inquiète, comme tout le monde, et c’est sûr que quand des gens toussent j’aime pas ben ça », nous dit-elle.
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Manger essentiel
Dehors, le soleil brille sur la promenade Ontario. Les gens entrent et sortent sans relâche du magasin. Parmi eux, il y a Diane, une sexagénaire qui s’est offert une rare escapade durant son confinement. « Je fais attention. Je sors juste quand c’est nécessaire. Je ne suis pas peureuse, mais je suis les directives », explique cette cliente, venue acheter une marguerite pour faire cuire ses légumes à la vapeur.
Une sortie nécessaire.
Philippe, un autre client, assure ne toucher à rien, sauf les produits qu’il achète sur les rayons. « Et je les lave tous à la main une fois à la maison », jure-t-il. « J’ai des problèmes cardiaques et pulmonaires, faque si je pogne ça, je crève », tranche-t-il durement, avant d’aller faire ses emplettes.
Derrière lui, un employé frotte à nouveau la porte d’entrée avec un produit nettoyant.
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« Deux mètres de distance svp! »
La dame devant moi tire sur sa manche pour ouvrir la porte de la succursale Masson. Dire que dans l’ancien temps (il y a dix jours), les humains se servaient de LEURS MAINS NON GANTÉES pour palper de la porte d’entrée ou du poteau de métro.
Un employé posté dehors accueille les clients un à un en rappelant les nouvelles consignes d’usage. « On vous demande de garder deux mètres de distance svp », répète l’homme, ajoutant accepter seulement 15 clients à la fois à l’intérieur du magasin, dont un maximum de six aux caisses. « Hier il y avait trop de monde et ça rouspétait un peu », souligne l’employé, qui affirme désinfecter les chariots après chaque utilisation.
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Au fond du magasin, une employée empile des boîtes sur une palette dans le backstore.
J’en profite pour lui demander si elle est contente d’être un service essentiel.
« J’ai pas le choix. En même temps, j’aime mieux ça que d’être sur le chômage », réplique la dame, ajoutant que tout se vend très bien actuellement.
Évidemment, certains produits à la mode comme le papier de toilette, le Purell et autres désinfectants se vendent comme des petits pains chauds et forcent l’entreprise à imposer une limite par client.
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« Pas le choix »
Ça fait bizarre de voir l’avenue Mont-Royal pratiquement déserte, encore plus avec un soleil aussi radieux. Un agent de sécurité ganté fait le guet devant la porte. On est loin de la cohue à l’intérieur, où quelques clients seulement sont éparpillés dans les allées.
Une rangée complète de paniers en osier, lapins et oeufs en plastique nous rappellent toutefois l’existence d’une fête prochaine nommée Pâques. On a réussi à repousser l’Halloween à cause de la pluie, j’imagine qu’on remettra la résurrection de Jésus à cet automne en raison de la COVID-19.
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Une jeune employée dans la section des bonbons souligne que la plupart des clients suivent les consignes, sauf exception. « Il y a toujours des gens qui se foutent de tout le monde, pandémie ou pas », relève-t-elle, avec justesse.
Avant de partir, je lui ai demandé si ça lui faisait chier de travailler présentement.
« J’ai pas ben pas le choix, j’ai des choses à payer », soupire-t-elle.
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Sur le trottoir, les passants se font toujours rares, sauf trois hommes qui discutent autour d’une clope devant la fruiterie voisine.
« Ceux qui meurent, c’est pas mal des personnes âgées! », lance l’un.
-« Ouin, mais les jeunes meurent aussi », enchaîne l’autre.
-« C’est pas tout le monde qui va mourir non plus », renchérit le troisième, optimiste.
Pendant que les trois hommes tergiversent sur ces différents scénarios, une dame sort du Dollorama avec deux pains tranchés et un sac de nourriture pour chat adulte.